Avec Sylvia Robinson, Love is (radically) Strange… 

Composé en 1956 sous pseudo par Bo Diddley, le tube/standard de Mickey (Baker) et Sylvia (Robinson) Love is Strange est parfait. Tellement même qu’il ressurgi dans les charts à chaque fois que ladite Sylvia en a eu besoin. Mais l’histoire ne s’arrête heureusement pas là pour elle qui, de coups foireux en arnaque au petit pied, a réussi à construire une carrière de directrice artistique et de productrice avec usine de pressage pour la musique black finalement récompensée, sur le tard. Entre temps, elle aura adopté, pour durer, toutes les modes musicales et produit les deux plus grands tubes du hip-hop : Rapper’s Delight et The Message. Coup d’œil dans le rétro - c’est trop !

Découverte à 14 ans par Hot Lips Page, le trompettiste qui a accompagné toutes les figures notoires du jazz d’après-guerre au début des fifties, Sylvia Vanterpool va trouver le chemin du succès avec Les McCann qui va la faire signer et enregistrer sous le nom de Little Sylvia ( rapport à son âge) quelques faces pour Savoy et Jubilee. En 1955 elle rencontre Mickey avec lequel elle va monter un duo - et il va lui apprendre à jouer de la guitare, car c’est un requin de studio qui écrira nombre ouvrages de référence sur le sujet. En 1956 sort “Love is Strange” sur Groove Records qui va prendre son temps pour faire un carton et établir durablement le duo qui ne réussira jamais à réitérer cet exploit.

Les deux se séparent en 1962 : Mickey filant s’établir à Paris pour refaire du studio et composer pour d’autres, pendant que Sylvia s’accroche au business à New-York et y rencontre Joe Robinson qui va rester longtemps son partenaire avec All Platinum Records. Les deux producteurs aux rôles bien définis, à Joe le business et à Sylvia la DA, les compos et la prod musicale, vont bientôt s’apercevoir que pour avoir les mains libres, il faut diriger et posséder toute la chaîne de production/distribution discographique et ainsi vont posséder studio et usine de pressage , pour ce faire. De bons en mauvais coups, ils vont être obligés de faire affaire avec Morris Levy, le mafieux propriétaire de Roulette Records - le même qui obligera Lennon à enregistrer son album Rock’n’Roll pour suspicion de pompage des classiques sur certains de ses titres, comme sur certains de ceux des Beatles. Mais Lennon avait un bon avocat et s’en est sorti. De leur côté, les Robinson verront leurs dettes épongées contre de grosses parts de leurs boîtes; selon l’usage en vigueur : “An offer you can’t refuse… “

Côté carrière, Sylvia tentera tout pour rester à flot et se faire une place dans les charts, à grands coups de ressortie sous de nouveau formats ou de réutilisation de titres un peu reliftés pour faire l’affaire, quand ce ne seront pas des covers exportées pour occuper les charts étrangers . Ce, jusqu’en 1974 où par la grâce d’un titre composé pour ( et refusé par) Al Green, elle fera un second carton avec Pillow Talk, genre de bluette toute poitrine en avant qui passera et fera sensation. Pour le côté lascif, ça passe, mais pour le contenu, on peut préférer … Bette Davis, un peu plus wild.

En 1979, Sylvia Robinson est invitée dans une soirée au cours de laquelle elle découvre le hip hop , un nouveau genre musical qui s'est développé au cours des années 1970 dans le Bronx. En percevant le potentiel commercial du rap, elle fait enregistrer une bande son par des musiciens et tente de recruter des rappeurs afin de réaliser un disque. Elle fait appel à trois jeunes amateurs d'Englewood, New Jersey : Henry Jackson (dont le nom de scène est Big Bank Hank), Guy O'Brien (Master Gee) et Michael Wright (Wonder Mike). Le trio, baptisé The Sugarhill Gang, enregistre le single Rapper's Delight, édité par le label Sugar Hill Records que Sylvia Robinson a fondé avec son mari. Classé 4e du hit-parade rhythm and blues et 36e du Billboard Hot 100 en 1979, il est considéré comme le premier hit du genre. Le label connaît également le succès grâce à Grandmaster Flash and the Furious Five. Leur titre The Message, 4e du hit-parade rhythm and blues en 1982, inspire les artistes de rap à écrire des textes socialement engagés. Mais à force d’oublier de prévenir les ayants-droits et de verser la moindre royalty, Sylvia la Godmother of Hip hop va morfler grave. D’abord Chic qui reconnaît Good Times en fond du Rapper’s Delight et va obliger les Robinson à conclure un accord financier à l’amiable qui les reconnait comme auteurs du titre. Puis, ce sera Grand Master Flash qui attaquera au pénal pour non paiement des royalties. Les musiciens de studio de Sugarhille Gang iront s’expatrier à Londres pour aller bosser avec Adrian Sherwood et connaître un meilleur sort. Des années plus tard, Sylvia sera reconnue comme une grande entrepreneuse du business musical black et recevra moult récompenses. L’histoire ne dit pas si c’est pour la longue carrière en dents de scie ou le fait d’avoir duré.

Je vous sent un peu feignant sur le coup; alors que l’histoire est passionnante, même si pas toujours ragoutante. Je l’ai lu, à vous de jouer ! Vous n’en saurez pas plus, sinon à quoi sert de sortir des livres… 

Jean-Pierre Simard, le 24/02/2025
Real Muzul - Sylvia Robinson, godmother of hip hop - éditions le Mot et le reste