Les tremblements de l'âme de Chiharu Shiota - nous enchantent

Qu’elles intimident, surprennent ou apaisent, les installations de Chiharu Shiota ne manquent jamais de fasciner. En découvrant les enchevêtrements de fils que l’artiste imagine, auxquels se mêlent valises, robes ou encore fenêtres, on ne peut s’empêcher de s’interroger sur la quantité de matériaux employés, sur le travail requis pour les agencer. Pour ensuite se laisser emporter par cet élan vital qui deale avec la mort.

Chiharu Shiota Cell (« Cellule ») 2020 Aquarelle et pastel gras sur papier 56 × 42 cm © Adagp, Paris, 2024

Mais au-delà de cette technique extraordinaire, c’est sans doute l’universalité inhérente à l’œuvre de Chiharu Shiota qui confère à l’artiste sa remarquable capacité à inviter le public à se questionner. Bien qu’elle puise fréquemment son inspiration dans des situations personnelles ou intimes, elle poursuit avant tout une quête de sens autour de concepts immatériels : le souvenir, le traumatisme, la mort, et plus généralement, le thème de la présence dans l’absence, au centre de sa réflexion. À travers ces notions qui dépassent murs et frontières, l’artiste satisfait son ambition créatrice de se « rattacher aux sentiments humains dans leur sens le plus large », et permet ainsi aux visiteurs du monde entier de trouver en ses œuvres un écho à leurs propres émotions.

Au vu de sa portée universelle, la vision artistique de Chiharu Shiota trouve tout naturellement sa place au Grand Palais, lieu d’émerveillement où dialoguent les arts et cultures de tous les horizons. Co-organisée avec le Mori Art Museum de Tokyo et sous le commissariat de sa directrice, cette exposition monographique accueillie par le monument est la plus importante jamais dédiée à la carrière de Shiota en Europe. À travers sept installations à grande échelle recréées par l’artiste elle-même, elle offre une occasion inédite de découvrir l’essence de son œuvre et de se confronter à l’intense flot d’émotions et de convictions qui y est exprimé. Les visiteurs y sont ainsi conviés à ressentir, eux aussi, ces « frémissements de l’âme » qui rythment le monde intérieur et l’art de Chiharu Shiota.

Chiharu Shiota Connecting Small Memories (detail) (« Relier les petits souvenirs ») 2019-2024 Technique mixte Dimensions variables Vue de l’installation : Shiota Chiharu: The Soul Trembles, Mori Art Museum, Tokyo, 2019 Photo: Sunhi Mang Photo courtesy: Mori Art Museum, Tokyo © Adagp, Paris, 2024

« La mort fait partie de mon travail, mais j’y vois moins une fin en soi qu’un nouveau départ. Pour moi, elle représente un nouveau mode d’existence dans le cycle de la vie. La mort est un état qui nous entraîne dans un univers plus vaste. »

Chiharu Shiota

L’exposition en quatre images

Where are we going? 2017/2024

Les visiteurs seront accueillis à l’entrée de l’exposition dans l’escalier monumental par cette installation, suspendue au-dessus de leur tête. Des barques enserrées dans un tissage de fils blancs prennent l’allure d’ailes d’ange. Le blanc est symbole de pureté et de nouveau départ pour l’artiste. D’autres installations dans le parcours sont réalisées avec du fil rouge et du fil noir.

Chiharu Shiota Inside – Outside (« Dedans – Dehors ») 2009-2024

Selon Chiharu Shiota, d’autres peaux sont
au-dessus de la peau humaine. Le vêtement en est une deuxième et nos espaces de vie, une troisième. L’artiste a utilisé pour la première fois des fenêtres de Berlin dans une oeuvre d’art en 2004. L’installation est sans fils et présente une structure entièrement constituée de cadres de fenêtres usagés qu’elle a collectés sur les chantiers de construction de l’ancienne Berlin-Est.

Chiharu Shiota In Silence (« En silence ») 2002-2024

L’inspiration de Shiota émerge souvent d’une expérience ou d’une émotion personnelle qu’elle développe en préoccupations humaines universelles telles que la vie, la mort et les relations entre individus. Lorsqu’elle avait 9 ans, elle a assisté impuissante à l’incendie de la maison de ses voisins. Le lendemain, il y avait un piano brûlé devant leur demeure. Cet évènement a laissé une empreinte émotionnelle qui est à l’origine de l’installation. Un cocon de fils noirs s’élève d’un piano auquel Chiharu a mis le feu et la salle de concert vide invite à une méditation sur le son et son absence.

Chiharu Shiota - In The Hand 2017 (Photo: Ito Tetsuo © Adagp, Paris, 2024 )

Dans la première salle, cette œuvre en bronze, présente deux mains ouvertes desquelles s’échappent des fils métalliques, comme de fragiles aiguilles. La sculpture permet de donner une forme durable à ce que l’artiste recherche dans ses installations éphémères de fil : une émotion rendue visible... un frémissement de l’âme.

Vivre dans une mer d’incertitudes

[...] Pour Shiota, l’impossibilité de voir l’avenir est une motivation qui la pousse à créer, dans une sorte de quête des certitudes de l’existence. Les bateaux sont des intermédiaires entre la certitude et l’incertitude de la vie, de même que les valises, symboles du voyage et du mouvement. L’exposition commence par deux installations à motifs de bateaux – Where Are We Going ? (« Où allons-nous ? », 2017/2019) et Uncertain Journey (« Voyage incertain », 2016/2024) – et se termine par Accumulation – Searching for the Destination (« Accumulation – En quête de la destination », 2014/2024), œuvre composée de de quatre cent quarante valises suspendues au plafond en une chaîne ininterrompue. Ces bateaux et ces valises évoquent d’emblée l’un des problèmes insolubles auxquels notre société est confrontée aujourd’hui, que j’ai évoqué dans l’introduction : celui des réfugiés et de l’immigration. [...] « Les bateaux renvoient évidemment aux migrations, à l’exil et à la crise actuelle, mais ce n’est pas véritablement ce qui m’inspire », explique Shiota. « Quand je crée, j’ai envie de me rattacher aux sentiments humains dans leur sens le plus large. La question de la condition humaine fait donc partie intégrante de mon travail. Pour moi, le bateau symbolise un mouvement positif vers l’espoir, même s’il reste les incertitudes du voyage. » Tout en soutenant de ses propres mains son corps et son âme fragiles, Shiota continue donc d’explorer le sens de l’existence, de la vie et de la mort.

Reflection of Space and Time 2018

Notre première peau est la peau humaine. Les vêtements constituent notre deuxième peau. Dans ce cas, notre troisième peau n’est-elle pas constituée de nos espaces de vie, c’est-à-dire des murs, des portes et des fenêtres qui entourent le corps humain ?

Eleanor Rugby, le 27/01/2025
Chiharu Shioata - The Soul trembles ->19/03/2025

Grand Palais, 7 avenue Winston Churchill, 75008 Paris

Chiharu Shiota Where to Go, What to Exist – Photographs (« Où aller, quoi pour exister – Photographies ») 2010 Valise, photographies, fil et autres 40 × 50 × 43 cm © Adagp, Paris, 2024