Un jeune Pakistanais pris en charge par l'aide sociale à l'enfance retrouvé noyé à Paris

Le manque d'accompagnement des mineurs non accompagnés à Paris est régulièrement dénoncé par les associations et les collectifs qui aident les migrants dans la capitale. Dans le cas de Nour, un jeune Pakistanais de 17 ans, ce défaut de prise en charge aura conduit à son suicide alors qu'il était sous la responsabilité de l'Aide sociale à l'enfance depuis mars 2017 et que sa fragilité était connue. Les associations qui viennent en aide aux mineurs isolés dans la capitale dénoncent la non assistance à personne en danger.

Il se prénommait Malik Nurulain mais préférait qu’on l’appelle Nour. Victime de tortures, ce jeune garçon avait fui le Pakistan à l’âge de 15 ans et avait pu rejoindre Paris fin 2016. Son corps a été retrouvé dans la Seine le 14 février dernier. Pourtant, il était depuis mars 2017 sous la responsabilité de l'aide à l'enfance (ASE) de la capitale et sa détresse psychologique était connue. Alors pourquoi Nour, dont les fragilités psychologiques avaient été signalées à l'ASE, était-il hébergé dans un hôtel de tourisme, sans accompagnement ni soutien ? C'est la question que posent à l'ASE une quinzaine d'associations. Dans un communiqué, elles dénoncent la non assistance à personne en danger qui a conduit à son suicide.

Nour avait eu 17 ans le 9 janvier dernier. C'est en décembre 2016 que Pauline Mouton, alors bénévole chez Emmaüs solidarité au centre d'accueil de la Porte de la Chapelle l'avait rencontré. A l'époque, il est à la rue, sans hébergement. La jeune femme lui donne sont numéro de téléphone. Elle le verra ensuite régulièrement jusqu'au 7 février dernier. Une semaine à peine avant que son corps ne soit repêché dans la Seine. "C'était un garçon adorable qui demandait beaucoup d'attention car il était fragile, mais il voulait vivre ", se souvient cette jeune femme de 27 ans, pour qui Nour, qui connaissait la famille de la jeune femme et ses amis, était "comme un petit frère".

En décembre, il est orienté vers le Dispositif d'évaluation des mineurs isolés étrangers (DEMIE) de Paris qui l'héberge pendant cinq jours, le temps d'évaluer son âge. Régulièrement dénoncé, y compris pour les mauvais traitements infligés aux jeunes migrants, le DEMIE estime alors que Nour, qui possède pour tout papier d'identité un certificat de naissance, est majeur. "Son comportement et son attitude ne sont pas celles d'un mineur de 15 ans", explique la notification de refus, qui parle d'un "récit lacunaire". Une appréciation qui révolte Dalila Abbar, de l'association Parcours d'exil, une association qui gère un centre de soins pour les personnes ayant subi des tortures. "Comment voulez-vous que des enfants qui ont vécu de telles horreurs vous déballe tout ça de but en blanc ?" s'indigne la juriste.

Une fois le refus de minorité notifié par le DEMIE, c'est le retour à la rue pour Nour. Il est hébergé par un réseau citoyen puis par Utopia 56, qui l'oriente finalement vers Parcours d'exil, une association qui gère un centre de soins pour les migrants ayant subi des actes de torture. Là, il est reçu en consultation de psychiatrie, hébergé et accompagné dans ses démarches. Jusqu'à ce que le Juge des enfants, étudie son recours et ne décide finalement de son admission en mars 2017, à titre provisoire, au sein d'un foyer de l'aide sociale à l'enfance, géré par France terre d'asile. Mais le foyer n'est pas adapté à la détresse psychique du jeune garçon. "Il souffrait d'insomnies répétées, de crises d'angoisse et d'hallucinations", selon Pauline Mouton.

Entre temps, le jeune homme est scolarisé en classe spéciale dans un lycée du 18e arrondissement. Le jeune pakistanais sympathise avec d'autres lycéens. "Il m'envoyait des photos des copains qu'il s'était fait en classe de sport", se rappelle Pauline Mouton. La jeune femme se souvient aussi qu'il aimait la France -"un pays magnifique"- où il souhaitait construire son avenir. Lui qui aimait préparer des spécialités de son pays, voulait ouvrir plus tard un restaurant pakistanais. Mais les traumatismes qu'il a subi l'envoie une première fois en hôpital psychiatrique, au lendemain de Noël, après une première tentative de suicide. Il est hospitalisé une première fois au Perray Vaucluse à Paris, jusqu'au 7 février 2017. Pauline lui rend visite. "C'était un garçon vulnérable, il aurait eu besoin d'un suivi après l'hospitalisation, ne serait-ce que pour prendre ses médicaments", se désole la jeune femme.

Après avoir été admis provisoirement dans un foyer de l'ASE, il est finalement reconnu mineur par le Juge des enfants, en septembre 2017. Suite à sa demande d'asile, l'OFPRA lui accorde finalement la protection subsidiaire (1). Parcours d'exil l'accompagne au SEMNA, le service qui prend en charge les mineurs non accompagnés à Paris. Le Dr Pierre Dutertre, qui travaille pour Parcours d'Exil a fourni un certificat médical. Il y signale un stress traumatique important. L'ordonnance de placement du Juge, que l'administratrice ad hoc (2) de la Croix-rouge qui le suit a contacté, mentionne d'ailleurs cet état grave de détresse psychique du jeune Pakistanais. Placé sous la responsabilité de l'ASE de Paris, qui n'ignore donc rien de sa fragilité, il est pourtant hébergé seul dans un hôtel pour touristes de la rue des Martyrs, dans le 9e arrondissement de Paris. Pour seul accompagnement, il se rend tous les quinze jours dans le bureau d'une éducatrice du SEMNA. Il est également suivi, de loin, par un médecin de l'ASE, qui est en contact avec le service de psychiatrie du Perray Vaucluse.

Pauline Mouton continue à l'appeler et à lui rendre visite régulièrement et l'invite dans sa famille et chez ses amis. L'éducatrice du SEMNA se repose sur la jeune femme, lui écrit par mail et par sms, pour qu'elle l'accompagne à ses rendez-vous médicaux. "Elle n'a jamais cherché à me rencontrer, c'était une gestion purement administrative", s'énerve Pauline Mouton, qui ne comprend pas comment le SEMNA a pu passer à côté de l'urgence que représentait l'état psychique de Nour. D'autant que le jeune garçon est hospitalisé une deuxième fois en psychiatrie fin 2017. Il y retournera une troisième fois en janvier 2018. Lorsque Pauline Mouton lui rend visite, elle le trouve agité. "Il était encore très très fragile et tenait des propos délirants". Pourtant, l'hôpital le laisse sortir quelques jours  plus tard, le 7 février et se contente de lui indiquer qu'il peut revenir en consultation. Nour retourne donc à son hôtel. 

Le mercredi 14 février, son corps est retrouvé dans la Seine, à peine une semaine après sa sortie de psychiatrie où il avait été admis pour la troisième fois. C'est un on oncle du jeune homme, expatrié en Italie, qui s'occupe des démarches de rapatriement du corps, avec l'ambassade du Pakistan. Les proches qui l'ont connu se sont cotisé pour financer le retour du corps au pays. L'ASE n'a pas versé un centime. Mais le pire c'est que la disparition de Nour n'a été signalée à la brigade des mineurs que douze jours après sa sortie de l'hôpital, alors qu'il était déjà mort. Ce qui montre à quel point le suivi par l'ASE était inexistant. Un gâchis qui écoeure toutes les associations qui l'ont  un moment pris en charge, qui dénoncent une situation de non assistance à personne en danger de la part de l'ASE. 

Pour le Dr. Pierre Dutertre, il relevait "évidemment d'un accompagnement spécifique, certainement pas d'un hébergement en hôtel". Une situation de délaissement grave pour Dalila Abbar, qui se souvient d'un adolescent attachant. "N'importe qui de censé aurait compris que cet enfant qui avait fait une tentative de suicide et qui avait été admis trois fois en service de psychiatrie en moins de deux ans ne devait pas être laissé livré à lui-même dans un hôtel". La juriste est d'autant plus révoltée par ce gâchis humain, que le placement à l'hôtel est réservé aux mineurs non accompagnés et non aux enfants français pris en charge par l'ASE. Elle a contacté le Défenseur des droits et Dominique Versini, l'adjointe à la maire de Paris, en charge des Solidarités, de la lutte contre l'exclusion, de l'accueil des réfugiés et de la protection de l'enfance. L'ex-défenseure des enfants n'a en tout cas pas répondu à nos sollicitations. Pauline Mouton, elle, se dit écoeurée de cette fin atroce. "Les éducateurs de l'ASE doivent réaliser qu'ils ont entre les mains des vies humaines et non des dossiers administratifs".

Véronique Valentino, le 16 mars 2018

(1) La protection subsidiaire est accordée en France aux personnes qui ne bénéficient pas du statut de réfugié, mais qui sont exposées dans leur pays à des menaces graves : peine de mort, torture, menaces graves attentatoires à sa vie.

(2) Un administrateur ad hoc est désigné par une autorité judiciaire pour représenter ou assister un mineur en l'absence de parent ou de représentant légal.