Expulsion d'un mineur ou comment ruiner l'avenir d'un lycéen, par Agathe Marin pour la Cimade
La Cimade publie le témoignage de Joseph Mackouera, lycéen d’Agen, expulsé manu militari au Gabon la veille de ses 18 ans. Vive la République, vive la France, comme on dit.
« Pourquoi vous raconter encore une fois mon histoire ? Elle a fait le tour des journaux, mon histoire… et maintenant ? Votre article m’aidera-t-il à revenir en France ? » demande Joseph Mackouera d’un ton désabusé avant d’accepter de répondre à quelques questions par téléphone depuis le Gabon où il a été expulsé. La communication se coupe. « Ça ne capte pas bien, je suis désolé ». La voix adolescente parvient lourde d’une tristesse rageuse. Cela fait 13 jours que Joseph a eu 18 ans. Cela fait 14 jours qu’il a été expulsé de France où il préparait un bac professionnel en système numérique. « Je ne connaissais pas du tout cette formation, mais j’ai beaucoup apprécié. » Joseph choisit ses mots avec soin, comme s’il lui fallait convaincre encore et encore de son parcours irréprochable. Plus tard dans la conversation entrecoupée il dira : « Je n’ai pas toujours été bon élève. Mon défunt papa me répétait pourtant qu’il fallait faire des études pour changer de vie. C’est en France qu’on m’a redonné une chance. Alors je me donnais à fond pour être le meilleur de ma classe. Aujourd’hui, tout est gâché. Aujourd’hui j’ai mal au cœur. Je suis revenu à ma vie misérable. »
En 2015, pour fuir cette vie, Joseph décide de partir en France. Il a 15 ans. « J’ai voulu avoir ma chance, devenir quelqu’un et pouvoir m’occuper de ma maman » souffle-t-il avant de se justifier encore une fois sur l’usage qu’il a fait du passeport de son grand frère, aujourd’hui décédé : « Beaucoup prennent la mer. Mais il y a une chance sur dix peut être de passer. Et combien meurent ? Comme je n’étais pas majeur je ne pouvais pas obtenir de visa. Donc j’ai utilisé le passeport de mon frère pour obtenir un visa avec un passeur. Au moins, j’avais la certitude de passer vivant… » Or c’est à cause de l’utilisation de ce passeport en 2015 que Joseph se verra refuser son titre de séjour en 2018.
À son arrivée pourtant, il est reconnu mineur et pris en charge dans un foyer d’Agen. Il reprend sa scolarité au lycée Monnet de Foulayronnes, joue au foot au club SUA d’Agen, trouve un stage en entreprise. « Je voyais mon avenir tout tracé, murmure-t-il. J’avais une vision. Je ne voulais pas faire du mal à la France. Je voulais pouvoir me regarder dans 5 ou 10 ans et voir que j’avais réalisé quelque chose. Maintenant, allongé sur mon lit, je pleure. Je fume. La France m’a donné la chance de faire des études et de devenir quelqu’un de bien et on m’a arraché ça. Je ne veux pas que mon cœur change. Mais déjà, je ne suis plus celui qui avait des rêves pleins la tête, celui qui jouait au foot, qui n’aimait pas la cigarette. Je fume. Je fume beaucoup. Il n’y a rien à faire ici. »
Le 17 janvier 2018, quelques jours après avoir commencé son stage, Joseph est interpellé et enfermé au centre de rétention de Toulouse. Il y restera privé de liberté durant 28 jours pendant lesquels ses professeurs et camarades se mobiliseront pour faire entendre raison à la préfecture du Lot-et-Garonne qui l’accuse d’avoir menti et d’être majeur. La pétition lancée recueillera plus de 40 000 signatures. Ce fut vain, comme les divers recours. La préfecture refusera de prendre en considération la situation du jeune lycéen, s’arque-boutant à la date de naissance du passeport utilisé pour le voyage. Alors même qu’auparavant, le consulat du Gabon lui avait délivré une carte consulaire établie à partir de son acte de naissance. Le même consulat du Gabon qui finira, malgré les mobilisations, par délivrer le laissez-passer permettant l’expulsion du jeune homme. Réveillé dans la nuit du 16 février, Joseph a été menotté et expulsé au Gabon où plus rien ne l’attend. À son arrivée, il a été accusé d’avoir usurpé l’identité de son frère. Depuis, il attend. Ses professeurs l’appellent régulièrement. « Je leur dis que ça va. Ils m’encouragent. Et après ? Moi je suis ici maintenant. Eux ils ne savent pas. »
Agathe Marin, le 9 mars 2018
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