J.-M. Blanquer : obsession de la laïcité et vision réactionnaire de l’enseignement

Le ministre de l'éducation, Jean-Michel Blanquer, continue son action « volontariste » comme il la qualifie lui-même, pour défendre son interprétation toute personnelle et rigoriste de la laïcité. Dans un entretien-fleuve accordé à l’hebdomadaire l’Express, il aborde différents sujets qui vont de la laïcité à Parcoursup (1).

La duperie de la laïcité

Concernant le premier sujet, le ministre a présenté mercredi 29 mai sa nouvelle mesure phare, à savoir la distribution aux enseignant·e·s d’un livret laïcité, vade-mecum dont le but est d’« annoncer clairement ce qu'on attend et ce qui est du domaine de la sanction. »

Le livret, qui remplacera celui élaboré par sa prédécesseure Najat Vallaud-Belkhacem, s’intègre dans un dispositif plus large qui comprend des « unités laïcité (2) » dans chaque académie, et un « Conseil des sages de la laïcité ». Ce conseil, aussi hétéroclite que contesté, est composé de Laurent Bouvet cofondateur du Printemps républicain, de Rémi Bague, membre de l’Académie catholique de France, d’Alain Seksig, ex-président de la commission laïcité du Haut Conseil à l’intégration et favorable à l’interdiction du voile à l’université, ainsi que de la sociologue Dominique Schnapper et de l’islamologue Ghaleb Bencheikh (3). Et c’est précisément ce conseil qui a été chargé par le ministre de rédiger le livret laïcité.

Celui-ci a été nettement enrichi par rapport à la version précédente puisqu’il est passé de 32 à 83 pages. Mais ce n’est pas le seul point de différence car Jean-Michel Blanquer juge le document présenté par sa prédécesseure trop axé sur la prévention. La nouvelle version se veut plus offensive et accentue l’action et la répression : « Il faut aussi apporter des réponses, expliquer et sanctionner si besoin, dans les cas où les atteintes à la laïcité sont manifestes et n'ont pu être empêchées par la prévention ».

Mais lorsque la journaliste lui demande des éléments concrets et des chiffres précis concernant les signalements, c’est le flou artistique. Le ministre évoque le cas d’un professeur juif qui faisait l’objet d’insultes lorsqu’il était recteur (de Guyane) et « un mélange de 280 signalements de choses extrêmement différentes ». Force est de constater que si ces remontées sont extrêmement diverses, c’est qu’elles ne concernent pas toutes la laïcité. Combien constituent réellement une atteinte à la laïcité ? On ne le saura pas dans cet entretien. En revanche, Jean-Michel Blanquer se plait à poser des situations tout droit sorties de son imagination prolifique comme celle d’« un élève de sixième qui crie "Allahou Akbar » dans une visite ou « remet en cause des vérités scientifiques ». Autrement dit, un enfant de onze ans qui dirait « Dieu est grand » fera l’objet d’un signalement. Un autre qui se poserait des questions concernant l’origine du monde – rappelons au passage n’en déplaise au ministre, qu’il n’existe aucune vérité en la matière mais seulement des hypothèses – sera également signalé. Comment forger l’esprit critique des élèves ? En leur inculquant la censure et leur imposant le silence ?

Le vade-mecum de la laïcité nouvelle formule compte par ailleurs une fiche sur l’identification des signes et tenues des élèves. Le livret prévoit d’étudier la tenue « au cas par cas si le signe ou la tenue que porte l'élève démontre sa volonté au travers de son comportement de manifester une appartenance religieuse ». Il rappelle également la jurisprudence : « Ainsi, il a été jugé que le port quotidien, par une élève de collège, d’une jupe longue de couleur sombre ainsi que d’un bandana couvrant partiellement sa chevelure, devait être considéré comme une manifestation ostensible d’appartenance religieuse au regard de l’association systématique de ces vêtements et du refus constant de modifier sa tenue vestimentaire. » Dans ces conditions, la porte est ouverte pour signaler un enfant de primaire, voire de maternelle, qui lâcherait « hamdoulillah » après un petit rot dans la cour de récréation. On voit bien par-là quelle partie des élèves est visée par la politique du ministre de l’Éducation nationale.

Par conséquent, la priorité principale de Jean-Michel Blanquer est la laïcité, ou plutôt une conception rigoriste et intransigeante de celle-ci. En revanche, le ministre ne livre pas un mot concernant le recrutement des enseignant·e·s dans les quartiers et villages de France délaissés par l’État depuis plusieurs décennies. Pas un mot non plus pour le manque de moyens de nombre d’écoles, de personnel technique, administratif, d’orientation et de santé dans les établissements des espaces les plus défavorisés.

Parcoursup ou le renforcement des inégalités et de la discrimination

Le ministre ne semble enfin pas très inquiet non plus par le sort de centaines d’élèves pris dans les incohérences et dysfonctionnements de la procédure « Parcoursup » d’affectation post-bac. Pour rappel, il s’agit d’une plateforme d’affectation des élèves qui remplace « Admission Post-Bac » (APB). Elle renforce le caractère sélectif de la précédente procédure car elle laisse libre cours à la concurrence entre les établissements du supérieur, entre les différentes filières et entre les élèves eux-mêmes.

Résultat : au 1er juin 2018, seul un·e candidat·e sur trois a reçu une réponse positive à l’un des vœux exprimés. Ce chiffre global cache cependant des disparités en fonction des territoires. Ainsi, le nombre d’élèves des lycées de la banlieue est de Paris « en attente » de réponse ou ayant été refusés, oscille entre 70% et 100%. Au lycée Plaine Commune à Saint Denis, 83% des élèves de terminale professionnelle se trouvent « en attente » ou ont reçu un « refus ». Au lycée Jean Renoir de Bondy, en terminale technologique, le pourcentage atteint 100%. Même les filières dites d’excellence sont touchées par le phénomène. Ainsi, au lycée Berthelot de Pantin, 76% des élèves de terminale S sont en attente ou se sont vu opposer un refus. Face à cette situation, la mobilisation ne s’est pas fait attendre : le 31 mai 2018, une centaine d’élèves du lycée Paul Éluard de Saint-Denis, ont bloqué l’établissement pour protester contre Parcoursup qu’ils jugent discriminatoire vis-à-vis des candidats des quartiers populaires de la petite couronne.

En somme, Parcoursup accuse les inégalités déjà présentes dans le système éducatif français. Il donne la priorité aux jeunes des classe moyennes et supérieures qui pourront s’inscrire dans les établissements et les filières de leur choix qui sont aussi les mieux dotés et ceux qui offrent les meilleurs débouchés à ses étudiant·e·s. À l’inverse, Parcoursup laisse aux élèves les plus démunis, les places restantes qui les mèneront vers les métiers les plus durs, moins bien payés ou ayant moins de perspectives d’évolution de carrière. Même si nous ne disposons pas de statistiques ethniques, nous pouvons aisément imaginer quel type de population se trouve majoritairement représentée dans l’un et l’autre groupe. La réforme de l’université dont Parcoursup ne constitue que l’un des volets d’une politique plus large qui vise à instaurer encore plus de sélection, de concurrence et de formations supérieures au rabais. Dans ce contexte, ce sont les étudiant·e·s des catégories sociales les plus défavorisées et qui ont déjà accompli des efforts considérables pour arriver jusqu’à l’université qui seront les plus touchés ou seront même évincés de l’enseignement supérieur. En moyenne, dans les filières non sélectives, 30% des étudiant·e·s de première année abandonnaient leurs études entre le premier et le second semestre. Ce pourcentage ne changera pas avec Parcoursup et on peut même craindre qu’il s’accroisse.

Que faire dans ces conditions ?

- Admettre que la laïcité est un prétexte, un leurre pour stigmatiser certains élèves et justifier une politique éducative discriminatoire qu’il faut combattre ;

- Pour cela, il faut se mobiliser collectivement en associant parents, lycéen·ne·s, enseignant·e·s pour combattre la loi ORE, Parcoursup et toute réforme qui restreigne les perspectives éducatives et professionnelles de nos enfants.

Pour une école publique, gratuite, égalitaire, de qualité, et qui respecte la dignité des élèves.

Front de mères, le 3 juin 2018

(1) « Laïcité, facs... Blanquer parle cash », l’Express, 29 mai 2018, URL : https://www.lexpress.fr/education/interview-blanquer-parle-cash_2012171.html#9Pu9YZxy3Kaxj2Ul.01

(2) «Unités laïcité» à l'école : le poison du soupçon envers les élèves, Libération, 11 décembre 2017, URL : http://www.liberation.fr/france/2017/12/11/unites-laicite-a-l-ecole-le-poison-du-soupcon-envers-les-eleves_1615726

(3) « Laïcité à l’école : pourquoi «le conseil des sages» de Blanquer fait débat », Le Parisien, 9 janvier 2018, URL : http://www.leparisien.fr/societe/laicite-a-l-ecole-pourquoi-le-conseil-des-sages-de-blanquer-fait-debat-09-01-2018-7491522.php

(4) La laïcité à l’école. Vademecum, URL : http://cache.media.eduscol.education.fr/file/laicite/89/4/Vademecum_laicite_VF2_955894.pdf, p. 19.