“Est-ce que vous me renvoyez au Soudan pour mourir ? Rendez-moi ma liberté”

MAUVAISE NOUVELLE : Nous apprenons à l'instant (10h30) que malgré la présence d'une vingtaine de personnes, dont six réfugiés du Darfour, venus expliquer aux passagers du vol sur Khartoum pourquoi ils devraient s'opposer à la présence de force dans l'avion de Mohamed Moussa, expulsé de France et renvoyé contre son gré au Soudan, rien n'a été possible pour empêcher son expulsion. Il est donc en ce moment, probablement shooté au somnifère, comme cela se fait beaucoup, en route pour retrouver la police soudanaise, qui l'attendra à l'aéroport. Voilà ce qu'est une expulsion de France.

Les gens qui prennent ce genre de décision (à la légère ? est-ce possible que ce soit à la légère ? ont-ils entendu dire que le régime soudanais est plus répressif que jamais en ce moment ?) prennent de lourdes responsabilités. En ont-ils seulement conscience ? Quant aux politiques qui se contentent de dire : "Qu'on les renvoie d'où ils viennent", sans même sembler imaginer qu'il s'agit à chaque fois d'un drame humain, que dire d'elles ? que dire d'eux ?

Reste cet entretien avec Mohamed Moussa réalisé hier, veille de son expulsion, comme témoignage de la manière dont la France (pas toute) refuse d'accueillir des réfugiés, fussent-ils du Darfour (et pourtant, ce n'est pas faute d'avoir fait pleurer à chaudes larmes sur le sort des habitants de cette région, à une époque. Oui, mais ça, la compassion, c'était tant qu'ils restaient à mourir là-bas, chez eux. On ne pensait pas qu'il y en aurait qui songeraient à s'enfuir, refaire leur vie, et même venir jusqu'à chez nous, dans la lointaine Europe. Ce doit être ça.)

Christian Perrot


Aujourd’hui nous nous sommes entretenus avec Mohamed Moussa actuellement enfermé depuis 43 jours au Mesnil Amelot et expulsable via Doha avec la compagnie Qatar Airways par le vol de 9h25 ce jeudi 16 mars 2017, un jour avant la fin de sa détention. Stoppons l’ expulsion de Mohamed Moussa et celles de tous.tes les autres.

« J’étais commerçant. Je vendais des produits alimentaires entre le nord du Darfour et le sud d’où je viens (Nyala) au Soudan.

Je vendais du sucre, de l’huile, de la farine, du thé, de la sauce tomates et même du Coca et du Pepsi. Parfois, je vendais aussi des vêtements comme des pantalons quand il y en avait. Deux fois par mois je prenais les transports en commun pour faire la navette entre le Nord et le Sud.

J’avais hérité d’un petit pécule pour faire ce buisness. Il venait pour partie de l’héritage après la mort de son père, qui était aussi commerçant et qui possédait un petit supermarché. J’ai 30 ans et suis l’aîné d’une famille de 5. Il y a mon frère Amjad, 26 ans, et j’ai trois petites sœurs : Majda (24 ans), Mahla (22 ans) et Maissa (11 ans).

Mon père est mort tué par la guerre et les Janjaouid à côté de Chiria. »

Il faut savoir que Mohamed est Zaghawa. Ce groupe ethnique représente 6 % de la population du Soudan et il est ciblé et persécuté notamment par le gouvernement soudanais[1].

Nous avons reçu sa photo via un de ses amis car les téléphones équipés d’appareils photos sont interdits ou systématiquement cassés en rétention.

Nous avons reçu sa photo via un de ses amis car les téléphones équipés d’appareils photos sont interdits ou systématiquement cassés en rétention.

C’est avec ce même gouvernement que la France et l’Union Européenne signent des « accords de coopération » dans lesquels les uns donnent de l’argent ou font des « allégements de dette » quand les autres s’engagent à bien contrôler leur ressortissants et leurs frontières.

« Un jour alors que je revenais voir ma mère qui était malade, je me suis fait attraper par une milice qui m’a amené dans un dépôt à côté d’une voie ferrée près de Nyala. De là, j’ai été transféré dans une prison à 15 km de la ville où je suis resté pendant 10 mois. Je ne souhaite pas me souvenir ni parler de ce qui s’est passé là-bas. Cette partie de ma vie était très dure, noire. On était en 2012.

« Suite à l’intervention de mon oncle, des miliciens parmi ceux qui m’enfermaient sont venus me voir et ils m’ont annoncé qu’ils me laisseraient sortir à la condition expresse que je quitte ma terre du Darfour. Je suis donc parti pour Al Fashir, puis je suis entré en Lybie. Là, après avoir fait divers petits boulots, j’ai travaillé comme ouvrier agricole dans un champ pour un patron qui m’hébergeait, de 2013 à 2015. Malgré la guerre j’aurais pu rester là si je n’avais pas eu d’autres problèmes. Par deux fois des membres de milices et de bandes armées sont venues racketter la ferme, je me suis fait menacer car je n’avais pas d’argent, insulter, et maltraiter. J’ai été menacé de mort : « on va te tuer sale étranger », m’ont-ils dit. Plusieurs fois je suis allé voir mon patron qui m’a répondu : « c’est comme ça, je ne peux rien faire ».

En septembre 2016 dernier, j’ai donc pris un petit bateau.

J’ai payé 1000 dinars lybiens. J’ai voyagé dans la cale vu que je n’avais pas payé beaucoup d’argent. Nous étions 110 personnes entassées pendant 11h, après quoi nous nous sommes fait accoster par un autre bateau plus grand dans lequel nous sommes restés deux jours avant d’arriver en Italie. J’ai réussi à ne pas laisser mes empreintes en Italie.

Je suis arrivé à Paris en octobre dernier et j’ai passé 5 jours à la Chapelle à dormir dans la rue. En face du Camp. Je voulais me reposer mais ce n’était pas possible. Plusieurs personnes m’ont conseillé là-bas de partir pour Calais car c’était plus simple pour les démarches, plus rapide et qu’il y avait des organisations qui aidaient les éxilé.es.

Le 31/01, il me restait deux euros dans la poche et j’avais faim.

J’ai « fait des courses » et je me suis assis dans un parc public pour manger.

La police est venue le voir et ils m’ont demandé mes papiers.

Je ne comprenais rien [Mohamed ne parle pas français et très peu anglais]. Ils m’ont embarqué au commissariat et là-bas on m’a donné un papier. J’ai refusé de signer car je ne comprenais pas ce qui était écrit [c’était une Obligation de Quitter le Territoire Français].

Du commissariat j’ai été amené dans un deuxième centre « Paris Charles de gaulle ».

C’est là que j’ai voulu faire une demande d’asile mais on m’a dit que c’était trop tard.[2]

En tout je suis passé cinq fois devant le juge. J’avais des traducteurs différents à chaque fois mais très souvent je ne comprenais pas ce qu’ils me disaient car nous ne parlions pas le même arabe.

Au tribunal on me reprochait à chaque fois de ne pas avoir demandé l’asile dès mon arrivée. J’ai pourtant dit que je n’ai pas pu le faire ne sachant ni où aller et ne connaissant ni la langue ni les institutions.

Fin février, le 22 si je me souviens bien la police de la prison est venue avec 4 personnes soudanaises. Je ne sais pas pourquoi ils sont venus me voir. La police ne m’a rien expliqué.

Les soudanais m’ont dit qu’ils faisaient partie d’une organisation humanitaire qui aide les exilé.es. Ils avaient l’air bizarres c’est pour ça que je suis resté méfiant et surtout plutôt silencieux. Du fait de mon attitude ils ont mis fin à la discussion et on m’a ramené dans ma cellule[3]

Ils ont déjà voulu m’expulser le 24 février mais ils ne pouvaient pas car il n’y avait pas de papier de l’ambassade.

Si je reviens au Soudan, les milices me tueront. Je ne peux pas rentrer !

De plus ma tribu est perçue comme opposante au régime.

Est-ce que vous me renvoyez pour mourir ? Rendez-moi ma liberté et laissez-moi commencer mes démarches. Emprisonné je ne peux rien faire. Je suis Darfouri et menacé de mort !

Comment voulez-vous que je fasse des démarches alors qu’il me faut du temps pour comprendre comment faire, connaître et savoir où aller?!

Je précise que l’attitude de la police est incorrecte et qu’à aucun moment je n’ai eu un traducteur qui parlait ma langue, mes droits ont été violés.

Je n’ai pas trouvé la justice que j’espérais en France. Dommage. »

COLLECTIF LA CHAPELLE DEBOUT·MERCREDI 15 MARS 2017

[1] http://www.refworld.org/docid/54f04...

[2] Il s’agit du centre de rétention du Mesnil Amelot.

[3] Normalement on présente les migrant.es aux ambassades dont ils dépendent. Elles doivent reconnaître le ressortissant et délivrer un laissez passer consulaire pour qu’ils ou elles puisse être expulsé.es.

On notera donc la nouveauté puisque ici la police et l’administration travaillent mais dans la main avec l’ambassade. Tout est bon pour déporter.

Nous ajoutons que si visiblement l’accès au CRA est facile pour le gouvernement soudanais.es, ce n’est pas la même chose pour les citoyen.ness, les médecins ou les avocat.es et que même les associations agréées par l’Etat.En effet, elles sont très strictement contrôlées et surtout limitées dans leur prérogatives.