L'amitié sauvage de Jean-François Spricigo
Jean-François Spricigo expose actuellement au Festival du Regard à Cergy une série de photographies sur le thème animal. D’où cette interview à propos de la définition de sa photographie, dans quelle expérience de l’être situe-t-elle son champ d’action, dans quelle résonance, quasi magnétique, s’opère l’inversion des pôles du quotidien, visible/invisible, ombre/lumière, amour/joie.
JEAN FRANÇOIS SPRICIGO; sur les cimaises du festival du REGARD. ©pascalTherme2025
Sans doute convient-il d’écouter / ré-écouter cette bande-son, celle du film projeté au Festival.
“J’ai appris la photographie avec un chien, c’était la nuit, enfin les nuits…. “ à écouter ce texte magnifique, qui nous arrive par cette voix profonde au timbre de pierres roulantes, mue par un texte touchant. A la rencontre d’une émotion, d’une voix, d’un souvenir à l’évocation de l’ami, du passeur d’ombre, de la personnalité animale d’ HIko, le chien de Jean François Spricigo ; nous ne pouvons que nous interroger, dans la foulée du promeneur nocturne et solitaire en la seule compagnie de cet accompagnateur magnétique, du voyage de la nuit, de la traversée de l’ombre, de la paix immémoriale qui en structure toute la présence dans la révélation. Toute une poétique nait de ce grand bonheur de l’entendre, clarté sur tant d’ombre, genèse du photographe grâce au passeur. Figure du chien qui habitait, en psychopompe, le panthéon égyptien, Anubis, grand canidé ou chien sauvage, dieu du passage et des embaumeurs….
INTERVIEW DE JEAN FRANÇOIS SPRICIGO RÉALISÉE au jardin des Tuileries, ce Dimanche 16 Février.
Pascal Therme: Comment te définirais-tu ?
Jean-François Spricigo: En être vivant à part entière apparentée à l’espèce humaine. Partant de là, on ne se confond pas dans tous les paradigmes narcissiques d’identité ou de fonctions, mais en étant relié à l’immensité de la vie qui, profondément, offre les potentialités à l’endroit des circonstances et à l’écoute que nous avons de ces circonstances. Les photos accrochées au Festival ont été choisies par Sylvie Hugues et Mathilde Terraube, elles sont issues des expositions précédentes organisées par ma galerie Camera Obscura, à Paris. On tenait à ce qu’il y ait aussi une relation charnelle, on va dire au papier. Néanmoins, le cœur de l’ouvrage en ce qui me concerne, est un diaporama vidéo qui m’a été demandé et que j’ai confectionné pour l’occasion; dans lequel il y a un texte, une musique et naturellement des photos.
©JF Spricigo, courtesy Galerie Camera Obscura Paris
Le photographe s’exprimant ensuite sur le film, précise que par ce texte racinaire, le don que lui a fait le chien de sa grand-mère HIKO, lors de leurs promenades au cœur de la nuit l’a ramené à l’essentiel, je crois du vivant, à l’essentiel qu’est l’amour. »
La traversée de l’ombre: C’est-à-dire que profondément la nuit n’a pas l’opacité qu’on lui prête. Il y a autant une profondeur que des qualités d’ombre, des natures d’ombre. Car, finalement une ombre en soi c’est absolument essentiel en génèrant les potentialités à être éclairée, à y mettre la lumière. C’est parce qu’il y a l’ombre qu’il y a la conscience, qu’il y a la quelque chose à éclairer. Donc je ne vois pas l’ombre comme quelque chose derrière laquelle se cacher, une menace ; mais au contraire, une main tendue au vivant. De la Vie, pour aller à l’endroit de nos lumières, et je me permettrai de citer un monsieur qui fut aussi très important pour moi, qui s’appelle Marcel Moreau et que je cite également dans le film: « ma vérité, c’est quand mes ténèbres sont expertes en Aurore », je trouve ça magnifique.
Pascal Therme: Je voudrais savoir comment cette traversée de la nuit et de l’ombre ont été un déclenchement sur le sur le plan conscient autant que sur le plan d’écriture photographique ; ce qui s’est produit ensuite dans l’image, comment cette expérience létale de l’ombre, qui est devenu une expérience vivante, a finalement initié quelque chose de cette, écriture photographique qui est si particulière.
Jean-François Spricigo: C’est expérientiel, charnel et sensuel. Pour éclairer une ombre, ça nécessite de s’en approcher, c’est par des contraintes et un protocole technique de prise de vues. Alors, forcément quand vous êtes à l’endroit de la nuit, vous descendez le temps de pause et, soudain, vous n’êtes plus à l’attention usuelle de figer les choses (parce que c’est ce qui semble induit en journée) ; vous rendez compte qu’il y a dans une temporalité plus vaste la possibilité non plus de saisir un instant décisif, comme il est convenu de l’appeler, mais d’essayer d’être à l’attention de la trépidation, de la palpitation, de cette respiration. Et de ce trouble là, nait pour moi, quelque chose qui a d’avantage à voir avec le Vivant, parce que profondément la fixité c’est quand même ce qui se rapproche le plus, d’un état de mort.
Pascal Therme: Quelle est la nature du lien entre l’admiration et l’émerveillement, j’ai cru comprendre qu’elle était une articulation profonde au sein de l’image qui conduit peut-être aussi à un lien à l’enfance, à la découverte, au voyage. Comment comment peux-tu en parler?
Jean-François Spricigo: Pour moi l’ émerveillement c’est, quelque part, la qualité de la sagesse. En cela, il me vient d’envisager que les deux jambes, en tout cas deux jambes possibles pour cette sagesse, ce serait l’insouciance et l’insolence, deux qualités caractéristiques que l’on prête souvent à l’enfance. Je trouve pertinent d’affirmer que l’enfance n’est pas tant une période de la vie qu’une zone géographique; on est, et c’est Brel qui dit ça, dans un endroit qui s’appelle l’enfance, cette enfance est toujours là…. être à l’endroit de cet émerveillement pour soudain se rendre compte qu’on a pas besoin d’ajouter quoi que ce soit et que, ce qui importe, c’est l’écoute, là où il y a la conscience que ce qui est essentiel; c’est pas mon existence en soi, dont on se fout, mais la disponibilité à la vie, qui la traverse profondément.
Tu vois, je suis pas la main qui dessine sur la vitre embuée de mon existence, je suis juste la chaleur au bout du doigt, c’est c’est la vie en moi qui décide. Chaque fois que je refuse, chaque fois que je revendique un titre, un rôle ou une misère, ça me ramène toujours à hier, et hier est déjà mort….
La suite est à suivre à l’écoute de Jean-François Spricigo et de ce qu’elle raconte des racines de son être là, en ce jardin des Tuileries, ce Dimanche 16 Février, à l’heure froide.
Pascal Therme, le 24/02/2025
L'amitié sauvage de Jean-François Spricigo
©JF Spricigo, courtesy Galerie Camera Obscura Paris
Eléments biographiques : Être vivant, apparenté à l’espèce humaine, souvent rigolo, à tendance enthousiaste, prompt à l’émerveillement et passablement impatient.
Son vertige est un prétexte à l’envol (il apprend encore à atterrir). Chaque jour, il explore l’intensité de la tranquillité, incluant les nécessaires orages pour éclairer la nuit.
Immense gratitude aux généreuses mains tendues, citées pêle-mêle tant chacune convie implicitement les autres Jacques Brel, Henry David Thoreau, David Lynch, Sielwolf, Pierre Desproges, Friedrich Nietzsche, Osamu Tezuka, ABBA, Éric Baret, Franz Schubert, Nine Inch Nails, Pixies, Will Ferrel, Stanley Kubrick, Marguerite Kardos, Itsuo Tsuda, Nirvana, Nelson Mandela, Alfred Schnittke, Mounir Hafez, Jiddu Krishnamurti, Simone Weil, Bill Evans, Marcel Moreau, Henri Michaux, Fernando Pessoa, et mes amis si essentiels.
Chaleureuse reconnaissance à Iris, Moggy et Hiko, leurs providentiels élans ont tant participé à vivifier les miens. À tous les autres singuliers compagnons sauvages aussi, rencontrés au bonheur des instants, toujours ils insufflent à la Beauté sa juste respiration.
Pour la joie du partage, remercier bien sûr It Never Entered My Mind par le Miles Davis Quintet et sa puissance dans la douceur.
Artiste associé au CentQuatre-Paris, représenté en galeries par Camera Obscura à Paris, la A.Galerie à Bruxelles et Louis Stern à Los Angeles.
Il est aussi l’un des photographes / vidéastes de l’agence PHOM Paris.
Il donne régulièrement des ateliers de création pour divers publics auprès d’institutions, centres d’art, associations, entreprises, fondations, écoles de tous niveaux et sections, et partout où il est possible d’en inventer.
Jean-François aime inconditionnellement la nature et les animaux, pour lui il n’existe aucune hiérarchie dans le respect : peu importe la forme choisie par la Vie, l’important est la Vie dans la forme. Ainsi pouvons-nous tous nous reconnaître intensément vivants.
Cette relation de tendresse l’inspire à vivre plus sereinement l’ordinaire inconstance de l’espèce à laquelle il appartient.
Pascal Therme, le 24/02/2025
L'amitié sauvage de Jean-François Spricigo