Alexeï Navalny, un post sur l'amour
Ioulia et moi, le 26 août, nous avions un anniversaire, — nos vingt ans de mariage, mais c’est tant mieux si je l’ai raté et si, ça, je peux l’écrire aujourd’hui, parce j’ai appris sur l’amour un petit peu plus que je n’en savais il y a un mois.
Vous avez déjà vu ça cent fois, bien sûr, dans les films et vous l’avez lu dans les livres : il y a quelqu’un qui aime, et qui est dans le coma, et il y a quelqu’un d'autre, qui, par son amour et le souci constant qu’il a de lui, le ramène à la vie. C’est cela, bien sûr, qui nous est arrivé, à nous aussi. Nous avons suivi les canons des classiques du cinéma sur l’amour et le coma. Je dormais, je dormais, je dormais. Ioulia @youlia_navalnaya arrivait, me parlait, me chantait des chansons, allumait la musique. Je ne vais pas vous mentir, je ne me souviens de rien.
Par contre, je vous raconterai ce dont, moi-même, je me souviens à coup sûr. Plutôt, je doute qu’on puisse appeler ça un « souvenir », plutôt un agglomérat des sensations et des émotions les plus primales. Et cet agglomérat, il est si important qu'il s’est imprimé dans ma tête pour toujours. Je suis couché. On m’a sorti du coma, mais je ne reconnais personne, je ne sais pas ce qui se passe. Je ne parle pas, et je ne sais pas ce que c’est que parler. Et tout mon temps se passe à attendre le moment où elle viendra, Elle. Qui est elle — ce n’est pas clair. À quoi elle ressemble — ça non plus, je ne sais pas. Même si j’arrive à voir quelque chose avec mes yeux qui n’arrivent pas à se focaliser, je suis juste incapable de me souvenir de l’image. Mais Elle est quelqu’un d'autre, ça, je le comprends, et c’est pour ça que je reste tout le temps couché et je l’attends. Elle arrive et, dans la chambre, elle devient l’essentiel. Elle m’arrange mon oreiller d’une façon tellement confortable. Elle me raconte je ne sais pas quoi. Quand elle est près de moi, les hallucinations imbéciles s’éloignent. Je suis très bien avec elle. Ensuite, elle s’en va, je me sens triste, et, de nouveau, je me remets à l’attendre.
Je ne doute pas une seule seconde que cela ait une explication scientifique. Du type, je saisissais le timbre de la voix de ma femme, le cerveau produisait de la dopamine, je me sentais mieux. Et l’effet de l’attente augmentait la réponse de la dopamine. Mais quelle que puisse être l’explication scientifique et scolaire, là, maintenant, il y a une chose dont je suis certain, pour l’avoir vécue : l’amour guérit et ramène à la vie. Ioulia, tu m’as sauvé, et je veux qu’on ajoute ça dans les manuels de neurobiologie. »
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Mon salut à Ioulia et Alexéï. Heureux anniversaire. Nous avons tellement, mais tellement besoin d’eux.
Alexei Navalny, le 20 septembre
Traduction André Markowicz, que nous remercions pour son travail d’information surce qui se passe en Russie