Les copeaux et la forêt, (re)fermeture des théâtres. Par André Markowicz

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C’est peut-être le pire de tout, les circonvolutions du gouvernement autour des aménagements possibles, pour le théâtre et le cinéma. « Il faut qu’on l’étudie », nous explique, — je découvre ça, — le premier ministre. Ce qui, très concrètement, signifie qu’ils ne l’avaient pas étudié avant, c’est-à-dire qu’ils ont décrété ce couvre-feu, comment dire ? à la hache, comme sous l’effet de la précipitation, pour ne pas dire de l’affolement. Du coup, je pense à ce proverbe russe, pour expliquer beaucoup de choses, « quand on abat une forêt, il y a des copeaux qui volent. »

Parce que, pourquoi les théâtres doivent-ils fermer dans les « huit métropoles » en question ? est-ce qu’ils sont des lieux de propagation du virus ? Evidemment pas plus que le métro ou les trains, où, nous dit-on, il y a moins de 1% des contaminations qui se produisent (c’est vrai, ça ?). Et si c’est le cas, c’est grâce à l’invraisemblable travail de réorganisation des espaces et des flux de personnes que les théâtres ont réalisé, — et toute personne qui connaît un peu le théâtre a vu et entendu les plaintes atterrées des gens qui y travaillent pour parvenir à le ré-organiser, ce flux — et grâce, aussi, évidemment, à la discipline des spectateurs eux-mêmes, qui ne protestent pas, qui font de longues queues, à distance requise, avant d’entrer dans les salles, gardent le masque pendant les heures que durent les spectacles, se lavent les mains, bref, font tout ce qu’ils peuvent. Non, les théâtres, j’ai l’impression, sont fermés simplement parce qu’il ne faut pas que les spectateurs soient dans la rue à 21h, sans aucune autre considération pour rien. Et là encore, comme pendant le confinement, nous sommes soumis à la statistique.

Que faire ? On peut jouer le dimanche... parce que, d’habitude, les représentations, le dimanche, sont à 16h. Je ne sais pas ce que feront les lieux, ensemble ou séparés, mais je me dis que c’est comme une espèce de sarcasme. — Et puis, bien sûr, il y a des lieux en France où le couvre-feu ne s’applique pas, et où l’on peut jouer. Et là encore, pour un spectacle qui tourne, ça fait des tournées à trous — des tournées encore plus trouées que d’habitude. Enfin, je ne sais pas comment tout ça peut s’organiser. Ni si ça doit s’organiser, puisque c’est censé ne durer qu’un mois ou six semaines. (Et je préfère ne pas lire les bonnes âmes qui veulent réduire, pour un mois, tous les spectacles à une durée maximum d’une heure 30, là, maintenant — je trouve ça tellement bête, comme idée, tellement dans l’air, si je puis dire, du temps que je préfère ne pas commenter.)

Parce que, pourquoi ce couvre-feu ? Bien sûr pour que les gens ne tombent pas malades, mais, beaucoup plus, parce que les lits de réanimation ne sont pas assez nombreux, malgré tous les malgrés, — et qu’au total, les politiques d’économie du service public que nous avons subies depuis l’instauration du capitalisme « libéral » reviennent infiniment, mais infiniment plus cher que toutes les dépenses possibles et imaginables qu’on aurait pu faire pour, juste, que les gens aient des services publics qui marchent un tant soit peu et ne soient pas soumis au dictat du rendement.

Ce n’est même pas de la tristesse, pas de la désolation. Pas de l’accablement non plus. Tout ça ensemble, bien sûr. Et cette sensation, à l’évidence, de l’incroyable fragilité du monde qui s’est construit autour de nous. Et puis, cette révolte, très profonde — non pas devant la maladie, non. Devant ce couperet qui ne distingue pas. Et puis, une autre sensation, étrange, sur laquelle j’aurais du mal à mettre des mots. Appelons-la comme ça : la solidarité des copeaux.

André Markowicz, le 16 octobre 2020


Traducteur passionné des œuvres complètes de Dostoïevski (Actes Sud), Pouchkine et Gogol, poète, André Markowicz nous a autorisés à reproduire dans L'Autre Quotidien quelques-uns de ses fameux posts Facebook (voir sa page), où il s'exprime sur les "affaires du monde" et son travail de traducteur. Nous lui en sommes reconnaissants. 

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