Gilets jaunes, un point de vue d'Infocomm CGT/Front social

LE JOUR D’APRÈS, PREMIÈRES LEÇONS

La mobilisation réussie du 17 novembre a été initiée par des secteurs de la petite bourgeoisie, petits patrons notamment du BTP, artisans, professions libérales, travailleurs indépendants... sur le rejet des taxes sur les carburants.

Elle s'est ensuite élargie rapidement sur ce même terrain revendicatif à de simples salariés de zones périurbaines ou des campagnes obligés de prendre leur véhicule pour aller travailler ou se déplacer.

Enfin elle s'est accrue plus largement de vastes secteurs de salariés de toutes conditions ou de retraités et a alors déplacé l'axe des revendications des carburants vers un ras-le-bol généralisé dénonçant tout à la fois l'ensemble des taxes indirectes mais aussi la vie chère, les attaques contre les retraités, le blocage des salaires et des pensions, la dégradation des services publics, le favoritisme à l'égard des riches et des gros patrons, le mépris gouvernemental envers les pauvres, etc.

Du coup, cette mobilisation, qui avait la particularité d'être contre les taxes, n'était pas pour moins d'Etat. La plupart des manifestants dénonçaient moins les taxes pour elles-mêmes que leur utilisation au profit exclusif des riches au détriment des services publics, de l'environnement, de la population. Cette mobilisation n'est pas à part mais se situe totalement dans le climat général de mobilisation sociale qui existe dans le pays depuis trois ans.

Ce n'est pas un « OSNI » un Objet Social Non Identifié, comme le disent certains. Sa particularité vient d'une part de l'absence en cet automne de mobilisation un tant soit peu sérieuse organisée par les directions syndicales qui apparaissent de plus en plus comme co-organisatrices du recul, tellement elles sont obnubilées par des négociations avec le gouvernement, et d'autre part de l'abandon du terrain social par les directions politiques de gauche qui n'offrent que la lointaine et creuse perspective des élections européennes.

Dans ces circonstances, il a suffi que le vide politique ainsi laissé face aux attaques de Macron qui continuent pourtant de plus belle et l'incapacité pour le moment du milieu ouvrier combatif à bousculer ses propres organisations, soit rempli par une mobilisation des classes moyennes pour que les classes populaires s'en emparent et lui donnent une toute autre coloration que celle qu'aurait espéré une extrême droite aux aguets. Car si le danger de l'extrême droite est bien réel, si elle peut à tout moment et très rapidement tenter d'instrumentaliser des milieux populaires en l'absence du mouvement ouvrier, si on pouvait le craindre au début de cette mobilisation, la coloration générale du 17 n'était, dans son ensemble pas du tout celle-là.

Et plus que cela, ironie de l'histoire, même si c'est la petite bourgeoisie qui dans un premier temps a occupé le vide laissé par les organisations ouvrières, la participation populaire ensuite des couches de travailleurs les plus humbles et les moins organisés à cette initiative, petits employés, ouvriers de petites entreprises, auto-entrepreneurs, chômeurs, précaires, salariés retraités – et pour la majorité c'était leur première mobilisation de leur vie - a permis à ce mouvement populaire du 17 novembre dans son ensemble de franchir une étape.

Il s'est hissé par sa détermination et l'efficacité de cette détermination au niveau global politique que le mouvement ouvrier devrait avoir pour faire face aux attaques du gouvernement et du Medef, celui d'une contestation sociale d'ensemble et déterminée. Et par là, c'est l'ensemble du mouvement ouvrier qui va être porté à cette ambition. Il est difficile en effet de penser qu'il n'y ait pas un avant et un après 17 novembre. Ce mouvement va exercer une pression sur l'ensemble des travailleurs organisés.

Ce n'est pas nouveau puisque nous avions déjà signalé dans des articles précédents comment les secteurs les moins syndiqués de la classe ouvrière, femmes, migrants, salariés sans qualification avaient joué un rôle déterminant dans les mobilisations de cette dernière année, mais de manière relativement invisible pour l'ensemble. Cette fois, il n'est pas possible d'imaginer que les militants ouvriers pourront reprendre demain le train-train des journées d'action syndicales saute-mouton ou corporatistes sans avoir à l'esprit face aux jérémiades des directions syndicales sur le soit-disant manque de combativité des ouvriers non syndiqués, que ceux qui ont justement montré dans cette mobilisation, détermination et efficacité, étaient justement ces derniers.

C'est le manque de détermination des directions syndicales qui pèche et non celui de la base ouvrière. Il ne s'agit pas chacun dans son coin de se lancer dans le dur labeur du recrutement syndical et de l'explication mais de proposer une politique d'ensemble déterminée. Cela signifie que la perspective de la construction de la grève générale illimitée - seule suite réaliste aux actions type 17 novembre - sera plus que jamais posée aux salariés les plus conscients et aux équipes militantes combatives. Une grève générale pas seulement pour telle ou telle revendication fut-elle salariale mais qui pose le problème de reprendre tout ce que le Medef, Macron et ses prédécesseurs nous ont volé, c'est-à-dire le problème du pouvoir et avec cette question la nécessité d'un véritable programme de transition pour aller vers une société meilleure.

Jacques Chastaing et Jean Gersin, adhérents Info-Com CGT, le 19 novembre 2018