D'où vient et où va l'extraordinaire mouvement des Gilets Jaunes (3) par Jacques Chastaing

Les gilets jaunes ont allumé d'autres mèches que sur les rond-points

L'inédit qui a subverti l'ordinaire a allumé une mèche, cette mèche de la fierté populaire, du refus de s'incliner, de s'accommoder, de plier, de se soumettre, de l'espoir de gagner.

Or si jusque là, les salariés des grandes entreprises et services se contentaient d'approuver et soutenir les Gilets Jaunes en restant spectateurs, la durée du courage au combat et le succès de l'obtention de la prime exceptionnelle au bout de ce combat sont peut-être bien en train de changer la donne et d'entraîner d'autres catégories dans la lutte et cette fois-ci la grève.

Ainsi, très proches socialement des gilets jaunes, les "blouses bleues", des agents d'entretien ou d’accueil des écoles, des Atsem des cantines scolaires, des crèches qui sont très majoritairement des femmes, sont entrés en lutte contre les salaires misérables, les conditions de travail lamentables, des horaires pénibles, des contrats douteux. Pour le moment le mouvement est massif mais localisé, à Marseille, Montpellier, Aix en Provence, ponctuellement à Grenoble et de manière plus dispersée dans le pays. Mais il est aussi très déterminé, en grève illimitée pour la plupart et affirmant sa volonté de tenir jusqu'aux vacances de février s'il le fallait. Un moment interrompu par les vacances scolaires de Noël, il devrait reprendre dès la rentrée scolaire du 7 janvier, peut-être encore plus important.

Les grèves dans ce secteur sont fréquentes mais souvent invisibles du fait du mépris qui accable ces femmes salariées. Or, on peut parier que la place centrale que se sont données les femmes qui travaillent, les femmes du peuple dans les dernières luttes et chez les Gilets Jaunes  - ce que leur a reconnu la presse - ne peut que jouer un rôle dans l'encouragement et la visibilité du combat des « blouses bleues ». 

Cela d'autant qu'un autre secteur professionnel, proche socialement de celui-ci, a annoncé sa volonté d'entrer à son tour dans la lutte. Ce sont les salariés des maisons de retraites (ehpad) dont on a déjà vu le rôle important début 2018, les sous-prolétaires de la santé, des femmes encore, qui ont promis mille Assemblées Générales de mobilisation d'ici fin janvier pour établir leurs cahiers de revendications et décider d'entrer en grève le 31 janvier pour l'anniversaire de leur grève si leurs revendications ne sont pas satisfaites. 

Enfin, encore, très proches aussi socialement des Gilets Jaunes, des femmes toujours, des aides à domicile et auxiliaires de vie qui sont 500 000 à s'occuper des personnes âgées à domicile, annoncent localement des grèves à la rentrée.

Or tout cela pourrait faire un pont entre le mouvement salarié et le soulèvement des Gilets Jaunes.

Par ailleurs, deuxième secteur qui s'ébroue dans le sillage des Gilets Jaunes, bien des employés ont menacé d'entrer en lutte, y réfléchissent ou sont carrément en grève pour bénéficier eux-aussi de la prime exceptionnelle Macron ; ce sont ceux d'Amazon, d'Europac, d'Apple, de Kalhyge, des Galeries Lafayette,  de Carrefour, les agents municipaux de la Ville de Paris, des transports en commun du Havre, certains à Kiabi, des postiers qui trouvent que ce qui leur est accordé est insuffisant et puis encore, ce qui est peut-être plus marquant avec dans l'industrie, des ouvriers de Lisi-Creuzet Aerospace ou encore d'Industeel-ArcelorMittal... deux entreprises importantes en France. 

Enfin, les fonctionnaires, exclus des promesses de Macron, veulent aussi la prime exceptionnelle promise et l'augmentation qu'ont eue les policiers. Pour cela ils ont posé des préavis de grève pour la rentrée de janvier. La police technique et scientifique pour sa part entre en grève illimitée le 31 décembre et les enseignants s'organisent par internet en dehors des structures syndicales... le monde des salariés bouillonne.

Quand au mouvement des Gilets Jaunes, il ne faiblit pas malgré ses huit semaines. Il a passé les fêtes sans encombre alors que les vacances scolaires, traditionnellement, arrêtent tout : les gilets jaunes ont manifesté en masse le 22 décembre, le 29 décembre, le 31 décembre, le 5 janvier et annoncent déjà une reprise encore plus importante le 12 janvier. 

Alors, la seule véritable inconnue pour le moment reste l'ampleur de l'effet de la pression des Gilets Jaunes sur les salariés des grandes structures et sur les militants du mouvement ouvrier organisé. Il ne faudra pas attendre bien longtemps pour le savoir car les secteurs professionnels des grandes structures économiques ne sauraient tarder à entrer à nouveau en scène dans de brefs délais, que ce soient pour les primes promises par Macron ou pour les NAO, négociations traditionnelles sur les salaires, le seul élément manquant étant la date et l'ampleur

Retenons pour le moment l'essentiel : la résignation a pris fin. Cela faisait déjà un moment et cela se traduisait par une multitude de luttes comme le pays n'en avait pas connues depuis longtemps, luttes sociales, économiques, écologiques, sur le terrain des migrants, des femmes... Mais avec les soulèvement des Gilets Jaunes, la rupture avec la résignation s'est montré unifiée à grande échelle, avec une détermination comme jamais, prenant du coup la dimension politique révolutionnaire de cette ampleur et de cette détermination. 

Il ne s'agit plus de l'ampleur d'une multitude de luttes défensives pour préserver tel ou tel acquis partiel mais d'une vaste lutte offensive commune des plus pauvres ; des exclus, des humiliés et méprisés pour conquérir un nouveau monde : soudain le pouvoir des dirigeants, des puissants, des riches comme des capitalistes est discuté, contesté, fustigé sur tous les tons par des dizaines ou des centaines de milliers de personnes qui le font ensemble et mesurent à chaque moment les évolutions de leur conscience commune. 

Les ronds-points occupés – entre 350 et 2 000 suivant les moments mobilisant des dizaines et des dizaines de milliers de personnes en permanence qui s'installent dans un combat qui va durer - sont devenus des sortes de ZAD élargies à une grande partie de la population, des villages d'Astérix irréductibles, mais plus que des points de résistance, sont des parlement du peuple, des baraques du peuple – comme hier les Maisons du Peuple -  où on se parle, on accroît son intelligence politique, on y affirme sa fierté d'avoir fait reculer les puissants,  on invente des systèmes de démocratie directe et où on refait le monde avec joie.

Il sera difficile de revenir en arrière. Une étape est assurément franchie. 

Alors on ne peut certes pas savoir à l'avance où va aller ou « finir » ce mouvement mais on peut être sûr qu'il va durer, avoir des conséquences déterminantes sur les autres forces sociales du pays comme d'ailleurs sur la planète et on peut décider d'en être pour à chaque pas dire ce qu'on veut ou ne veut pas, dire où on souhaite aller.

Jacques Chastaing, 5.01.2019.