"Neverhome" - La guerre de Sécession au féminin sans concession

Lorsque la guerre de Sécession éclate et que Bartholomew est appelé à rejoindre les
rangs des Confédérés, c'est Constance qui, travestie en homme, prend sans hésitation, sous le nom d'Ash Thompson, la place de cet époux à la santé fragile rend inapte à une guerre qu'elle considère comme impensable de ne pas mener.

Ash/Constance évolue tout au fil du roman, entre rêve et réalité, par la grâce d'une écriture vagabondant entre crudité et lyrisme. Même dans les instants les plus déjantés par l'atrocité, on est bien ici, sur ce sol troué par les canons et tapissé de corps déchiquetés, à entendre le souffle des soldats pouilleux et terrifiés. Ce jeu, cette collision entre rêve et réalité rend ce livre aussi saisissant que puissant et lui donne force et beauté, sans jamais baisser d'intensité. En faisant de Constance la narratrice, avec un côté journal, très spontané, la force des mots en est décuplée. Cette écriture, parfaitement adaptée au sujet fait de "Neverhome", un coup de maître et un bonheur infini de lecture.

Comme Ulysse, elle mettra longtemps à rentrer chez elle, et là, il lui faudra vingt ans pour retrouver les mots de ce qu'elle a vécu, subi et connu. Plus encore qu'un livre révélant la participation des femmes à la guerre, celle de Sécession, en particulier, c'est un somptueux roman sur la condition féminine et le parcours à suivre pour arriver à l'émancipation. En gardant tout le temps en tête le chemin de la ferme, guidée par l'amour infini qu'elle porte à son bien­aimé, Constance reste hantée par la violence et l'étrangeté des aventures qui ont marqué sa périlleuse initiation à l'univers impitoyable des champs de bataille et à leurs sordides coulisses.

Abondant en rencontres aux frontières du réel avec les monstres que la guerre fait des hommes et des lieux, ce roman dévoile une impressionnante méditation en forme d'épopée sur la fragilité des certitudes et l'inconstance de toute réalité.

Laird Hunt, Neverhome (Actes Sud)