Perec de 8 à 10

L'Œil ébloui continue son exploration non de Perec, mais des nombreux Perec qu'écrivains et artistes ont reçu en héritage plus ou moins oblique. Trois nouveaux titres paraissent cette semaine, les numéros 8, 9, 10 (plus que 43 titres à paraître !)

Le numéro 8 nous donne à voir les photos que pris l'ami de Perec, Pierre Getzler, lors de deux des trois glorieuses journées d'octobre 1974, quand l'écrivain s'assit à une table de café et tenta de capter tout ce qui se passait et ne se passait pas place Saint-Sulpice. Chaque photo cadre un pan d'espace, plus ou moins habité, où souvent n'advient qu'un temps figé, souvent barré par une verticale (un arbre, un poteau, un panneau) comme si, telle une aiguille marquant un éternel midi, l'espace-temps était balisé par de concrets fuseaux horaires. Des voitures, des bus, des passants: une place qui ne laisse place qu'à elle-même, mais qu'il faut quand même décrire, c'est-à-dire, écrire, autrement dit déplier l'image en segments syntaxiques, tout comme les photos de Getzler réécrivent un ensemble en le sectionnant en parties.

Le numéro 9, signée Sophie Coiffier s'efforce de lire certaines images à la lueur de l'œuvre de Perec. En partant de la grille mi-conceptuelle mi-ludique qu'est le jeu de taquin (en gros un puzzle aux pièces carrées ménageant une case vide par où faire passer les autres pièces), l'auteure de L'éternité comme un jeu de taquin, opère donc des rapprochements – comme on fait coïncider des bords – afin que le sens, magnétisé, attire d'autres aventures formelles. Ce pourrait être un exercice, c'est en fait une quête, entre vide et plein, où Perec, de cavalier seul, devient arpenteur de cases.

Le numéro 10, qui s'intitule Le timbre à un franc, est signé par le pataphysicien Jean-Louis Bailly. Il égrène divers croisements avec l'œuvre et l'homme, entre autres comment le chapitre XXII de La Vie mode d'emploiI (qui était alors en cours d'écriture) lui est arrivé par la poste, suite à une démarche que Bailly avait faite auprès de GP, afin de publier un de ses textes dans une revue au titre rousselien, Nouvelles Impressions. C'est aussi, en creux (et en bosses, aussi) un portrait cubiste de Bailly, dont certains angles entrent en relation géométrico-affective avec les textes de Perec.

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Pierre Getzler, Place Saint-Sulpice les 18 & 19 octobre 1974

Sophie Coiffier, L'éternité comme un jeu de taquin

Jean-Louis Bailly, Le timbre à un franc

tous trois parus à L'Œil ébloui, dans la série des 53 Perec.

Claro, le 14/06/2025