Ici, c'est le Guantanamo à la française, témoignages recueillis par le Collectif contre les centres de rétention administrative

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La violence dans les Centres de Rétention s’est accrue. Passages à tabac, déportations de personnes scotchées et droguées et surtout tentatives de suicide. Pour rendre compte de cette violence institutionnelle qui s’exerce dans les centres de rétention administrative où l’on enferme des migrants et réfugiés, nous publions les propos de retenus actuellement enfermés. Nous avons retranscrit la discussion du parloir.

Sur l’enfermement – « Quand t’es tranquille dans ta chambre, tu stresses toujours »

AF. : « Ici ils nous mettent la tric. Au point où quand t’es tranquille dans ta chambre tu stresses toujours qu’ils rentrent pour te tabasser. Ici, t’es juste un clando, juste un algérien, juste un blédard ».

LB. : « Ils te réveillent le matin, l’après-midi, pas possible de dormir, de se reposer. Ajoute les bruits d’avion qui passent tout le temps. Ils font des blocs spéciaux : le bâtiment 4, c’est les algériens, le 6, les blacks. Un guinéen, 3 jours après être arrivé, ils l’ont scotché et embarqué. »

AF. : « Y., un pote, ils l’ont mis au mitard puis ils l’ont changé de bâtiment. Au mitard, ils l’ont tabassé, j’ai vu ses bleus. Il y a pas de caméras là-bas. Ils te provoquent et te tabassent dans la douche. Parfois, tu retrouves ton pote sur les carreaux, en sang. »

HG. (texte écrit dans le CRA) : « On parle du la Rétention du Mesnil Amelot. Y a des gens qui sont traumatisés : leur deuxième vol, scotchés et frappés. On dort pas bien. En plus ils mélangent les gens qui ont fait de la prison et des gens qui boivent des médicaments. Au Centre de Rétention la dernière fois, quand il neigeait, tout le monde est resté pendant deux heures au froid. Ils font même pas bien le ménage, la douche a de l’eau froide et la bouffe n’est pas bien. »

AF. : « Je sais même pas s’ils ont été formés les flics. Ils parlent très mal. La semaine dernière, ça allait, mais cette semaine, l’équipe, c’est des tarés. L’un d’entre eux a envoyé sa femme voir la femme de mon pote pour faire des histoires entre eux, en disant qu’il recevait une femme ici. Dès que la Cimade est partie, ils font venir les gens pour faire signer des papiers qu’ils ne comprennent pas. Et quand la Cimade revient le lendemain matin, c’est trop tard pour les recours. »

LB. : « On a beau reprocher ce qu’on veut à Sarko (j’ai été en CRA en 2006-7), mais toute personne avec un attachement en France était libérée. Mais ici il y a des gens qui ont des enfants scolarisés. Avant il y avait pas toutes ces familles, maintenant il y en a plein. C’est pire avec Macron qu’avec Sarko. »

Même en prison, c’était mieux que ça. Avant au CRA en 2006, ils te donnaient des petits déj le soir pour que tu puisses les prendre quand tu veux le matin. Mais maintenant on fait plus ça, pour te réveiller et te contrôler. La nourriture est droguée, on est tout le temps fatigués. »

AF. : « Je suis en train de péter les plombs. J’ai 2 enfants, je me suis engueulé avec ma femme à cause d’ici, c’est pas de sa faute mais c’est elle qui a tout pris. »

HG. : « Moi personnellement je souffre ici. Avant j’aimais bien la France parce que c’est un pays de liberté. Ce que j’ai passé ici au Mesnil Amelot, ils nous font détruire (ils nous détruisent?). S’ils m’en libèrent je change carrément de pays parce que j’ai trop souffert. On veut juste la libération. »

LB. : « C’est le Guantanamo à la Française. »

Sur le service médical – « Je ne peux pas prendre mon traitement médical »

M. : « J’ai une maladie. On m’a donné un traitement que je dois prendre à 7h40. Mais l’infirmière ouvre à 9h30. Comme elle refuse qu’on le prenne hors de l’infirmerie, je ne peux pas prendre mon traitement médical. Ils ne veulent pas me le donner, notamment les matins où je passe au tribunal. En prison, on vérifiait toujours que je l’aie bien pris avant de m’y emmener. Mais ici, non. En plus ils n’ont jamais contacté mon médecin qui me suit à l’extérieur, à l’hôpital Saint Antoine ».

T. : « J’ai le nez cassé, ils me laissent pas faire l’opération. Ils me donnent des gouttes dans le nez alors que je saigne tous les matins. Ils m’avaient promis un jour une radio mais le lendemain c’était plus la même personne donc j’ai pas pu la faire. »

LB. : « J’ai une dent qui me fait mal mais on ne me donne que des dolipranes, pas des antibiotiques. Parfois, on essaye d’aller à l’infirmerie, ou à la Cimade, on demande aux policiers, mais ils écoutent même pas. Ils s’en battent les couilles. Ils te mettent des bâtons. Il y a pas d’accès aux droits. »

Sur le tribunal « Au tribunal, ils n’ont même pas pris le temps de regarder mon dossier »

LA. : « Au tribunal, ils n’ont même pas pris le temps de regarder mon dossier, j’ai même pas eu le temps de parler. 5 minutes pour délibérer sur 15 ans de preuves (de présence sur le territoire français). Ca fait 15 ans que je suis en France, et mon père est décédé là-bas, au Maroc, j’ai plus rien là-bas ».

M.: « Je me suis fait attraper dans une perquisition, à l’appartement où j’étais domicilié. Nous étions 15. J’ai fait 8 mois de prison, gratuitement. Il y avait 25 grammes d’herbe dans l’appartement, mais moi j’avais rien sur moi. C’est juste que j’avais pas de titre valable. Je suis le seul à avoir été embarqué. En prison on a voulu m’emmener 3 fois au consulat j’ai fini par leur dire « le consulat a qu’à se déplacer. »

Au CRA, je suis passé 4 fois au tribunal. L’avocat commis d’office m’a dit : « tu parles bien le français, tu peux te défendre tout seul ». Je devais renouveler mon récépissé le 13 février en sortant de prison mais comme ils m’ont amené ici, j’ai pas pu y aller. Ca fait plus de 30 ans que je suis à Paris. Mon fils est né à Paris en 1987 ».

Un flic entre dans le parloir et demande : « excusez-moi, est-ce que le PV224 est ici ? » — il cherchait un retenu.

L’un d’entre eux a eu un « vol caché » — c’est-à-dire qu’il n’a pas été annoncé par le greffe — le lendemain de notre visite. Il s’est lacéré les veines et a avalé des lames de rasoir. Emmené à l’hôpital, il était de retour au CRA le soir même.

Dans la discussion, l’histoire de Tewfik est revenue de nombreuses fois. Une semaine avant notre visite, il a été déporté. Le matin, la police a fait sortir tous les retenus des bâtiments pour l’attraper. Il s’est réfugié dans une chambre. La police l’a trouvé alors qu’il s’était lacéré les veines et le ventre puis enduit d’excréments. La police le frappe à coups de matraque sur le crâne et le met sous une douche froide avant de l’embarquer. Ils n’ont pas pu le déporter, il a été mis à l’hôpital pour subir deux opérations. Ses coretenus racontent:

AF.: « Il a dormi dans ma chambre. C’est moi qui lui ait dit viens dans ma chambre parce que je sentais la patate tu vois. Je sentais la patate et lui aussi il savait. Il s’est méfié. Ca se voyait on attendait un vol. Il était triqué par la police et tout. T’as vu ça je suis choqué, j’arrive pas à y croire. En plus il dormait dans ma chambre et au réveil, il était plein de merde laisse tomber. Il en avait partout et même comme ça ils l’emmènent. Ils l’ont nettoyé, ils l’ont forcé c’est obligé. Ils lui ont mis les menottes tout ça, ils lui ont mis un sac ils l’ont rentré dans la douche. Ils l’ont fait entrer dans la douche. Et le problème il avait avalé des lames comme ça, larges comme ça. Moi je lui ai dis rampe par terre, comme ça ils le touchent pas. Ils ont pas le droit de le toucher par terre parce qu’il était plein de sang, ils pourraient appeler le 115. Et lui non il marchait, c’est là où il a fait le con. Il aurait dû m’écouter ma parole.

Maintenant, il va mieux, il a eu une première opération, il en attend une deuxième.

Ils ont voulu l’emmener au mitard avec jambes cassées, côtes cassées, la tête ouverte. Ils l’ont d’abord emmené à l’aéroport avant l’hôpital. »

LB. : « Le matin, ils nous ont fait tous sortir, mais pas pour le nettoyage. D’habitude, c’est bâtiment par bâtiment, mais là, c’était tous les bâtiments. Ils ont fait sortir Tewfik et tout le monde s’est mis devant pour bloquer. Mais on n’a pas pu faire plus parce qu’ils ont menacé de matraquer. »

HG. : « Moi, avant qu’ils le sortent, j’ai bloqué la porte pour pas qu’ils prennent Tewfik. J’ai écarté les bras mais ils m’ont explosé la main avec une matraque (il nous montre sa main, enlève le bandage qu’il y a autour, et on peut voir les plaies sur les phalanges). Là ça va mieux mais la semaine dernière c’était gonflé comme ça. Je leur ai dit sur le moment que je parlerai à mon avocat, mais ils m’ont dit : « y a pas de caméra, y a pas de preuve ».

Puis ils l’ont mis sous la douche, Tewfik, puis quelques pansement et ils l’ont embarqué. »

AB. : « Ils lui ont fracassé le crâne avec une matraque, de l’arcade jusqu’à l’arrière de la tête. »

Par le Collectif AntiCRA/InfoCRA

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