Macron drague lourdement les chasseurs et veut en faire des miliciens à son service
Macron qui souhaite gommer son image de président des villes, mais pas seulement pour cette raison, s'appuie sur les chasseurs en soutenant mordicus leurs revendications. Dans l'Oise, où est né un puissant mouvement anti-chasse à courre, le préfet, représentant de l'Etat, organise une véritable milice armée à travers les "chasseurs vigilants", depuis longtemps infiltrés par l'extrême droite. Ceux-ci ont vocation à être les RG des campagnes. Une dérive inédite et inquiétante.
C'est visiblement Noël pour les chasseurs. Selon RTL, Macron s'apprêterait à faire un joli cadeau aux six millions de chasseurs : le montant du permis de chasse national -celui qui permet de chasser sur tout le territoire et pas seulement dans on département- devrait voir son prix annuel baisser de moitié. Il passerait de 400 à 200 euros. Une revendication des chasseurs depuis des lustres qui pourrait coûter à l'Etat 20 millions d'euros. Mais ce n'est pas le seul cadeau que le chef de l'Etat a consenti au profit des viandards des campagnes : il a aussi allongé la saison de la chasse aux oies cendrées à partir de 2019 et ré-autorisé le silencieux sur les fusils de chasse, interdits depuis 1986. Et le 15 février dernier, Macron recevait le président de la Fédération nationale des chasseurs Willy Schraen. Selon Thierry Coste, son conseiller sur la chasse et la ruralité et conseiller politique de la Fédération nationale des chasseurs, cité par RTL, l'entretien s'était très bien passé, le président ayant annoncé son soutien aux chasses traditionnelles, entendez la chasse à courre. Thierry Coste qui est aussi conseiller de Willy Schraen...
Déjà, alors que notre Jupiter fêtait son anniversaire à Chambord en toute humilité, le 16 décembre dernier, un cliché controversé avait circulé. On y voit Macron, en pleine nuit, poser devant le "tableau d'exposition" -lorsque les participants d'une chasse à courre alignent les gibiers abattus pour la photo- à l'issue d'une chasse à courre organisée dans le domaine de Chambord. "Avec plus de 30 bêtes tuées au compteur, la partie a été superbe", racontait le Journal du dimanche le 20 janvier dernier. Cette nuit-là, la battue a réuni "les présidents des fédérations de chasse françaises, tous de fines gâchettes", alors que le président est en pleine opération séduction avec les représentants de l'influent lobby des chasseurs. Devant eux, il fait l'éloge de la chasse, protectrice de la biodiversité. Cette nuit du 16 décembre 2018, dans ce qui ressemble à un cérémonial d'initiation, Macron scelle un pacte avec les chasseurs.
Pourtant, cela faisait plus de quarante ans -depuis Giscard d'Estaing- qu'aucun chef de l'Etat n'avait assisté à ce rituel d'un autre âge. Mais Macron souhaite ouvertement la réouverture des chasses présidentielles -rebaptisées pudiquement "battues de régulation"- dont il compte faire un outil de sa diplomatie. Celles-ci n'ont en fait jamais cessé, et douze fois par an, quelques chasseurs triés sur le volet - patrons du CAC 40, diplomates, politiques- se retrouvent en Sologne pour des battues financées par la République. Une survivance monarchique qui fait officiellement du chef de l'Etat l'héritier de François 1er, chef des veneurs.
Cette promotion de la chasse et notamment de la chasse à courre, est controversée. En février dernier, le groupe France insoumise de l'assemblée nationale déposait une proposition de loi pour interdire la chasse à courre. L'Allemagne l'a interdite en 1953, l'Ecosse en 2002, l'Angleterre en 2004, selon France 3. Selon un sondage réalisé par l'Ifop pour la Fondation Brigitte Bardot en novembre 2017, 84% des Français se disent opposés à ce type de chasse.Dans la même étude, 71% disent ne pas se sentir en sécurité lorsqu'ils se promènent dans la nature en période de chasse. Des chiffres à rapprocher de ceux des accidents causés par ce que certains appellent un sport. Selon l'Office national de la chasse et de la faune sauvage, il y en a eu 143 au cours de la seule saison 2016-2017, dont 18 mortels.
Les tensions sont vives entre partisans et opposants, comme l'a montré l'histoire de ce cerf à bout de souffle qui s'était réfugié dans le jardin d'une propriété de Bonneuil-en-Valois, un village de l'Oise. Des habitants s'étaient mobilisés pour défendre l'animal traqué par la meute hurlante des chiens d'un équipage de Villers-Cotterêts, au lendemain de Noël. Il aura fallu deux heures de palabres pour que l'animal soit finalement gracié, alors que le propriétaire de la maison avait refusé toute intrusion des chasseurs sur sa propriété et qu'un arrêté promulgué par le maire Gilles Laveur, interdit la chasse dans le village.
D'autres incidents impliquant des cervidés tentant d'échapper à des battues ont eu lieu dans l'Oise. En octobre, un autre cerf avait eu moins de chance puisqu'il avait été abattu par les chasseurs dans le jardin d'une maison de Lacroix-Saint-Ouen. « Les chasseurs font jouer leur droit de suite, au mépris de la propriété privée », s’était insurgé un sympathisant d’AVA (abolissons la vénerie aujourd’hui), interrogé par le Courrier picard. tandis que la gendarmerie de Compiègne assurait tranquillement que « les propriétaires doivent être contactés, ils l’ont été, mais ils ne décident pas. Les chasseurs qui sont responsables des agissements du cerf chassé doivent finir la chasse ». Un autre cerf s'était même réfugié dans le centre-ville d'un bourg de 16 000 habitants -toujours dans l'Oise- à Pont-Sainte-Maxence. Lui a finalement été gracié, le maire ayant refusé l'entrée de sa ville aux chasseurs.
Pourtant, la loi prévoit que « nul n'a la faculté de chasser sur la propriété d'autrui sans le consentement du propriétaire ou de ses ayants droit. », selon l'article L 422-1 du Code de l'environnement qui l'énonce. La loi Chasse du 26 juillet 2000 a transposé une décision de la Cour européenne des droits de l'homme (29 avril 1999, arrêté Chassagnon)en permettant à tous les propriétaires de faire de leur terrain une zone de non-chasse, au nom de leur conviction personnelle. Là où les chasseurs sont constitués en Association intercommunale ou communale de chasse agréée (AICCA), il faudra cependant envoyer un courrier au préfet en précisant le numéro des parcelles à exclure (références cadastrales) et bien sûr leur localisation exacte, le tout assorti d'une photocopie du parcellaire concerné (voir auprès de la mairie), comme l''explique la Nouvelle république en réponse à l'un de ses lecteurs.
Dans l'Oise, la confrontation entre pro chasse à courte et anti, regroupés autour de l'AVA, est explosive. Comme l'expliquait Gilles Laveur, toujours au quotidien picard, "nous avons déjà vécu des incidents virulents à cause de la chasse à courre. À chaque confrontation, cela se déroule dans une atmosphère de lutte des classes ». Car avec la réhabilitation de la chasse à courre par Macron, c'est le retour d'une certaine morgue de classe qui s'exprime sans détours.
Face aux opposants, la fédération de l'Oise des chasseurs n'y va pas de main morte. Lors de son assemblée générale le 7 avril dernier, devant près de 800 chasseurs, son président, Guy Harlé d'Ophove (ancien élu FN), avait qualifié les anti-chasse de « révolutionnaires, violents et dangereux ». Alors qu'une semaine plus tôt, une manifestation contre la chasse à courre avait très largement rassemblé, le président de la fédération nationale des chasseurs, Willy Schraen, avait expliqué "ce que vous avez vécu dans l'Oise cette année, ça ne pourra pas se reproduire", appelant ses gros bras du Pas-de-Calais à faire une descente sur place pour "chasser en meute" et à se battre. Devant le préfet de l'Oise, Guy Harlé d'Ophove avait annoncé "nous sommes en légitime défense". Avant de se lancer dans la menace : "le moment est arrivé où vous allez devoir vous engager (...) car si vous n'êtes plus capable de vous battre pour ce que vous aimez, alors vous êtes mûrs pour toutes les dictatures, fussent-elles intellectuelles".
Plutôt que de calmer le jeu, le préfet du département a jeté de l'huile sur le feu lors de ce grand raout des chasseurs. "Messieurs les chasseurs, ne subissez pas, passez à l'action", a-t-il invité ses auditeurs. "La chasse à courre en France, la vénerie, est légale, par contre l'entrave au droit de chasse est un délit", a-t-il encore asséné devant un parterre de chasseurs qui buvaient du petit lait. Avant de promettre une intervention des forces de l'ordre, accompagnées d'un représentant du corps préfectoral, pour disperser les éventuels attroupements.
Pas franchement étonnant de la part d'un préfet -dont on rappelle qu'il est tout de même le représentant de l'Etat- qui a signé une convention un peu particulière avec la fédération de la chasse de l'oise. Signée le 21 mars 2017, elle crée un réseau de 200 "chasseurs vigilants". Ceux-ci auront pour mission d'épauler la gendarmerie dans les forêts et les zones reculées du département. Le Figaro est un peu plus précis et parle de "RG des campagnes". «Ce dispositif vise à conjuguer les efforts pour lutter contre toutes les formes d'insécurité et de délinquance en milieu rural et au sein des territoires de plaines et de massifs forestiers de l'Oise", précise le site de la préfecture. Qui parle aussi de "réseau de vigilance complémentaire des dispositifs territoriaux (participation citoyenne), ayant pour objectif majeur d'informer et impliquer les chasseurs et acteurs du monde de la chasse dans une "co-production"de sécurité", (...) visant à "observer, alerter, sensibiliser".
Toujours selon le Figaro, près de 150 chasseurs «de confiance» avaient déjà été sélectionnés en janvier 2018 par la gendarmerie qui a formé ces futurs «chasseurs vigilants» à «livrer les bonnes informations». En effet, même si ces chasseurs vigilants n'ont pas vocation à être une force opérationnelle, la Fondation 30 Millions d’Amis, qui annonce avoir déposé un recours contre cette décision préfectorale, "s’insurge que de telles prérogatives de sécurité et de pédagogie soient confiées à des personnes armées non assermentées". Concrètement, et même s’ils récusent le terme, c’est donc une milice armée de chasseurs qui prendra en charge l’ordre et la loi dans les campagnes !" écrit le site picardiepopulaire.net, qui pense que ce nouveau rôle officiellement dévolu aux chasseurs ne peut que renforcer leur emprise déjà solide sur la société française.
C'est donc un jeu dangereux que joue le pouvoir -et Macron au premier chef- qui a noué une alliance solide avec les organisations de chasseurs, dont on sait qu'ils sont noyautés par l'extrême droite (ce qui soit dit en passant les rapproche d'une partie des forces de police et de gendarmerie). Selon leur président Willy Schraen lui-même, "le FN capte désormais près de 40 % du vote chasseur". Mais Macron a indéniablement décidé d'aller plus loin. Perçu comme le président des villes, il s'offre ainsi à bon compte des soutiens dans le monde rural (ce qsui expàlique aussi le choix du JT de Pernaud pour son interview du 12 avril). Car la chasse c'est tout de même 1,2 millions de pratiquants actifs et cinq millions qui détiennent un permis. Il n'est d'ailleurs pas le premier à les bichonner. Fillon avant lui participait à l'assemblée générale de leur fédération nationale. Lui aussi souhaitait mobiliser ces quelques cinq millions de voix potentielles, qui se répartissent très largement entre droite et extrême droite. Un électorat "naturel" pour le nouveau pouvoir désormais perçu comme de droite. Mais une promotion de milices armées qui révèle le fond bien peu démocratique de ce "régime libéral". N'oublions pas que les fédérations de chasse furent créées sous Pétain en 1941...
Véronique Valentino