Inquiétant retour de la répression au Chili
Si le 8 mars 2021 a été l’occasion d’importantes manifestations regroupant dans les villes du Chili, des dizaines de milliers de personnes pour célébrer la journée internationale des droits des femmes, il a aussi donnné lieu à une nouvelle vague de répression policière particulièrement inquiétante ; d’autant plus qu’elle a semblé se déchaîner avec une hargne particulière sur les manifestantes. Comme si les Carabiniers chiliens —ce corps de police militarisé du Chili— avaient reçu des ordres nouveaux, et en dépit des multiples dénonciations d’atteintes aux droits humains dont ils sont l’objet, s’étaient lancés dans une véritable fuite en avant répressive.
C’est ainsi que le 8 mars à Santiago, se sont multipliées, de la part des carabiniers, les interpellations et les agressions arbitraires de personnes, en grande majorité des femmes, qui manifestaient pacifiquement, ou qui couvraient comme journalistes et photographes les manifestations, ou encore qui appartenaient à des brigades de santé disposant de sauf-conduits officiels. Les nombreux témoignages sont à ce propos fort éloquents : insultes haineuses et menaces sexistes, coups injustifiées et violences gratuites, usage disproportionné de gaz lacrymogène destiné à blesser, passages à tabac dans les fourgons policiers, harcèlement sexuel, et jusqu’à des viols qualifiés.
Il a particulièrement été fait cas de l’arrestation arbitraire et préalablement ciblée de la journaliste de l’Observatorio Ciudadano, Paulina Acevedo, et de sa détention pendant 24 heures sous de faux motifs, les inculpations préalables d’attentat contre l’autorité et mise en danger de la santé publique ayant été par la suite abandonnées sans autre explication.
Une répression préparée et sélective
Mais si tous ces faits mettent en évidence l’existence au Chili d’une répression et d’une violence politico-sexuelle grandissantes, la nouveauté réside cependant dans le fait que cette répression semble cette fois-ci beaucoup plus préparée et sélective, objet de surveillances policières préalables et touchant expressément des journalistes connus pour leur engagement social ou encore des brigadistes en santé appréciés pour les soins qu’ils apportent aux manifestants blessés. Plus généralement elle s’en prend aux jeunes étudiants et étudiantes luttant pour la libération des nombreux détenus, emprisonnés depuis la rébellion du 18 octobre 2019. Elle a été de plus accompagnée ces derniers jours par de nombreuses perquisitions préventives menées par les carabiniers dans les « comedores populares » du grand Santiago, où est offerte par des organisations sociales de l’aide alimentaire destinée à soutenir ceux et celles qui ont été brutalement appauvris par les suites de la pandémie. Faisant penser à beaucoup à un retour en dictature !
Il est vrai que le gouvernement du Président Pinera actuellement au pouvoir, se présente comme un gouvernement démocratique et paraît en avoir tous les attributs, même si les sondages ne lui donnent que des appuis minimes. Sauf que depuis le vaste mouvement de rébellion sociale né fin 2019, il s’est obstinément refusé à répondre aux gros des demandes sociales du peuple chilien. Lâchant il est vrai du l’est du côté d’une Convention constitutionnelle au pouvoir néanmoins strictement balisé et dont les constituants vont être élus au mois d’avril prochain, il cherche par contre par tous les moyens à faire taire la protestation sociale venant de la rue, et en particulier le mouvement féministe qui en est devenu un des principaux protagonistes.
Comme une armée d’occupation
C’est sans nul doute la raison pour laquelle, malgré de nombreux cas de corruption et d’abus avérés (ayant d’ailleurs récemment forcé la démission du directeur général des carabiniers), la police chilienne continue de se comporter en toute impunité comme une véritable armée d’occupation, bénéficiant non seulement d’un soutien sans faille des autorités gouvernementales chiliennes, mais aussi du silence complice de bien des nations des Amériques qui, comme le Canada, professent pourtant leur attachement à la protection des droits humains, et plus particulièrement à la valorisation des droits des femmes, tout en se gardant bien d’élever la voix quand la vie et la dignité des femmes sont concrètement en jeu.
Ne serait-il pas temps que cela change ?
Pierre Mouterde, le 10 mars 2021
Sociologue, essayiste
Membre de la Mission d’observation québécoise et canadienne d’observation des droits humains au Chili