Avec Abel Selaocoe découvrons le baroque bantou, mais pas que … 

Avec son second opus, le violoncelliste Abel Selaocoe se tourne vers les ancêtres, africains et européens, poursuivant un voyage à travers les continents et les siècles, en aventurier guidé par l'amour et le respect de ceux qui nous ont quittés ; mais nourri par la splendeur du présent. Ici l’artiste sud africain interprète plusieurs de ses compositions, certaines enracinées dans la tradition africaine, d'autres puisant dans le répertoire baroque vers lequel il se sent attiré depuis son enfance. Pertinent.

Dès le premier morceau, "Tshole Tshole", une invitation au monde des esprits et une composition basée sur un hymne sud-africain, l'album fait défiler les différents personnages qui pourraient chanter à travers Selaocoe : un ténor doux et sensuel, parfois multipiste, qui se mêle à la riche sonorité du violoncelle ; et dans des morceaux plus tardifs comme "Emmanuelle" et "Takamba", le violoncelle solo et le violoncelle massé. Alors que le violoncelle solo et les cordes massives de ses fréquents collaborateurs, Manchester Collective, s'envolent dans une succession de rythmes dansants, il chante avec ce growl caractéristique, un mode de chant dans lequel la distorsion accueille joyeusement le monde des esprits. C'est comme s'il était possédé : la musique avance sur une vague spirituelle à la fois irrésistible et contagieuse. Il crée une atmosphère de fête avec une aisance naturelle, mais il s'agit aussi d'un rituel pour les ancêtres, bien plus qu'un simple divertissement.

Sur des titres comme "Kea Morara" et "Dinaka", on retrouve un côté plus improvisé, avec des ruptures de rythme, une richesse de timbre et une voix captivante. Ces titres contrastent fortement avec des morceaux plus calmes, comme un riff personnel inspiré par une pièce de viole de gambe de Marin Marais datant du XVIIIe siècle ou une interprétation sensible de l'hommage à Boccherini du compositeur post-minimaliste italien Giovanni Sollima. Il y a aussi une version de la Sarabande de la Suite pour violoncelle n° 6 de Bach, avec des couches supplémentaires du Manchester Collective : à mon goût, les cordes supplémentaires, tout en adoucissant la sensation de mélancolie de la musique, nuisent à son austérité originale.

Selaocoe accorde une grande importance à la cohésion : qu'il s'agisse de la joie collective de jouer ou de travailler avec les musiciens tout aussi curieux et enclins à prendre des risques qui se sont rassemblés autour de lui. Cet album doit beaucoup au producteur Fred Thomas, multi-instrumentiste, compositeur et collaborateur de longue date. Thomas sait créer un espace dans lequel Selaocoe peut déployer ses ailes, rester fidèle à ses racines tout en empruntant de nouvelles voies dans lesquelles les catégories n'ont plus d'importance et où l'essence de la musique transparaît. Première grande découverte de 2025. Enjoy !

Jean-Pierre Simard, le 10/03/2025
Abel Selaocoe - Hymns of Banthu - Warner Classics