Mourir et puis sauter de son cheval ! Insoumis, ingouvernable.
"Mourir et puis sauter de son cheval", le roman de David Bosc, qui emprunte son titre à un poème d'Ossip Mandelstam, est un hommage au refus absolu de se conformer, même au prix de la folie et de la mort : « Pourquoi la tête du cheval nous émeut-elle si fort ? C’est la douceur de la lèvre et des naseaux de velours gris – tandis que sous l’œil on sent l’os, couvert à peine d’un cuir rêche, le crâne promis à la blancheur. Voilà pourquoi nous attendrit tellement la tête (horrible) des chevaux : le plus doux du vivant sur la promesse infaillible de sa destruction. »
À partir de la trace ténue d’un fait divers tragique et mystérieux, tirée d’un passage des carnets du poète surréaliste Georges Henein, le suicide en septembre 1945 à Londres de Sonia A., défenestrée après s’être dévêtue, «suicide ayant donné lieu, selon l’abjecte coutume anglaise, à un procès contre la défunte», le quatrième roman de David Bosc, publié en janvier 2016 aux éditions Verdier, oscille sans cesse entre épouvante et merveille, en évoquant la trajectoire d’une femme broyée par la société, avec ses émotions d’enfant et son instinct d’animal insoumis, avec une curiosité et un appétit immense du monde et une frustration tout aussi démesurée envers les barrières auxquelles elle se heurte.
Ces appétits et frustrations féroces la font dériver vers la folie et une sortie de vie par laquelle s’ouvre le livre, suicide dans une impulsion poétique et grandiose mais qui, aux yeux du monde, est un fait divers navrant et répréhensible.
«La fille à bout de souffle, soulevée par son souffle, atteint le palier du dernier étage, elle donne du poing contre la porte, sans cesser de lever les genoux. Le gros homme au visage large, couleur de mortadelle, ouvre la porte, puis la bouche, la fille nue prononce des paroles sans queue ni tête, elle parle dans ses mains, où se mêlent des mèches de cheveux, elle dit je vais me marier, éclore, je vais me marier, donne-moi une livre, les cloisons tombent. Elle dit que nous ferons avec les oiseaux une race d’immortels, elle traverse l’entrée, toute nue sous les yeux de son père, elle s’engouffre dans le couloir et referme derrière elle la porte de sa chambre. Le gros homme est changé en statue de sel. La bouche ouverte et la main levée.»
Les plus belles scènes du premier roman de David Bosc, «La claire fontaine», montraient un Gustave Courbet exultant de vitalité et de liberté en pleine nature, un homme hors du commun tout à la «joie de se gouverner lui-même». Sonia A. est aussi une femme libre, ingouvernable autrement que par ses propres lubies, refusant conventions et barrières aussi bien en société qu’en littérature.
«Seul me porte vers les livres le désir d’y trouver ce que je ne soupçonnais pas, et c’est pourquoi je déteste les faiseurs de bouquins, les romances ficelées, cousues d’astuces, farcies de diables à ressort, de pièges à souris. Je leur préfère le bruit du tram ou les écrits intimes, les chroniques fragmentaires, la philosophie, les recueils d’anecdotes. Ou le décompte que fit de ses chemises, dans la marge d’un sonnet, le pauvre Baudelaire. Il me semble qu’on doit écrire : dire, crier, murmurer, et mille fois s’il le faut. Dit-il, dit-elle, dit-il. Lorsque je lis « expliqua-t-elle » ou « se justifia-t-il », j’en ai le cœur qui se soulève.»
Mais les lubies de cette femme ne sont rien en regard de la folie du monde, que l’on devine dans ses cahiers à l’évocation de la poussière des bombardements de Londres et de l’odeur de brûlé du Blitz, ou dans le destin de son père, ancien ambassadeur républicain espagnol exilé à Londres.
Dans ce roman au titre magnifique, Mourir et puis sauter de son cheval, un vers de l’un des ultimes poèmes d’Ossip Mandelstam cité en exergue (Poème de Voronèje, juin 1937), comme Antoine Wauters avait pu le faire dans «Césarine de nuit», David Bosc parvient à orchestrer, avec son écriture poétique et précise, le récit d’un destin énigmatique en choc avec le monde, et un hommage au refus absolu de se conformer, même au prix de la folie et de la mort.
«Pourquoi la tête du cheval nous émeut-elle si fort ? C’est la douceur de la lèvre et des naseaux de velours gris – tandis que sous l’œil on sent l’os, couvert à peine d’un cuir rêche, le crâne promis à la blancheur. Voilà pourquoi nous attendrit tellement la tête (horrible) des chevaux : le plus doux du vivant sur la promesse infaillible de sa destruction.»
Charybde 7
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