Corinne Masiero, non conforme. Par André Gunthert

En l’espace de quelques jours, l’actualité nous a fourni une leçon emblématique sur le rôle attribué au corps des femmes dans l’espace patriarcal. Pour comprendre la violence des réactions suscitées par l’exposition du corps nu de Corinne Masiero aux Césars 2021, il suffisait de lire le sous-texte des agressions sexuelles publiques de Pierre Ménès, reproduites à l’occasion de la diffusion du documentaire de Marie Portolano.

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Si l’intolérable brutalité des embrassades forcées de l’animateur de Canal+, saluées par les applaudissements et les rires d’un public complice, soulève désormais la réprobation publique, d’autres éléments de comportement paraissent plus anodins. Ainsi de l’injonction au port d’un décolleté, qui fait l’objet d’un échange entre Pierre Ménès et Marie Portolano: «Dire à une fille qu’elle est jolie avec son décolleté, moi je trouve ça plutôt gentil. […] Je remarque qu’au niveau décolleté, tu m’as pas gâté aujourd’hui».

Cette dernière remarque résume exemplairement le pouvoir du regard masculin, qui impose aux femmes la normalité d’une présentation sexualisée de soi. Dans l’espace patriarcal, la convention qui règle la présentation du corps féminin est celle de la disponibilité et de la conformité aux normes de visibilité du regard voyeur. Si elle ne constitue pas une autorisation formelle d’agression, cette disponibilité visuelle peut servir d’excuse, et permet de rejeter la responsabilité du passage à l’acte sur la victime.

Quoique mis à nu et exposé aux regards, le corps de Corinne Masiero n’était pourtant ni conforme, ni disponible. Rompant avec les normes de jeunesse et de fragilité du féminin scopophile, ce corps ensanglanté présenté comme un affront, tatoué de slogans, poing levé, sans sourire, était autant l’affichage d’un dénuement qu’un acte de combat contre les codes du patriarcat. Le déluge injurieux qui a suivi l’exhibition de ce corps résistant a confirmé que l’espace public reste profondément déterminé par les lois de la soumission et de la sexualisation voyeuriste.

André Gunthert, le 25 mars 2021


André Gunthert est enseignant-chercheur, maître de conférences en histoire visuelle à l’EHESS depuis 2001. Spécialiste d’histoire de la photographie, il a élargi son champ d’étude aux usages sociaux des images, et compte parmi les premiers à avoir interrogé leur basculement dans l’ère numérique. Ses recherches actuelles sont consacrées aux systèmes narratifs de la culture visuelle. Il publie régulièrement ses travaux récents sur le blog L’image sociale.