Le feulement des coyotes dans Châtelet - Les Halles, par Arnaud Maïsetti

C’est un accès, une chose qui passe ; qui est déjà passé en partie, mais les forces qui la provoquent ne cessent de frémir en moi, avant et après ; que dis-je ma vie, mon existence sont faites de cette menace souterraine ; si elle cesse, je cesse aussi, c’est ma façon de participer à l’existence.
— Kafka, lettre à Milena Jesenska, 18 septembre 1920

Couloirs de Châtelet-Les Halles, samedi, correspondance (est-ce le mot ?) du RER B vers la ligne 1 : trajet que j’ai fait mille fois, ces dix dernières années, et depuis trois ans, presque jamais – autour de moi est le même lieu, méconnaissable pourtant. Encore en travaux, et déjà trop usé. Les hommes autour de moi sont les mêmes qu’autrefois, plus jeunes, plus tristes, plus sereins aussi : je les regarde. Je marche parmi eux et je suis parmi eux l’un des leurs aussi. Et pourtant, s’ils savaient. J’essaie de me souvenir du lieu, avant : de ce lieu que je connaissais si bien, dans lequel j’évoluais les yeux fermés. J’aurais dû mieux ouvrir les yeux. Je suis, ce samedi, incapable de me rappeler comment était le lieu avant.

Est-cela, aussi, encore : avoir un passé ? Et puis, toujours dans les couloirs de Châtelet, je me souviens des pensées qui me venaient : je m’efforçais, jadis de penser aux forêts et aux cris des coyotes dans les forêts du Nord, qui dans ces mêmes moments, hurlaient sans doute dans le vent. Alors, immédiatement, me revient par effluves cette pensée, des coyotes, que j’avais trop oubliés. Les types autour de moi passent comme s’ils venaient vers moi sans me voir, s’éloignent. Dans ce lieu défiguré les coyotes sont des amis, soutiennent ma solitude ici et mon passé.

À travers les couloirs, la lumière toujours égale du temps, d’hier, du matin et du soir, de demain, d’aujourd’hui sans doute tandis que j’écris cela dehors, sous le ciel écrasé de chaleur de Marseille, passe ce qui a passé, et qui demeure, quelque part dans l’ombre des forêts du Nord, de l’Ouest, le squelette d’un chat perdu, le feulement des coyotes dont je lis aujourd’hui qu’ils vivent quinze ans. Le plus jeunes de mes coyotes est donc désormais un vieillard, qui cherche sans doute l’arbre où mourir ? Dans les couloirs de Châtelet-Les Halles, les types passent.

Arnaud Maïsetti, le 13 juin 2017

Arnaud Maïsetti vit et écrit entre Paris et Marseille, où il enseigne le théâtre à l'université d'Aix-Marseille. Vous pouvez le retrouver sur son site Arnaud Maïsetti | CarnetsFacebook et Twitter @amaisetti.