La vie en miettes des précaires de l'éducation nationale

CDD à la chaîne, salaires indigents, insécurité professionnelle : qu'ils soient professeurs, aides de vie scolaire ou assistants d'éducation, les contractuels et vacataires de l'éducation nationale ont bien du mal à joindre les deux bouts et à se projeter dans l'avenir. Depuis 2015, la coordination des précaires de l'éducation nationale tente de les rassembler et de faire entendre leurs revendications.

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Combien sont-ils ? Selon Sud Education, l'éducation nationale est le premier employeur de salariés précaires du pays, avec un personnel sur quatre, soit 300 000 personnels salariés non titulaires. C'était encore récemment le cas de Georgette*. A 25 ans, cette jeune diplômée en lettres classiques pensait enfin trouver un travail dans son domaine. Fin juillet 2017, elle s'était inscrite sur la plateforme de recrutement des rectorats de Paris et Créteil. Après un entretien d'évaluation d'une vingtaine de minutes au rectorat de Créteil, avec des questions en littérature, grammaire française et latin, elle apprend l'après-midi même, par mail, que sa candidature est retenue. On lui propose une vacation en latin après les vacances de la Toussaint pour remplacer une enseignante d'un établissement de Seine Saint-Denis pendant son congé de maternité. Le département accueille à lui seul la moitié des contractuels de l'éducation nationale dans le premier degré.

Son contrat, un premier CDD de droit public qui court jusque aux vacances de Noël, est renouvelé une première fois en début d'année jusqu'à la fin février. Un contrat de sept heures par semaine, qui fait qu'elle passe plus d'heures dans le RER B qu'en cours, pour un salaire de 500 euros net à la fin du mois, lorsqu'il n'y a pas de vacances. En décembre, du fait des vacances de Noël, elle n'a touché qu'un peu plus de 300 euros. Elle réalise rapidement que ce salaire de misère -à peine supérieur au RSA- n'est viable que si elle fait le moins d'heures possible. Et se trouve face à un  dilemme : comment offrir un travail de qualité à ses élèves de ce lycée du 9-3, tout en ne sacrifiant pas son temps pour des nèfles ? "Je voyais bien que la communauté éducative de ce lycée tentait de faire le maximum avec très peu de moyens", avoue-t-elle.

Georgette a finalement jeté l'éponge fin février car elle estime que le jeu n'en vaut pas la chandelle. Pour espérer être titularisée, elle aurait dû attendre six ans, en acceptant tous les contrats qu'on lui propose et en évitant les interruption de service entre deux contrats. Depuis, elle travaille dans une bibliothèque, mais ce poste, un peu mieux payé, est lui aussi précaire. Si la situation des 36 000 professeurs non-titulaires de l'éducation nationale est difficile, celle des assistants d'éducation est dramatique. Les assistants d'éducation (AED) ont remplacé les surveillants -les pions- des établissements du supérieur. Auparavant, ces postes allaient à des étudiants désargentés et comprenaient un temps payé mais réservé à l'étude. Ils se sont depuis transformés en postes sous-payés pour une durée renouvelable maximum de six ans, sans aucun espoir de titularisation. Ce sont de plus en plus souvent des adultes, qui doivent parfois faire vivre leur famille, qui végètent sur ces "petits boulots".

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Lotfi, 49 ans, a d'abord été recruté pendant deux ans sur un contrat aidé, comme plus de 450 000 personnes recrutées sous ce statut par l'éducation nationale. Embauché en CUI-CAE pour 20 heures, il travaillait en fait 26 heures par semaine. Des heures non payées pour lesquelles plusieurs établissements employant des contrats aidés ont été condamnés par les Prud'hommes.  Depuis, Lotfi a obtenu un contrat de droit public et empoche un peu plus de 880 euros. Certes, il gagne quasiment deux cents euros de plus que quand il était en CUI-CAE. Mais il sait qu'il ne sera jamais recruté en CDI et ne touchera aucune prime de précarité en fin de contrat. "On essaie de vivre", explique cet homme qui n'a pour l'instant pas de logement et qui est hébergé à tour de rôle par des amis. "J'emprunte de l'argent en fin de mois et rembourse en début de mois". Une situation d'autant plus dure à vivre que Lotfi, divorcé, a deux enfants.

Cet assistant d'éducation d'origine tunisienne aime pourtant son métier et le contact avec les élèves du collège parisien dans lequel il travaille. "J'essaie d'établir une relation de confiance pour être à l'écoute et aider ces élèves, qui pour certains ont l'âge de mon fils aîné", confie cet homme qui possède un master en économie et relation internationale obtenu en Tunisie. Ce qui ne lui permet pas d'obtenir une équivalence pour ce diplôme. Présent depuis dix ans sur le territoire français, il n'a été régularisé qu'il y a cinq ans et ne touche donc pas la prime d'activité qui lui permettrait de compléter le salaire qu'il touche pour son mi-temps. Avant de devenir AED, il avait effectué une remise à niveau en comptabilité qui n'a débouché sur rien. 

En plus de son poste d'AED en collège, il travaille les samedis et dimanches dans un institut privé de préparation aux concours des grandes écoles. Une vie compliquée, admet-il, pour ce père de famille, mais qui lui permet de compléter son salaire de l'éducation nationale. Son projet ? Obtenir la naturalisation pour pouvoir passer un concours interne et décrocher sa titularisation sur un autre poste. Il a aussi déposer un dossier DALO (droit au logement opposable), est passé devant la commission fin 2015. Il a fait condamner le préfet par le tribunal administratif. Celui-ci est tenu de lui attribuer un logement sous peine de payer une astreinte de 200 euros par mois. Mais Lotfi ne voit toujours rien venir.

Lui a eu cependant eu la chance d'obtenir un contrat de droit public à l'issue de son contrat aidé. Ce n'est pas le cas de Mila*. Embauchée au 5 octobre 2017 en CUI-CAE pour 23 heures payées 20 heures, elle a d'abord travaillé pendant un an. Puis a obtenu un deuxième contrat aidé qui se terminera le 28 avril prochain. Elle en a été informée il y a tout juste quelques jours, par la principale. Mila raconte avoir eu les larmes aux yeux. Car cette Algérienne vit une situation dramatique. Âgée de 51 ans, elle a obtenu une reconnaissance de handicap pour des problèmes de dos après avoir travaillé comme aide à domicile, habite dans une chambre de bonne située au sixième étage sans ascenseur, sans eau chaude, douche, ni toilettes et cumule divers autres boulots pour s'en sortir. Malgré ses problèmes de santé, elle travaille le soir et le week-end comme agent de sécurité dans un établissement culturel parisien et cumule aussi quelques heures par mois dans une école privée. .

C'est après avoir eu un différent avec une CPE à qui Mila demandait de pouvoir grouper ses heures, que les problèmes de cette titulaire d'un BAC+5 algérien ont débuté. C'est aussi cela, la précarité dans l'éducation nationale, éviter tout différend professionnel, même légitime, qui se traduirait par le couperet d'un non-renouvellement de contrat. L'année prochaine, elle fera une demande pour un poste d'auxiliaire de vie scolaire auprès du rectorat. Les "petites mains de l'éducation nationale" tentent de s'organiser au sein de la coordination de l'éducation nationale. Pour la première fois, ils ont mené une grève au niveau national le 5 avril dernier. Les vacataires et contractuels ont débrayé dans plusieurs villes et départements et se sont rassemblés devant les rectorats. Ils remettront le couvert les 3 et 22 mai prochains. Mais ni Mila, ni Lotfi n'ont participé à ces manifestations. "Si je fais grève, regrette Mila, ma situation deviendra encore plus précaire".

Ce n'est pas le cas de Emma*, militante de la coordination des précaires de l'éducation nationale et membre de Sud Education, qui soutient leur mouvement. Cette femme de 45 ans travaille comme accompagnante d'élèves en situation de handicap (AESH) à Paris. Après avoir exercé plus de dix ans comme AESH, elle a finalement obtenu un CDD à plein temps pour lequel elle est payée 1200 euros. Mais elle doit pour cela travailler 41 heures par semaine, son temps de travail étant lissé sur l'année du fait des périodes de vacances. Une charge de travail lourde sur un poste où il faut être en permanence très concentré. Emma pense avoir eu la chance d'avoir un plein temps, car elle connaît des collègues employés à mi-temps avec des trous de trois heures dans leur emploi du temps, ce qui ne leur permet pas de travailler à côté sur un autre poste.

Cette titulaire d'un DESS de lettres modernes (Bac+5), déplore le peu de moyens accordés à l'accompagnement des élèves qu'elle aide dans leur scolarité, au sein d'un ULIS, ces "unités localisées pour l'inclusion scolaire" des élèves handicapés. Pour occuper ce poste, Emma n'a eu droit qu'à 60 heures de formation, obligatoire mais non rémunérée et assurée sur son temps libre. Elle a insisté pour suivre la formation facultative proposée en 2e année, toujours dans les mêmes conditions. Des formations au handicap "bien trop généralistes, déplore-t-elle, qui ne l'ont pas aidée à "trouver des outils et une pédagogie adaptés aux élèves". Elle s'est formée toute seule, au fil des années, auprès d'élèves autistes, souffrant de troubles "dys" (1) ou de troubles de l'attention. Quant aux rapports avec le rectorat, son employeur, ils sont pour le moins lointains.  "Mieux vaut se faire oublier, glisse Emma. Si vous évoquez des problèmes dans votre travail, on en conclura que le problème, c'est vous". 

Elle évoque un désaccord avec un professeur de l'ULIS au sein de laquelle elle travaille, avec un professeur qui "avait des méthodes d'enseignement contestables", s'agissant d'élèves handicapés. Dans ce désaccord professionnel, Emma raconte avoir été soutenue par l'ensemble de la communauté éducative, mais a quand même dû changer d'établissement. Emma s'investit beaucoup mais déplore le manque de reconnaissance de la fonction afin d'en faire un vrai métier. "C'est un travail utile et qui a du sens, défend la quadragénaire, mais justement, l'éducation nationale en abuse. Dans certaines situations, on n'est pas loi du bénévolat".

Elle regrette aussi de ne pas pouvoir s'investir pleinement au sein de la communauté scolaire, alors que la réussite des élèves handicapés nécessite un travail d'équipe. Travail d'équipe davantage à l'oeuvre dans les établissements défavorisés où existe souvent un projet collectif, que dans les établissements plus huppés. Elle dénonce aussi la désinvolture de l'administration qui n'informe ses contractuels et vacataires qu'au dernier moment de la reconduction de leur contrat et de leur affectation. Le sien prend fin le 31 août prochain, mais elle n'a aucune certitude qu'elle sera affectée dans le même établissement et donc auprès des mêmes élèves. Alors que l'assiduité auprès de jeunes handicapés est un facteur clé de leur réussite.

Avec la coordination des précaires de l'éducation nationale, Emma revendique des postes à plein temps, un véritable statut pour en finir avec une multitude de contrats opaques, la revalorisation des salaires (qui sont bloqués au SMIC horaire), la prise en compte de l'ancienneté, la possibilité pour tous les précaires d'être titularisés indépendamment de leur nationalité et l'attribution aux autres personnels des primes versées aux enseignants de l'éducation prioritaire. Des revendications qui ont hélas peu de chances d'être entendues par le ministre. S'il a annoncé mettre le paquet sur l'école primaire, rien n'est prévu pour le collège et le lycée. D'autant que, pour les professeurs, les postes proposés aux concours ne trouvent pas forcément preneurs. Ce qui ne va sans doute pas contribuer à diminuer le nombre de recrutements de personnels vacataires et contractuels.

Véronique Valentino

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*Les prénoms ont été changés. 

(1) Les troubles "dys" sont les principaux troubles de l'apprentissage : dyslexie (trouble spécifique de la lecture), dyspraxie (trouble du développement moteur et de l'écriture), dyscalculie (trouble des activités numériques), dysphasie (trouble du langage oral) et les troubles de l'attention, avec ou sans hyperactivité TDA/H.

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Retrouver les informations de Sud éducation sur la grève du 5 avril 2018