Darkside ( of the Jaar & Harrington) période deux … ce n'est pas Rien !
On peut aimer et détester le rock progressif selon les groupes qu’on adore et ceux qu’on déteste. Radiohead versus quoi au fait … Mais avec Darkside, le projet Harrington /Jaar depuis 2011 et la tournée de “Space is only Noise”, c’est plutôt à chaque titre qu’il faut choisir. Amis feignants, tirez-vous, car personne ne vous oblige à tout apprécier.
La particularité de leurs compositions, ainsi que l'intrigue générale entourant leur processus de reconfiguration en direct, ont créé un culte qui s'étend bien au-delà de l'histoire de leur genèse. En décembre 2011, lorsque DARKSIDE a présenté son premier EP au Music Hall de Williamsburg, ils ont transformé 15 minutes de musique enregistrée en un set électrique d'une heure. Les blogueurs, les fans et les Redditors se sont déchaînés. En 2013, le groupe a poursuivi sur sa lancée en présentant son premier album complet, Psychic. L'album, instantanément révéré, traverse des étendues ambiantes enfumées, des grooves funk et des crevasses statiques.
Si Psychic était la bande-son de DARKSIDE faisant courir ses doigts sur un terrain extraterrestre rocailleux, leur album de 2021, Spiral, donnait l'impression d'avoir été enregistré à partir d'une voiture roulant sur l'une des autoroutes du pays. Les chansons étaient plus lisses et distantes, plus enclines à s'installer dans un groove psych répétitif qu'à l'ouvrir et à en montrer les entrailles.
Leur troisième album, Nothing, change complètement le scénario. Alors qu'ils travaillaient sur ce projet, Jaar et Harrington ont donné un nom à leurs fameuses sessions improvisées : le "nothing jam". Ils ont pratiqué la pleine conscience, s'autorisant à faire de la musique sans ordre du jour préconçu. Le duo a également intégré le batteur Tlacael Esparza au groupe. Sur Nothing, on peut entendre les nouvelles textures qu'Esparza apporte : une brume fraîche de boîte à rythmes qui s'enroule autour des slides de guitare legato sur "American References", des tambours scintillants sur le dubbed-out "Slau".
L'inclusion de percussions dynamiques, ainsi que l'ouverture d'esprit de Darkside, laissent présager une musique plus cinétique, désordonnée et mélodique que tout ce que le groupe a fait jusqu'à présent. Des riffs de guitare krautrock se mêlent à des rythmes tropicaux et à des voix punk distordues qui semblent avoir été chantées à travers un tamis. Les synthés aqueux deviennent durs et métalliques, crissant comme des engrenages rouillés qui s'entrechoquent. Les moments plus lents de l'album sont tout aussi captivants. Sur "Hell Suite Pt II", le fin falsetto de Jaar se fond dans une guitare qui noue doucement, comme une barbe à papa sur la langue. Rien ne prouve que Darkside est aussi doué pour incarner la tendresse que pour construire un monde.
La touche émotionnelle de l'album provient des observations du groupe sur le monde qui l'entoure. En suivant l'incapacité des politiciens à s'attaquer aux problèmes mondiaux, tels que le changement climatique et la violence continue contre les peuples de Palestine et du Soudan, les membres du groupe ont été secoués par le mécontentement. Face à cette situation, le trio a réfléchi aux connotations opposées du néant. Le néant peut évoquer un bonheur méditatif, mais lorsqu'il est utilisé comme réponse à la question "Qu'est-ce qui ne va pas dans le monde ?", il peut aussi être utilisé pour masquer des sentiments de malaise. Sur Nothing, Darkside semble contempler comment l'inaction peut se faire passer pour de la tranquillité. "S.N.C." et "American References" mettent en scène des personnages qui ne font rien de leurs journées. Les deux chansons laissent entendre que ces fainéants ne sont pas vraiment satisfaits, que leur oisiveté est simplement la preuve qu'ils ne s'engagent pas dans le monde qui les entoure.
Mais cette ironie de l'ignorance comme félicité frise parfois la ringardise. Jaar lui-même reconnaît que certaines des paroles utilisées sur Nothing sont ridicules. "I did it for the rush / I did it for the time of my life" (Je l'ai fait pour l'excitation / Je l'ai fait pour passer le meilleur moment de ma vie) est une phrase tirée d'une de leurs anciennes chansons intitulée "Rock n' Roll Band". Ils l'ont gardée dans "S.N.C." parce qu'elle leur donnait l'impression d'être des rock stars. Le message de DARKSIDE pourrait être poussé plus loin sur "Hell Suite (Pt. I)", où Jaar transforme les célèbres paroles de John Lennon en cauchemar. "Nous vivons en enfer / Rien de moins / Imaginez tous les gens / Vivant en enfer". Ici, Jaar se lamente sur les horreurs du monde, mais ce contre quoi il se bat reste vague, comme s'il ne reflétait qu'une indignation à moitié formée.
Bien qu'il soit difficile de ne pas regretter le glitch sinistre et les méandres sans fin qui ont rendu Psychic si explorable et viscéralement troublant, Nothing peut être troublant à sa manière. Sur "Are You Tired (Keep On Singing)", la voix aqueuse de Jaar frissonne à travers des couches de réverbération et des cuivres qui se dégonflent comme l'horloge de Salvador Dali. Il se lamente sur son insatisfaction à l'égard de la société occidentale : comment les dirigeants peuvent injustement refuser à leurs citoyens l'accès à la terre, comment tout est dirigé par des investisseurs qui "ont besoin de guérir". Puis, soudain, une mélodie surf rock tordue fait irruption dans le mix. Par le biais d'une voix de chipmunk, Jaar donne des conseils : "Continuez à chanter !" C'est une solution si manifestement inadaptée aux maux de la société que l'on reste avec un sentiment de dissonance lancinant.
DARKSIDE ne détaille jamais explicitement les paysages dystopiques qu'ils imaginent, mais on ressent ce qu'ils veulent dire sur "Sin El Sol Noy Hay Nada". Les paroles, chantées en espagnol, font carrément de la place à ceux qui sont en deuil après une année de brutalité en Palestine : "Mon petit frère a dit / Adieu à la mer / Il n'y a rien / Sans le soleil". Ces mots sont présentés comme un texte ancien, scandés au milieu d'un mélange de synthétiseurs et de guitares des années 80 qui se diffusent comme un brouillard et dégringolent comme des vagues déferlantes. Dans ce moment, les faux-semblants s'évaporent et c'est un soulagement de se retrouver ici, face à l'obscurité. Quand tout vous pousse hors du monde, c’est un appel d’air . On dira bienvenu…
Jean-Pierre Simard le 3/03/2025
Darkside - Nothing - Matador