L'esprit de chapelle du défunt Ellsworth Kelly
Intitulée Austin et construite dans la capitale texane éponyme, la dernière œuvre d'Ellsworth Kelly réalisée en 2015 offre une vision athée de la culture judéo-chrétienne avec une chapelle assez particulière. La mystique sans la religion, c'est plutôt réjouissant - et c'est somptueux !
C'est proprement un regard en coin que nous offre Kelly avec ce bâtiment qui tire son origine de la passion de l'artiste pour l'art religieux judéo-chrétien découvert à Paris lors de son séjour aux Beaux Arts entre 1948 et 1954; avec une nette préférence pour les architectures cisterciennes et romanes. Ca géant du minimalisme américain converti à la sculpture d'œuvres gigantesques en 1989 donnera avec Austin, la dernière facette de son génie.
La genèse de l'œuvre mérite aussi le détour puisqu'au départ c'est une commande privée du producteur-collectionneur de Dynasty, Douglas S. Cramer qui voulait mettre une chapelle au milieu de son vignoble californien. Kelly soumit alors des dessins que des architectes transformèrent en bleus. Mais plus le travail avançait, plus Kelly se rendait compte, qu'il n'avait aucune envie que son œuvre soit réalisée pour le privé et abandonna le projet (et la fortune qui allait avec … ) Ce n'est que 30 ans plus tard que Kelly confia le projet à la Fondation Blanton, avec l'idée de le construire sur le campus, à côté des bâtiments de la fondation. 23 millions de dollars furent levés et le projet vit le jour, cinq ans plus tard., Kelly suivant le projet avec la curatrice Simone Wicha, au téléphone et donnant le ok final sur la dernière partie quelques jours avant de s'éteindre à 92 ans, entre Noël et le jour de l'an 2016.
Si l'extérieur du bâtiment évoque le brutalisme le plus basique, avec sa forme qu'on peut voir soit comme un demi tuyau enfoui, soit comme une demi-croix; ce qui frappe au premier abord, c'est la hauteur des vitraux qui rappelle bien évidemment celle des chapelles du Moyen-Age. Puis, une fois entré, autre astuce de l'archi religieuse, l'impression que l'intérieur est beaucoup plus grand que prévu par l'emploi du nombre d'or.
Le second choc visuel est celui de la couleur, en reprenant quatre motifs essentiels de l'œuvre de Kelly : d'abord l'emploi du noir et blanc, avec des panneaux en marbre de part et d'autre de l'entrée, puis avec un totem, sculpture allongée dont la version Austin en séquoia mesure 5,80 mètres et se trouve située là où devrait se tenir la chaire - si c'était une église. Le troisième motif remarquable est le spectre coloré des vitraux (voir plus haut) et, enfin, le quatrième et dernier rappel est le maillage arc en ciel des neuf autres ouvertures qui ornent le mur principal du bâtiment.
Si vous rêvez d'une petite méditation à Austin, sur le campus, dans la plus grande simplicité et en même temps au sein de l'œuvre posthume d'Ellsworth Kelly, c'est le plus simple moyen de retrouver le vrai sens du mot mystique, une simple énergie à partager et qui se communique par une certaine présence. Autrefois, c'était religieux, aujourd'hui, c'est artistique. Et c'est très bien comme ça! C'est juste sublime, stricto sensu …
Jean-Pierre Simard le 9/02/18
Ellsworth Kelly - Austin
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