Hong Kong : pourquoi il fallait participer aux élections

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Ce qui est remarquable dans l’exemplaire mouvement de protestation des Hongkongais, et le rend si différent de ce qui s’est passé l’an dernier en France, c’est qu’il ait refusé de condamner les émeutes, tout en continuant à manifester en masse pacifiquement à chaque occasion importante, ne se soit jamais divisé entre “légalistes” et “black bloc”, comme si les deux formes de lutte ne se complétaient pas pour obtenir la victoire, n’ont pas perdu leur temps à faire de la politique à l’ancienne tout en s’imaginant au-dessus des partis, ou à mépriser ouvertement les syndicats, et jusqu’aux partis qui défendaient l’essentiel des revendications des Gilets jaunes. Les Hongkongais ont inventé un pragmatisme qui n’exclut pas le romantisme et le jusqu’au boutisme. Et entretenu le dialogue entre eux. C’est donc sans surprise que les plus radicaux des radicaux, qui occupaient encore la semaine dernière les universités assiégées, menant un combat sans merci, aient appelé à aller voter hier. Chose inimaginable en France. Les Hongkongais se sont donc mobilisés en masse dimanche pour les élections locales, presque six mois après le début de la contestation. La mouvance pro-démocratie veut utiliser les urnes pour accroître la pression sur les autorités. De 47 % seulement lors des élections de 2015, la participation a bondi cette fois-ci à 71 %. D’après le South China Morning Post ce matin, concernant 235 sièges, les candidats pro-démocratie en remporteraient 196, contre 27 pour des candidats pro-Pékin et 12 pour des candidats indépendants. C’est une victoire remarquable après la violence des affrontements de ces derniers mois, à mettre en parallèle et comparer avec le vote majoritaire pour le “parti de l’ordre” en France après seulement quelques nuits de barricades en mai 68. L’essentiel est de savoir ce qu’on veut. Et d’utiliser tous les ressources à sa portée pour l’obtenir.
L’Autre Quotidien

Le grand mouvement contre le projet de loi d’extradition a finalement réussi à forcer le gouvernement de Carrie Lam à retirer le projet de loi le 4 septembre. Pourtant, cela n’a pas réussi à apaiser le mouvement en cours, non seulement parce que quatre autres revendications n’ont pas été satisfaites, mais aussi parce qu’au cours des trois mois écoulés, le mouvement a bien mis en évidence la véritable intention du Parti communiste chinois qui est de vider de sa substance toute l’autonomie de Hong Kong et de la remplacer par le contrôle direct de Pékin, de la police locale et de la mafia.

Cela explique pourquoi le gouvernement a imposé le projet de loi anti-masque un mois plus tard, suivi d’une interdiction régulière des manifestations.

Néanmoins, la population a défié l’interdiction et à manifester de façon illégale. Le mouvement s’est transformé en une grande bataille pour défendre l’autonomie de Hong Kong.

Le 11 novembre, un appel à la grève et au boycott des cours a été lancé. Le combat entre les étudiant.es et la police entre le 11 et le 14 novembre a été impressionnant. Ils/elles ont occupé les campus pendant quatre jours.

L’occupation de l’Université Chinoise (CUHK) était la plus importante. La raison en est que de nombreux/euses étudiant.es d’autres universités sont venu.es la renforcer, et ont rendu possible la résistance aux attaques policières dans la nuit du 12 juin novembre.

Cependant, le manque d’organisation et d’organes de coordination au sein de cette occupation ont accentué les divergences tactiques entre les étudiant.es de CUHK et les personnes extérieur.es au campus. Les premier.es étaient en colère à cause de la destruction d’installations par des étudiant.es extérieur.e et leur comportement irréfléchi. Finalement, la direction de l’université a fermé tout le campus et l’occupation a pris fin.

Quant à la grève, il s’agissait du troisième appel à la grève, mais elle n’a pas été non plus couronnée de succès.

Il est vrai que beaucoup de gens ne se sont pas rendus au travail ce jour-là, non pas parce qu’ils/elles ont décidé de faire grève, mais parce que des étudiant.es, en occupant des campus situés près de 30 routes principales ou voies ferrées, ont pratiquement paralysé la moitié de la zone la plus occupée de Hong Kong. Mais il s’agit d’actions auxquelles les gens ordinaires, qui ont un emploi, ne peuvent pas se joindre ou ne sont pas prêt.es à se joindre.

Le succès de la grève générale du 5 août restera dans les mémoires, mais dès le 2 septembre, un deuxième appel à la grève a échoué car la plupart des gens craignaient des représailles du pouvoir de Pékin.

Ce dernier a déjà montré ses griffes après la grève du 5 août en faisant licencier par la direction de Cathy Pacific des responsables syndicaux et plus de 30 employé.es.

Dans la mesure où les étudiant.es et les syndicats n’ont pas été en capacité d’empêcher le licenciement de grévistes, il ne faut pas s’étonner que les deux autres grèves n’aient pas été bien suivies.

D’un côté, le danger d’un rétrécissement de la base de masse des actions radicales se fait de plus en plus sentir. Simultanément, le nombre de personnes qui sortent pour manifester malgré l’interdiction a également diminué. Le mouvement est dans un goulot d’étranglement. Il ne peut pas monter en puissance face à une répression gouvernementale aussi sévère.

Mais d’un autre côté, certains signes montrent que l’appui aux cinq revendications du mouvement s’élargit également. Ceci est le résultat de la politique dure du gouvernement et de la brutalité policière.

Chaque fois qu’il y a des affrontements, la police poursuit les manifestant.es aux alentours et tire des gaz lacrymogènes. Cette pratique mécontente profondément celles et ceux qui, au début, sont resté.es neutres ou ont même appuyé la politique du gouvernement.

L’un des résultats positifs de ce mouvement est qu’à partir du mois de septembre, les manifestations locales sont devenues très courantes, ce qui n’avait jamais été le cas auparavant.

De jeunes militant.es prennent conscience de l’importance des luttes ouvrières et appellent maintenant à rejoindre les syndicats, ou à en constituer de nouveaux. L’appel d’un jeune fonctionnaire à former un nouveau syndicat d’employé.es de la Fonction publique a reçu une très bon écho. Les médias ont rapporté que des centaines de fonctionnaires se sont syndiqué.es.

Cela constitue également une réaction face aux syndicats traditionnels qui ont été lents à réagir dans une telle période de turbulences, bien qu’on leur doit leur reconnaître le mérite d’avoir soutenu la grève du 5 août. Sans cette grève, il n’aurait pas été possible de prouver aux Hongkongais.es la légitimité du mouvement ouvrier, et d’attirer vers lui une nouvelle génération de militant.es.

Les élections locales sont prévues pour le 24 novembre. Certains membres des partis libéraux ont appelé le mouvement à rester à l’écart de formes radicales de désobéissance civile qui donneraient au gouvernement une excuse pour annuler les élections, ce que les partis pro-Pékin réclament. Ces derniers craignent en effet qu’avec la popularité des cinq revendications du mouvement (avec plus de 60 à 70 % de soutien), ils pourraient subir une défaite catastrophique.

Il existe une part de vérité dans l’argumentation des libéraux, mais celle-ci doit être réévaluée dans le contexte d’une compréhension de ce qui suit :

Certes, les conseils locaux de Hong Kong ne sont que des organes consultatifs qui n’ont pas le pouvoir de décréter des impôts ou d’administrer des services publics locaux.

Mais si ces élections sont importantes, c’est avant tout parce que pourra s’y exprimer la colère de la population.

AU LOONG-YU
Traduit de l’anglais par DL