Le silence devant la répression des Gandhi de Gaza

Gaza saigne tandis que les libéraux et les progressistes restent muets. Un autre Palestinien a été tué et au moins 170 autres blessés vendredi 11 mai, lorsque des dizaines de milliers de Gazaouis ont poursuivi leurs manifestations non violentes le long la clôture entre Gaza et Israël [Palestine de 1948].

Pourtant, alors que le nombre de victimes continue d’augmenter – près de 53 morts et plus de 6000 blessés au lundi 14 mai 2018 – le silence assourdissant se poursuit également. Un fait révélateur : beaucoup de ceux qui ont longtemps critiqué les Palestiniens pour avoir fait le choix de la résistance armée contre l’occupation israélienne ont disparu de la scène, alors que les enfants, les journalistes, tout un chacun, sont visés par des centaines de tireurs israéliens positionnés le long de la clôture de Gaza.

Les responsables israéliens sont catégoriques. Le ministre de la Défense, Avigdor Lieberman, perçoit sa guerre contre les manifestants non armés comme une guerre contre des « terroristes ». Il estime qu’ « il n’y a pas d’innocents à Gaza. » Bien que l’état d’esprit israélien ne soit pas du tout surprenant, il est encouragé par l’absence d’action significative ou par le silence international sur les atrocités commises le long de la clôture de séparation.

La Cour Pénale Internationale (CPI), à part des déclarations au jargon juridique ambigu, a été tout à fait inutile jusqu’à présent. Sa procureure en chef, Fatou Bensouda, a critiqué les meurtres commis par Israël dans une déclaration récente, mais a également déformé les faits dans sa tentative de « langage impartial », pour le plus grand plaisir des médias israéliens.

« La violence contre les civils – dans une situation comme celle de Gaza – pourrait constituer des crimes en vertu du Statut de Rome de la Cour pénale internationale … tout comme l’utilisation de la présence civile dans le but de protéger les activités militaires ».

Encouragé par la déclaration de Bensouda, Israël exploite l’opportunité de détourner l’attention de ses propres crimes. Le 25 avril, un groupe juridique israélien, Shurat Hadin, a cherché à faire inculper trois dirigeants du Hamas à la CPI, accusant le Hamas d’utiliser des enfants comme boucliers humains lors des manifestations à la clôture.

Il est tragique de constater que beaucoup ont encore du mal à comprendre le fait que le peuple palestinien est capable de se mobiliser, de résister et de prendre des décisions indépendamment des organisations politiques palestiniennes.

En effet, qu’il s’agisse de la querelle entre le Hamas et le Fatah, du siège israélien de Gaza ou des différentes guerres destructrices, les Gazaouis ont été mis sur la touche, souvent considérés comme des victimes malchanceuses de la guerre et de l’esprit de faction.

Shurat Hadin, comme Bensouda, alimente tout ce discours déshumanisant.

En prétendant que les Palestiniens ne sont pas capables de fonctionner en dehors des limites des factions politiques, rares sont ceux qui ressentent le sens de la responsabilité politique ou de la responsabilité morale pour venir en aide aux Palestiniens.

Cela rappelle la leçon fort mal à propos donnée par l’ancien président US Barack Obama aux Palestiniens lors de son discours au Caire en 2009. « Les Palestiniens doivent abandonner la violence », avait-il dit. « La résistance par la violence et le meurtre est mauvaise et ne réussit pas ».

Il a ensuite offert sa propre version – tout à fait douteuse – de l’histoire de toutes les nations, y compris les « Noirs en Amérique », l’Afrique du Sud, l’Asie du Sud-Est, l’Europe de l’Est et l’Indonésie.

Cette approche malveillante – consistant à comparer les prétendus  échecs palestiniens aux réussites des autres – est toujours destinée à mettre en avant que les Palestiniens seraient des êtres différents et inférieurs, incapables d’être comme le reste de l’humanité. Fait intéressant, ceci est tout à fait au cœur du récit sioniste à propos des Palestiniens.

Cette notion est souvent mise en exergue dans la question : « où est le Gandhi palestinien ? » La question, souvent formulée par les prétendus libéraux et progressistes n’est pas du tout une question, mais un jugement – et un jugement malhonnête.

Répondant à la question peu après la dernière guerre israélienne sur Gaza en 2014, Jeff Stein a écrit dans Newsweek : « La réponse a été balayée par la fumée et les décombres de Gaza, où l’idée de protestation non violente semble aussi exotique que [les chanteurs] Peter, Paul et Marie. Les Palestiniens qui ont prêché la non-violence et conduit des marches pacifiques, des boycotts, des sit-in de masse et autres sont pour la plupart morts, en prison, isolés ou en exil. »

Pourtant, étonnamment, la question ressuscite à nouveau, malgré les nombreux conflits, la colère insondable et la douleur implacable.

Des dizaines de milliers de manifestants, brandissant des drapeaux palestiniens continuent de tenir leurs rassemblements massifs le long de la clôture de séparation de Gaza. Malgré le nombre élevé de morts et les milliers de mutilés, ils reviennent tous les jours avec le même engagement envers la résistance populaire qui repose sur l’unité collective, au-delà du l’esprit de faction et de la politique.

Mais pourquoi sont-ils encore largement ignorés ?

Pourquoi Obama ne tweete-t-il pas en solidarité avec les Gazaouis ? Pourquoi Hillary Clinton ne prend-elle pas la parole pour répondre à l’incessante violence israélienne ?

Il est politiquement commode de critiquer les Palestiniens de façon systématique, et tout à fait incommode de les approuver, même lorsqu’ils font preuve d’un tel courage, d’une telle prouesse et d’un tel engagement pour un changement pacifique.

Tous les semblables à la célèbre auteure J.K. Rowling avaient beaucoup de critiques à formuler contre le mouvement pacifique de boycott palestinien, qui vise à demander des comptes à Israël pour son occupation militaire et des violations des droits de l’homme. Mais ils perdent subitement la parole quand des tireurs d’élite israéliens tuent des enfants à Gaza en se félicitant chaque fois qu’un enfant tombait.

Le chanteur Bono du groupe U2 a dédié une chanson au défunt président israélien Shimon Peres, accusé de nombreux crimes de guerre, mais sa voix semble s’être enrouée alors que le garçon de Gaza, Mohammed Ibrahim Ayoub, a été tranquillement abattu par un tireur d’élite israélien près de la clôture.

Cependant, il y a une leçon à tirer de tout cela. Le peuple palestinien ne doit pas avoir d’attentes vis-à-vis de ceux qui ont constamment failli. Dénoncer les Palestiniens pour avoir échoué à ceci ou à cela est une vieille pratique, destinée à simplement rendre les Palestiniens responsables de leurs propres souffrances et à absoudre Israël de tout méfait. Même le « génocide progressif » d’Israël à Gaza ne changera pas ce paradigme.

Au lieu de cela, les Palestiniens doivent continuer à compter sur eux-mêmes, rester concentrés sur la formulation d’une stratégie appropriée qui servira leurs propres intérêts à long terme. Une stratégie qui transcende les divisions politiques et offre à tous les Palestiniens une véritable feuille de route vers leur liberté tant convoitée.

La résistance populaire à Gaza n’en est qu’à ses débuts. Elle doit servir de base à une nouvelle vision, qui assurera que le sang de Mohammed Ibrahim Ayoub n’a pas été versé en vain.

 

Ramzy Baroud رمزي بارود 

Traduit par  Lotfallah

Un manifestant palestinien "équipé" : le masque de Guy Fawkes devenu un symbole de toutes les résistances anti-systémiques de par le monde, un pneu sur la tête (les manifestants brûlent des pneus dont la fumée vise à brouiller la visée des snipers),…

Un manifestant palestinien "équipé" : le masque de Guy Fawkes devenu un symbole de toutes les résistances anti-systémiques de par le monde, un pneu sur la tête (les manifestants brûlent des pneus dont la fumée vise à brouiller la visée des snipers), d'où pend un oignon (protection contre les lacrymos). Photo Hosam Salem/Al Jazeera