Les Bettencourt, c'est tout un théâtre ! Et Michel Vinaver l'a très bien compris

Michel Vinaver attaque le malaise des affaires financières à la française par l'exemple Bettencourt. Et ça fait mal ! 

Francine Bergé, dans le rôle de Liliane Bettencourt.

Francine Bergé, dans le rôle de Liliane Bettencourt.

Si Michel Vinaver déclare trouver un charme irrésistible à l’affaire Bettencourt, c’est qu’il y voit réunis “tous les éléments d’un mythe”. Pour saisir cet écheveau indissolublement économique, politique, passionnel, il s’est nourri d’une documentation minutieuse. Mais la pièce va bien au-delà du théâtre documentaire. Le regard singulier de Vinaver, son écoute légèrement en retrait, son ironie pénétrante font résonner derrière le comique à peine voilé de l’affaire les harmoniques tragiques d’une histoire française de longue durée.

"Oui j’essaie de creuser des galeries pour que l’air circule dans cet entassement de données."

Michel Vinaver

Outre ses protagonistes bien connus, la pièce met en en scène deux des arrière grands-pères des petits-fils de la milliardaire : Eugène Schueller, chimiste créateur de L’Oréal, financier d’extrême droite avant-guerre, et le rabbin Mayers, assassiné à Auschwitz. Bettencourt Boulevard fait la cartographie des subtils écarts ou des gouffres abyssaux – financiers, sociaux, éthiques – entre les êtres, dans un petit monde aux éclats longtemps étouffés, dont le propre semble être de ne s’étonner d’aucune disproportion. Grand connaisseur de l’oeuvre de Vinaver dont il a déjà mis en scène Par-dessus bord et Les Coréens, Christian Schiaretti a créé la pièce au Théâtre National Populaire à l'automne, avant la reprise en janvier à La Colline.

Ouvrage d'un jeune auteur de 87 ans, le texte de la pièce a paru à L’Arche Éditeur, avant de recevoir le Grand Prix de littérature dramatique 2015. Pas pour rien d'ailleurs, parce que ses thématiques sont assez proches du Bertolt Brecht oublié des Affaires de Monsieur Jules César qui s'attachait à montrer le quotidien de l'empereur dans toutes ses vicissitudes. Même si depuis l'Histoire a aussi fait résonner les scandales de Napoléon le Petit et le mélange des genres cher à la République qui confond, de plus en plus souvent, intérêt général et promotions particulières, élections et rentes de situation…

Bienvenue chez vous, en France en 2016. Avec une succession de trente tableaux, Vinaver, mis en mouvement par Schiarelli fait le décompte des compromissions et des personnages pour ironiser sur les faits, mais avec distance. Il y fait camper par Francine Bergé une Liliane de haute volée ( de bois vert!), tout en sépia et désirs de se faire aimer ( même et surtout mal) et un Jérôme Deschamps en Patrick de Maistre, à la parade comme chez Labiche ; tout comme Didier Flamand campe magistralement la figure de François-Marie Banier. Et si tout est vrai, l'auteur n'en reste jamais à l'anecdote, il ressort les atours de la tragédie, biffant le réel pour atteindre l'archétypal des situations. Et l'on comprend mieux alors la valeur du personnage du "chroniqueur" au fil du récit qui s'avère n'être autre que le retour du chœur antique. Une vénéneuse mise en plis (Roja ?) qui va, caressant l'intelligence, dire son fait, tout en donnant à voir la société d'aujourd'hui. Sans leçon. Lucidité, quand tu nous tiens … Un événement sans dire. Vous reprendrez bien un peu de Vichy ?


Boulevard Bettencourt ou Une histoire à la française de Michel Vinaver mis en scène par Christian Schiarelli
(2h) au Grand Théâtre de La Colline - 15, rue Malte-Brun Paris 20e
du 20 Janvier au 14 février 2016 (du mercredi au samedi à 20h30, le mardi à 19h30 et le dimanche à 15h30)
Surtitrage français dimanche 31 janvier et mardi 9 février
Audiodescription mardi 2 et dimanche 7 février

http://www.colline.fr/