Lucidité de l'art : le monde pourri vu par Pierre Ardouvin

Pierre Ardouvin, Le Salon, présenté à l'exposition "I'll Be Your Mirror".

Pierre Ardouvin, Le Salon, présenté à l'exposition "I'll Be Your Mirror".

Depuis 1990, Pierre Ardouvin développe une cartographie de nos désillusions. Sa poésie liée à  la culture pop, surgit d’un rapport décalé au langage et au monde. L'actuel Wicked World présente des œuvres issues des ensembles Les Écrans de veilleUn Monde pourri et Le Théâtre des opérations. Les univers convoqués, issus des rebuts du souvenir, font émerger une mémoire autre, suggérant une mélancolie à la frontière de l’intime et du collectif.

Les Ecrans de veille - « Il faut ruiner un palais pour en faire un objet d’intérêt. » — La poétique des ruines, Denis Diderot, 1767

L’imagerie de la société des loisirs avec ses stations balnéaires, son tourisme culturel et muséal, ou encore ses îles paradisiaques est un motif récurrent dans l’œuvre de Pierre Ardouvin. Ses  Écrans de veille peuvent être envisagés comme des interfaces perturbées d’un imaginaire collectif : du rêve médiatisé à travers les écrans de la culture de masse à la logique parasitée de l’intime.

Un Monde pourri - « Can’t you see that all my castles are burning? » — Fire in The Sky, Ozzy Osbourne, 1988

Un Monde pourri met en scène des assemblages d’objets en plastique, pour l’essentiel des jouets. Ces hybridations qui viennent réactiver le langage enfantin dans une dimension de perte sublimée sont réalisées en soudant les objets, qui en ressortent partiellement fondus et déformés. Cet ensemble renvoie à un monde à l’abandon, une poétique des ruines, version série B. On retrouve aussi la dimension romantique liée à l’adolescence et propre à l’univers de l’artiste dans les phrases titres qui reprennent des extraits ou des titres de chansons de Black Sabbath, Nirvana, Les Rolling Stones, etc.

Le Théâtre des opérations - « À chaque théâtre correspond en général une campagne. »

Surgissent là aussi d’autres objets : une vielle chaise d’écolier, un tronc d’arbre mort, quelques boules de Noël, un pneu usagé, des pierres, un petit toboggan en plastique, une boule a facette… Autant d’éléments se référant à des univers divers dont les assemblages réactivent le territoire perdu de l’enfance. Chaque pièce du Théâtre des opérations reprend en effet les noms d’interventions militaires aux connotations aussi poétiques que grinçantes. Aube de l’OdysséeDeadlight ou Desert Storm, mettent en évidence cette position inconfortable et paradoxale qui fait la puissance du travail d' Ardouvin ; ce subtil balancier entre rêve et chute, évasion et enfermement, poésie du monde et cruauté aride. Wicked World, un désastre souriant. Mais pas que.

Wicked World de Pierre Ardouvin, jusqu'au 10 octobre 2015, Galerie Praz-Delavallade, 5, rue des Haudriettes 75003 Paris

 

Pierre Ardouvin, Aube de l’Odyssée, 2015 Pneu de tracteur, tobogan, boule à facettes Courtesy of the artist & Galerie Praz-Delavallade, Paris.

Pierre Ardouvin, There Was A Beauty ....