Revendications des personnels des EHPAD : la ministre répond "c'est déjà énormément d'argent"

Pour la première fois, les personnels des EHPAD seront en grève et manifesteront dans tout le pays ce 30 janvier 2018 à l'appel de sept syndicats. Au-delà de la réforme de la tarification des établissements pour personnes âgées, c'est le ras-le-bol des personnels qui est au centre de ce mouvement. Ceux-ci dénoncent une maltraitance institutionnelle liée au sous-effectif et au manque de moyens.

La colère grondait depuis des mois et même des années. Elle a fini par éclater. Et se traduira par des centaines de rassemblements dans toute la France. A l'appel des syndicats CGT, CFDT, FO, Unsa, CFTC, CFE-CGC et SUD, avec le soutien de l'association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA) et d'associations de retraités, les personnels sont appelés à débrayer ce mardi et à se rassembler, notamment devant les agences régionales de santé. C'est un véritable appel au secours que lancent les salariés de ces établissements.

A travers le hashtag #balancetonEhpad sur Twitter, les soignants des maisons de retraite multiplient les témoignages sur leurs conditions de travail de plus en plus précaires, dénonçant le mal-être qui en résulte pour les personnels, ainsi que la maltraitance qu'elles entraînent pour les personnes âgées. Les témoignages, ahurissants, en disent long sur cette maltraitance induite par le manque de personnel et le manque de temps accordé aux résidents, comme le montrent les deux tweets que nous reprenons ci-dessus.

 

Déjà, le 3 avril 2017, les salariées de l'Ehpad les Opalines, avaient fait grève jusqu'au 27 juillet. Une grève particulièrement longue dans ce secteur où les salaires des aide-soignantes sont en moyenne de 1500 euros. Elles avaient finalement obtenu 450 euros de prime, deux postes supplémentaires et trois semaines de congé payés dans cet établissement privé où les chambres sont à 2700 euros et qui a dégagé un résultat de 329 000 euros en 2015. Mais les salariées s'indignaient de constater qu'elles n'étaient que 8 par équipe en journée de 10h30 de travail pour 77 résidents. Avec ce sous-effectif chronique auquel s'ajoutent les absences non remplacées, impossible d'accorder aux résidents le temps nécessaire pour la toilette, le coucher ou le repas.

Le 7 août 2017, Ouest-France publiait une enquête sur la maison de retraite de Paimboeuf, en Loire-Atlantique. L'une des résidentes y déplorait que sa dernière douche remonte à trois semaines. Les salariées expliquaient qu'elles ne sont que cinq le matin pour s’occuper des cinquante-huit résidents. Elles servent le petit-déjeuner, font la toilette et les lèvent avant le déjeuner. « On ne me lève jamais à la même heure : 9 h, 11 h 30… Tout dépend de la tournée du jour », se plaignait une autre résidente, âgée de 84 ans. Des résidents avaient fait grève aux côtés d'une partie des soixante agents de la maison de retraite. Les premiers pour dénoncer leurs conditions de vie, les autres pour dénoncer leurs conditions de travail. C'est d'ailleurs la même configuration qui va se reproduire aujourd'hui -avec personnels en grève soutenus par les personnes âgées dont ils s'occupent ainsi que par leur direction-, mais étendue à toute la France.

Mais la situation dénoncée par les grévistes de Fougerans ou Paimboeuf en 2017 n'a rien d'exceptionnel. C'est le lot de tous les EHPAD. Il est courant de ne compter que deux salariées pour 80 résidents sur deux étages, comme en attestent plusieurs témoignages. D'où ces toilettes "TMC" [pour tête-mains-cul] comme les ont surnommées de nombreuses aide-soignantes. En septembre dernier, une mission parlementaire dénonçait les conditions de vie et de travail dans les établissements pour personnes âgées : outre le manque chronique de personnel, l'absence de médecin coordonnateur (pourtant obligatoire dans les textes) ou d'une infirmière la nuit, l'absence de formation gérontologique pour les personnels ou encore un taux d'accident du travail supérieur deux fois supérieur à la moyenne nationale et même à celui du secteur du bâtiment.

Officiellement, ce qui a déclenché la grève des personnels des EHPAD, c'est la réforme de la tarification des établissements, particulièrement sensible pour ceux qui relèvent du secteur public et associatif. Votée sous François Hollande, la loi relative à l'adaptation de la société au vieillissement doit être mise en oeuvre par Agnès Buzyn, actuelle ministre de la santé. Or, selon la Fédération hospitalière de France, elle se traduira par un budget amputé de 200 millions pour les 3250 Ehpad du secteur public et associatif. Jusqu'à la refonte du système de tarification,  leurs dotations étaient légèrement supérieures à celles des Ehpad commerciaux pour compenser la liberté des prix d’hébergement utilisée comme variable d’ajustement budgétaire par les établissements privés.

Aux conséquences de la réforme de la tarification des établissements, s'ajoute la baisse des emplois aidés dans le secteur. Or, il y en avait 25 000 dans celui de la santé, dont la moitié en EHPAD, selon la FHF. "Ce sont des gens qui s’occupent de l’accueil, des espaces verts, de l’animation ou qui aident dans les cuisines, expliquait Frédéric Valletoux, son président à France TV info, en août dernier. Toutes ces fonctions sont utiles aux résidents."

La ministre a lâché 50 millions d'euros qui s'ajoutent, a-t-elle déclaré, aux 100 millions d'euros votés dans le plan de financement de la sécurité sociale adopté en décembre dernier. Le compte n'y est pas, estiment les organisations syndicales. Les 50 millions débloqués représentent en effet 68 euros par personne et par an pour les 728 000 personnes résidant en EHPAD, selon une enquête de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) qui dépend du ministère de la santé. Or, si le nombre de personnes âgées en EHPAD a bondi de 35 000 entre 2011 et 2015, le personnel, lui, n'a pas augmenté.

Car le problème, c'est ce manque de personnel généralisé et des salaires insuffisants. En 2006, le plan grand âge préconisait "d’augmenter significativement le nombre de soignants auprès des personnes âgées". Une recommandation qui n'a jamais été suivie d'effets, par manque de budget. Les personnels et leurs syndicats demandent que soit retenu le ratio de un agent pour un résident. Alors qu'il n'est que de 0,6 aujourd’hui, tous personnels confondus. Cette revendication n'est pas qu'une question statistique : l'augmentation des effectifs réclamés par les salariés des EHPAD est une revendication pour "plus de dignité". Pour eux comme pour les personnes âgées et leurs familles.

Dans une lettre publiée adressée à la ministre de la santé par Patrick Pelloux, Christophe Prudhomme et Sabrina Ben Ali, les signataires écrivent : "Nous soignants, ne pouvons tolérer les dysfonctionnement de ces structures qui, faute de personnel et de présence médicale, n’ont d’autre choix que de transférer les résidents dans les services d’urgence, où ils patientent des heures sur des brancards dans des conditions indignes". Devenue une pétition sur change.org, elle a été signée par plus de 300 000 personnes. Le texte dénonce l'approche retenue par Agnès Buzyn, qui parle de "problèmes de management" et le refus du président de la république de recevoir une délégation de signataires de cet appel.

Malgré le mécontentement généralisé et le soutien de l'opinion à ces revendications légitimes, Agnès Buzyn campe sur ses positions et défend son budget. La colère [des salariés] «est justifiée», a déclaré la ministre, qui rappelle qu'elle a mis en place un groupe de travail sur la qualité de vie au travail dans les Ehpad et sur les carrières, en septembre dernier. Évoquant les 100 millions budgétés pour les maisons de retraite, auxquels s'ajoute l'enveloppe de 50 millions qu'elle a annoncée dernièrement, elle ajoute "c'est déjà énormément d'argent".

Sauf que, selon la FHF, il faudrait déjà 200 millions d'euros rien que pour mettre à niveau des EHPAD qui sont à bout de souffle.  Et, pour permettre une prise en charge digne des personnes, il faudrait plusieurs milliards, selon Claudy Jarry, président de la FNADEPA, (Fédération nationale des associations de directeurs d'établissements et services pour personnes âgées), dont l'organisation est solidaire du mouvement.

Pour comparaison, la réforme de l'ISF aura coûté 3,2 milliards d'euros à l'Etat, contre 2 milliards annoncés par Macron lors de sa campagne électorale. Et celle de la taxe forfaitaire unique sur le capital atteindrait coûterait de 5 à 20 milliards d'euros à terme, selon Mediapart. On serait tenté de répondre que cela représente aussi "énormément d'argent" pour ces "premiers de cordée" qui vont bénéficier de cadeaux fiscaux considérables. Et qui ne s'intéressent aux EHPAD que comme placement rentable potentiel. Sur le site "Plus de retraite", qui vante des "prix d'exception" (entre 65 000 et 100 000 euros, c'est donné !), on apprend que la rentabilité de ce type d'investissement est de 5%. Pour ajouter : "avec de telles conditions [de rentabilité], les chambres médicalisées en EHPAD sont acquises dés les premières minutes de leur mise sur le marché". Conclusion du site qui propose une simulation sur 25 ans : "Autant dire qu’il n’y en aura pas pour tout le monde !"

Quant aux commentateurs qui se croient autorisés à nous expliquer qu' "on ne peut pas financer" ces besoins-là avec de l'argent public parce que "c'est trop coûteux", rappelons-leur que cela relève d'un choix de société et que payer pour assurer des conditions de vie dignes en maison de retraite à nos aînés quel que soit leurs revenus, est bien le moins qu'on puisse attendre d'une société civilisée.

Véronique Valentino