Qu’est-ce qui se trame ici, M. Roman Cieslewicz ?
Les Arts Décoratifs rendent un très bel hommage à l’artiste Roman Cieslewicz (1930-1996), acteur incontournable de l’école de l’affiche polonaise et à l’origine d’un « graphisme d’auteur » aussi poétique que puissant, politique que radical, dans les formes comme l’esprit !
Si l’affiche n’avait qu’un œil, il serait assurément celui de Roman Cieslewisz. La grande salle au cinquième étage s’ouvre sur un panorama d’affiches. Très vite, en deux ou trois affiches, les techniques s'affirment, les compositions intriguent, les typographies ancrent, les couleurs pléthore mais jamais n’empêchent la signification. Pour lui le sens, comme la rhétorique d’une image sont intrinsèques à sa fabrication.
Roman Cieslewicz, diplômé des Beaux Arts de Cracovie en 1955, devient très vite un acteur important de l’École de l’Affiche polonaise, à bouleverser les codes esthétiques et le sens de l’affiche d’après-guerre, jusqu'à ce qu'on tente de lui expliquer les bienfaits du réalisme socialiste. Rideau (de fer). En 1963, il s’installe avec sa compagne à Paris, devient directeur artistique chez Elle, appelé par Peter Knapp, et développe sa « fabrique des images ».
Ses sens de la composition, du découpage, du cadrage, lui permettent de réaliser des images d’une grande poésie signifiante. Son utilisation de la trame, procédé peu coûteux lui reste de l’époque polonaise où les moyens étaient frugaux. Contraignez un artiste, il va se surpasser !
Ses « illustrations » inspirées des grands mouvements artistiques ne copient jamais, elles dépassent. Dans le champ du Pop Art, comme du surréalisme, Cieslewicz libère l’image. Il amplifie son sens, le questionne, le détourne, le ravage. Avec minutie et une inspiration dévorante, il coupe, tranche, cisaille, occulte, transforme en prenant à témoin le « regardeur » pour ne jamais le laisser à distance. Bien au contraire, de deux icônes ambivalentes, il fait un portrait politique, subversif, et élève l’image en rang d’œuvre d’art « duchampienne ». Il suffit de regarder son Mao-Monalisa pour s’en convaincre et y voir, avec un doux anachronisme, une sorte d’écriture de l’image inclusive !
Les mots chez Roman Cieslewicz sont des images, et l’espace qu’elles prennent dans l’affiche, sur les unes de magazines, ou dans les mises en pages sont autant de signes esthétiques qui donnent à comprendre, à bousculer, à questionner, à claquer, à provoquer… Rarement à émouvoir. Car ce n’est pas par là que l’artiste veut bien nous emmener, c’est vraiment ailleurs. Et cet ailleurs, fait de rêves, d’étrangetés, et de corps dissemblables mais qui le sont par le seul caprice de ses ciseaux, nous embrasse de leurs membres immenses et généreux. Nous voilà dans de « beaux bras » !
Comme à l’accoutumée, après la grande salle, nous suivons le couloir et les pièces de part et d’autre de celui-ci, pour y découvrir un foisonnement de documents tous absolument merveilleux. On regrettera un éclairage un peu imprécis qui, ici et là, nous gêne un peu, mais c’est mon côté pointilleux anti-reflet, j’ai du mal avec les plexi qui protègent du temps et des visiteurs qui oublient de toucher seulement des yeux.
Chacune des salles est l’occasion de longues observations. On entre dans chaque image, on part et on perd nos repères, nos perspectives, nos symétries, nos points aveugles, nos trames noires… de la force d'une image à celle d'une autre envisagée autrement - et qui va frapper tout autant.
Roman trame toujours quelque chose. Il trame en point évidemment, mais il trame aussi, par répétition, alignement successif et, par inventaire… Ses « petites images » finissent par former elles-aussi des trames, des formes, déforment la perception de l’image, mais jamais le sens qui continue à se former dans l’esprit.
Sur la définition du Larousse sur ce qu’est une affiche : « Une feuille imprimée, souvent illustrée, portant un avis officiel publicitaire, etc. » il disait qu’il se situait dans le « etc. »
Ses points de suspension, trame de provocations, trame des « rêv’olutions» en suspens, des images au sens ascensionnel.
Alors: Qu’est-ce qui se trame ici, M. roman cieslewicz ?
Il faut se/vous rendre au musée des Arts Décoratifs de Paris pour y voir afficher ses réponses, parfaitement d’époque, tellement de son temps et donc dans le nôtre. (Re)découvrir ce que le graphisme d’auteur fait comme bien à l’humanité, à combattre la pollution de l’œil, la bêtise et toutes les formes de répressions, celles que nous imposent le capitalisme en particulier.
Richard Maniere, le 7/05/18
Roman Cieslewicz La Fabrique Des Images-> 23/09/2018
Musée des Arts Décoratifs de Paris 107 Rue de Rivoli, 75001 Paris