"Comment rester immobile quand on est en feu ?" - question zen, réponse Claro
Le nouveau livre de Claro : « Comment rester immobile quand on est en feu ? » se révèle un véritable manifeste combattant. À l’urgence imposée des injonctions avides et contradictoires de siècles se culbutant désormais sur un toboggan mortifère (ainsi qu’amplement établi, en beauté frondeuse, par « Livre XIX », par « CosmoZ » et par « Tous les diamants du ciel »), Claro répond, fort et clair, par l’urgence de la langue et de la pensée intime, face aux fausses priorités mortifères.
Publié en janvier 2016 aux éditions de l’Ogre, ce nouvel ouvrage de Claro concrétise sans doute la mutation poétique de l’une des plus redoutables écritures contemporaines, une prose rare dont la capacité d’enchâssement de sens multiples et de fulgurance à nombreuses détentes caractérisait déjà, au minimum, « Tous les diamants du ciel » (2012) – dont la boulangerie sous ergot de seigle demeure encore et toujours un immense moment de littérature à savourer à voix haute, et plus encore « Crash-test » (2015) – et ses chocs et heurts de langage oscillant entre tendresse et brutalité, entre politique du corps et mécanique de l’âme, ayant nécessité un recours décisif à une mise en page et à une typographie hors normes habituelles de la prose.
Il n’y aura pas d’introduction pour la fort peu suave raison
que ce qu’on voulait introduire l’a été largement plus
personne n’oserait en témoigner question d’élémentaire
économie réfléchis un peu sur le comptoir tu poses ton
verre ou ton coude ton porte-monnaie ton estime etc
mais en fait tu sais très bien que c’est le comptoir qui
s’impose à ton verre ton coude etc ne m’oblige pas à
tout redistribuer par en dessous il s’agit moins là d’une
inversion de la réalité physique que d’un retour du
principe de précédence d’où il découle arbitrairement
un certain corpus de lois qu’on s’efforce de nous
appliquer à rebours enfin esclaves des conséquences
S’affirmant comme « anti-ode » en sept parties, enchaînant les fulgurances brèves utilisant toutes les ressources de l’espace page, par quatre fois (« I. Allons langue allons », « III. Atlas Hercule bossu », « V. Si possible la guerre » et « VII. Par ici ») aux déversements lancinants de lignes serrées et armées, en trois intervalles stratèges (« II. Intendance », « IV. Indice de pénétration » et « VI. Terminus Ophélie »), « Comment rester immobile quand on est en feu ? » se construit logiquement en brûlure presque insoutenable, en texte tout entier voué à l’incantation chamanique et néanmoins parfaitement rationnelle.
nous pouvons courtiser à notre insu et les causes et
leurs mères ingrates impatience présage etc visée à long
terme tout ça est caduc enfin ose et conviens d’emblée
que les personnages leurs familles relations animaux
domestiques et autres ambitions la psychologie des
surfaces étant ce qu’elle est après vérification tout ça ne
tient pas trois temps ce n’est ni renoncement ni édit
cruel le poumon l’a compris on n’en veut pas ni faire
ripaille d’imbroglios user et s’amuser de subterfuges
Fidèle de bout en bout à un cahier des charges tenu soigneusement secret, qu’il s’agit – bonheur de la poésie en tant que telle – pour la lectrice ou le lecteur de sentir, deviner, subodorer, ou simplement laisser vibrer dans les interstices de ce récit qui en est bien un, ne ménageant ni les surgissements de significations aiguisées pour tailler et trancher ni les queues gorgées de venin – comme on le sait officiellement chez Claro depuis son « petit livre jaune » de janvier 2015, justement -, « Comment rester immobile quand on est en feu ? » se révèle un véritable manifeste combattant. À l’urgence imposée des injonctions avides et contradictoires de siècles se culbutant désormais sur un toboggan mortifère (ainsi qu’amplement établi, en beauté frondeuse, par « Livre XIX », par « CosmoZ » et par « Tous les diamants du ciel »), Claro répond, fort et clair, par l’urgence de la langue et de la pensée intime, vitale et rétive, qu’elle autorise à qui le veut suffisamment.
pas voulu imposer de plan de page ni disposer de ronds
de serviette on est comme ça et c’est là une orientation
générale on leur dit adieu et surtout bonne chance hein
le temps ne presse pas mais décrire quoi et comment
et où et si c’est possible éviter de décrire pour mieux
souscrire à des emprunts moins criants à quoi bon la
couleur du mur et la hauteur indéniable du plafond
à quoi bon tant qu’on y est le bois des planchers le
grincement des mêmes planchers et la vue offerte
gracieusement par les perspectives que ferait-on des
nuances de l’adjectif ou du dégradé du substantif et où
mettre la chaise et quelle cascade de compliments asseoir
dessus il faut instaurer une nudité qui fasse décor et
s’y tenir autrement favoriser le mépris des détails sans
nulle fainéantise mais par principe puisque le principe
comme le client porte couronne face à l’intrigue à ses
fesses serrées et à son ombilic où brille un diamant de
là une grande méfiance on a trop conçu et soupé des
rebondissements par lesquels s’égarer sans plus-value
morale alors qu’inventer qu’ourdir coucou les trois
mousquetaires règnent en führers sur les chapitres de
notre négligence à nous de confesser que nous fûmes
en notre préhistoire leurs souples gitons mais c’est fini
Le jeudi 7 janvier 2016, à la librairie Charybde à partir de 19 h 30, il y aura une belle occasion d’entendre et d’écouter : Claro lira de larges extraits du texte, et évoquera divers éléments de sa genèse, et peut-être aussi de sa nécessité qui n’a rien d’hasardeuse.
Note de l’auteur : La phrase-titre de ce volume – “Comment rester immobile quand on est en feu” – est empruntée au roman de Vanessa Veselka, Zazen, traduit par Anne-Sylvie Homassel et paru dans la collection Lot 49 au cherche midi éditeur. Cette phrase figure également dans mon dernier roman paru, Crash-test ; et je l’ai par ailleurs utilisée comme titre dans le cadre d’un spectacle à Aubervilliers, et d’une lecture à Marseille. Il s’agit donc moins d’un emprunt que d’un larcin caractérisé. Dont acte.
Pour acheter le livre chez Charybde à partir du 7 janvier 2016, c’est ici.