Bruxelles et la Moldavie : petits ratés entre amis
Il est des erreurs sur lesquelles Bruxelles la vertueuse ne communique pas plus que n’importe quel gouvernement d’Etat national. Et dont vous n’entendrez guère parler parce que la presse regarde de plus près les fautes, fadaises et gourantes de la France, de l’Allemagne et du Royaume-Uni, puissances historiques aux desseins suspects. Pourtant, il conviendrait d’admirer avec quelle constance l’Union Européenne organise le non-non-sens, favorise des voleurs et conforte le pouvoir d’abrutis dans son glacis oriental. Avec la bénédiction des dirigeants des deux grands partis de gouvernement des Etats-Unis.
Prenons la Moldavie, dont il serait de mauvais goût de raconter les déboires dans un cocktail diplomatique. On sait que cette malheureuse république est constituée en 1945 par l’essentiel de l’ancienne « Bessarabia » que l’empire russe avait arrachée à la Roumanie historique, celle des moldo-valaques, rendue aux Roumains entre les deux guerres… La Moldavie ne pèse pas lourd avec ses 3,3 millions d’habitants et son million et demi d’expatriés. Une diaspora récente qui n’a pas l’influence de celles de républiques pas plus peuplées mais stratégiquement plus cruciales comme la Géorgie et l’Arménie. De cette Moldavie, l’Européen moyen ne sait rien ou presque, sinon qu’elle est carpatique ; à tel point qu’on la dirait inventée par Hergé dans la foulée de ses Syldavie et Bordurie rivales.
Il ne s’appelle pas Plexiglass et ne ressemble pas aux dictateurs militaires des années 1930 mais c’est tout comme : Vlad Plahotniouk a gouverné et presque privatisé à son profit la totalité d’un petit pays occupant une surface de l’ordre de 85% du territoire belge ! De ce terrible Vlad, vous apprenez subitement, le 29 juillet dernier, qu’il était un odieux oligarque jadis fondateur du Parti démocrate moldave. Et qu'il choisissait de renoncer à tous ses mandats politiques à Chisinau pour s’évanouir dans la nature ou plutôt exactement jouir de ses rentes à Miami. Car, voyez-vous, Vlad se sentait menacé dans le pays qu’il a gouverné neuf ans. Comme s’il avait été chassé manu militari.
Or, pas du tout, sa fuite a été l’épilogue d’un bras de fer entamé en juillet 2018 avec la société moldave que soutenait soudainement tous les parrains extérieurs de cette pseudo-démocratie. Un peuple docile et fataliste essaya de faire pression en occupant massivement les immenses places et avenues héritées du « socialisme réel ». Plahotniouk ne cède pas mais négocie pour gagner du temps et concède la tenue d’élections. Il se fâche contre le Président Dodon, un ancien communiste soutenu par Moscou avec qui il pensait pouvoir s’accorder. Hélas, ni le Kremlin, ni Bruxelles ne veulent composer avec un homme dont les uns et les autres avaient longtemps apprécié la redoutable efficacité !
Il faut donc partir et se faire à la venue au pouvoir d’une coalition improbable réunissant un président inféodé au Kremlin et un bloc de partis pro-européens nommé ACUM dont le projet commun est le démontage du système Plahotniouk sous la surveillance de Moscou et grâce à l’amicale assistance de la Commission Européenne, la générosité des contribuables des pays les plus riches de l’UE… « Désoligarquiser » est le nouveau mot d’ordre. Libérer les institutions de l’emprise de la pieuvre oligarchique. Ah ? Mais je croyais que ces garçons entreprenants allaient être les moteurs de la démocratisation et l’accession au confort pour le plus grand nombre ? Vlad n’était-il pas arrivé sous l’étendard du programme libertarien (léger en coûts sociaux et structurels ), un providentiel chevalier pourfendeur des dettes publiques ?
Plahotniouk a eu peur d’être incarcéré. Pourtant, il ne manquait pas d’amis dans tous les secteurs de la vie publique moldave ; il a réformé le haut conseil de la magistrature et viré tous ceux qui pourraient lui opposer résistance, le conseil supérieur de la procurature idem, les instances de surveillance des médias qui auraient pu s’inquiéter de la concentration de toutes les chaînes… il avait prévu de garantir un changement de constitution en douceur, instaurer un régime moins parlementaire, purger l’Etat de sa graisse, se faire élire président.
C’était aller un peu vite peut-être ? Trop bien lancé par Joe Biden et adoubé par J-C. Juncker, la tête lui a tourné. Les neuf dixièmes des journalistes européens avaient été briefés : rien sur la Moldavie sinon pour brocarder Dodon, vieux bureaucrate du PCUS. Sauf que le pays est en ruines, l’Etat en cessation de paiements, les subsides de Bruxelles étonnamment évaporés. Et que la rue accuse Plahotniouk de ce siphonnage juteux (au moins 500 millions d’euros). Une rue qui fait émerger des militants anti-corruption dont l’existence était insoupçonnée mais qui se montrent à présent en mesure de diriger des ministères, comme Andreï Nèstase qui a pris celui de l’intérieur. Ce 30 juillet 2019, le président Dodon faisait son ami Dmitri Robou procureur général dans un grand silence médiatique et une sorte d’approbation tacite de Bruxelles, il nommait en Pavel Voïkou un ministre de la défense qui ne veut pas rompre avec Moscou et le dit tout haut ! Un délit qui n’est pas réprimandé par son premier ministre pro-européen, une dame que l’on dit incorruptible. C’est que l’option ni OTAN / ni Moscou a été adoptée par cette coalition qui sait bien qu’il faut vendre des fruits et des alcools en Russie sans pour autant cesser de projeter l’intégration européenne sur le long terme. Un choix en demi-teinte comme celui des Arméniens…
Les nuances de gris sont souvent plus réalistes que le gros trait noir sur blanc. Dans le cas arménien, le choix est limité par l’enclavement géographique, la prison des frontières avec deux pays ennemis, les servitudes de la route qui traverse le Caucase, cordon ombilical avec la Russie, et qui mène à l’Iran dont le gaz est vital. Mais la Moldavie ? Excentrée sans doute mais pas enclavée, limitrophe de la Roumanie dont elle partage la langue, c’est à dire d’un pays entré dans l’UE en 2004. Une Moldavie divisée par une frontière linguistique et politique entretenue par Moscou comme à revers de l’Ukraine frondeuse… Une Moldavie qui n’avait pas démérité et rêvait d’une perfusion continue d’Euros, d’un accès libre au marché du travail européen ( ses malheureux ressortissants forment de gros bataillons de travailleurs clandestins en France, Autriche, Italie ). Une Moldavie soudain circonspecte ? Chat échaudé… La bureaucratie européenne a cautionné des voleurs, gaspillant des centaines de millions consentis à la légère à des prestataires douteux. Bref, on a fait pire qu’en Bulgarie en 2008, et on s’est étonné de résultats semblables. On va essayer de tourner discrètement la page, éviter de remuer la fosse septique… d’autant que les millions de Vlad ont dû faire des heureux outre Atlantique et qu’il ne risque pas d’être extradé.
Léon Mychkine, 17 août 2019