L’argent public finance-t-il la fermeture des bureaux de poste ?
Après avoir fermé des bureaux de poste en zone rurale, la Poste s’attaque depuis plusieurs mois à ceux des villes, remplacés par des relais commerçants. Problème, elle touche de l’argent au titre de sa mission de service public en matière d’aménagement du territoire. La Poste est aussi l’entreprise qui touche les plus gros montants en matière de crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE). Alors cet argent, censé financer la présence postale sert-il in fine à supprimer des bureaux de poste ?
Ce n’est pas une nouveauté. Depuis le milieu des années 2000, date de l’ouverture à la concurrence du service postal, le groupe La Poste supprime des bureaux en zone rurale, car elle estime que la baisse de fréquentation et la chute de l’activité courrier ne justifie plus le maintien d’un certain nombre d’entre eux. Mais le mouvement s’accélère. Et depuis 2010, la Poste s’attaque aussi à ceux des villes, grandes et moyennes. A Paris, leur nombre est passé de 198 à 173. Soit vingt-cinq bureaux de poste remplacés par des relais commerçants installés dans des supérettes.
Des protestations dans toute la France
La semaine dernière, une manifestation réunissait syndicalistes de La Poste mais aussi des élus et usagers devant le bureau de poste de la rue Curial (19e arrondissement de Paris), promis à une fermeture prochaine. D’autres manifestations ont eu lieu ces dernières semaines dans la capitale : devant le bureau de poste de la Place des Fêtes (Paris 19e), devant celui du Boulevard Mortier (Paris 20e) ou encore boulevard Bessières (Paris 17e). On ne compte plus les pétitions et appels, qui ont vu le jour, partout en France, pour s’opposer au remplacement des bureaux de poste par des relais commerçants. Une pétition a même vu le jour dans le 16e arrondissement. Le Collectif Poste, qui regroupe des élus, des associations et des syndicats, publie d’ailleurs une carte des actions en cours et des fermetures intervenues récemment.
Un réseau de bureaux de poste qui diminue
C’est dire si ces fermetures provoquent un vrai mouvement de réprobation et démontrent l’attachement des Français au service public postal. Pourtant, si la poste est depuis 2010 une société anonyme à capitaux publics, avec ouverture du capital en 2011, elle continue d’assumer quatre missions de service public, qui font l’objet d’un contrat d’entreprise pluriannuel avec l’Etat : service postal universel pour le courrier, acheminement de la presse, accessibilité bancaire et aménagement du territoire. La loi postale de 2010 fixe à 17 000 le nombre de points de contact que doit maintenir la poste. Fin 2016, ils étaient 17134 selon la Poste. Mais la loi prévoit aussi que La Poste, adapte son réseau, « notamment par la conclusion de partenariats locaux publics ou privés, en recherchant la meilleure efficacité économique et sociale ». Selon le contrat tripartite de présence postale 2017-2019, signé par l’Etat, l’association des maires de France (AMF) et le groupe la Poste, le nombre de ces points de contacts en partenariat s’élevait à 48,5 % de l’ensemble du réseau à fin 2016. Selon la Poste, à cette date, il y avait 8 835 bureaux de poste, 5950 agences communales ou intercommunales et 2349 relais-colis. Or, les agences communales sont, comme leur nom l’indique gérées par les communes (ou intercommunalités). Ce sont des fonctionnaires territoriaux qui y assument les missions de la poste. Quant aux relais-poste, ils sont tenus par des commerçants qui sont rémunérés par un forfait de 317 € par mois (variable selon les caractéristiques géographiques) et une part variable en fonction des produits vendus.
Des fonds publics pour la présence postale qui financent la fermeture des bureaux
Mais là où le bât blesse, c’est que le financement de ce fonds de péréquation est assuré par des abattements de fiscalité locale (contribution économique territoriale et taxe foncière) consentis par l’Etat à la Poste. Pour 2017, 2018 et 2019, leur montant est de 174 millions d’euros. A comparer au coût net, pour la Poste, du maillage territorial estimé à 238 millions d’euros en 2014 par l’Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes). Les 174 millions d’euros par an du fonds de péréquation doivent financer une dizaine de milliers de points de contact, en zone rurale, en zone urbaine sensible et dans les DOM, via un fonds de péréquation. Ils doivent aussi servir à créer un nouveau type de point de contact, les maisons de service au public. Celles-ci réunissent dans un même bureau de poste plusieurs services : emploi, retraite, famille, social, santé, logement, énergie, services postaux, accès au droit, etc. Fin février 2017, il en existait 500, mais leur nombre devrait atteindre le millier cette année. Il faut aussi compter avec les nombreux bureaux de poste qui n’ouvrent plus que quelques heures par semaine et ceux qui sont tenus par des facteurs guichetiers, à qui on demande toujours plus de polyvalence. Ce sont donc les fonds publics qui financent à plus de 75% la fermeture des bureaux de poste ou leur transformation en relais commerçants, agences communales ou autre point de contact en partenariat. Car pour la Poste, seule compte la notion de « point de contact », dont on a vu qu’elle correspond aussi à une casse du service public.
Les mécomptes de la Cour des comptes
Ce n’est pas le seul paradoxe, concernant la Poste. Le rapport de la Cour des comptes de décembre 2016 rappelle qu’elle est le principal bénéficiaire du CICE. Elle a engrangé 340 millions d’euros par an en moyenne depuis 2013 et cette somme devrait augmenter de 53 millions d’euros en 2017. Pourtant, le Crédit impôt compétitivité emploi devait « soutenir les entreprises intervenant sur un marché très concurrentiel et soutenir leur activité exportatrice », alors que selon les chiffres qu’elle publie sur son site, l’entreprise réalise plus de 77% de son chiffres d’affaires en France. On se pince aussi en lisant ce rapport qui rappelle que le CICE « avait d’emblée pour vocation de renforcer la compétitivité mais aussi de développer l’emploi ». Or, la Poste supprime depuis plusieurs années plus de 7 000 emplois par an. Mais ce n’est pas ce qui choque la Cour, qui insiste sur la nécessité de fermer des bureaux de poste, maîtriser les salaires, faire reculer le nombre d’arrêts maladie et surtout de réformer le dialogue social qui freine les évolutions !
Des incivilités en augmentation de 21 %
Pour le Secrétaire général de Sud Ptt, les fermetures de bureaux de poste se font le plus souvent dans les quartiers populaires, là où la couverture financière des activités est moindre. Ce que la Poste reconnaît à demi-mots. Suite à une question posée par mail, elle refuse de nous indiquer le nombre de suppressions prévues en 2017, mais nous apprend que « les réflexions pour l’évolution du réseau se font localement et en fonction de critères (fréquentation, contexte socio-économique de la zone, services présents) ». Le remplacement des bureaux de poste par des maisons de service public est particulièrement problématique, selon Nicolas Galepidès. « Sous prétexte de répondre aux attentes des ‘clients’ », explique Sud PTT, « on accélère la dématérialisation des services publics au détriment de la relation humaine qui est au cœur de la notion de service public ». « On oblige les postiers à remplacer les salariés d’autres services publics, comme Pôle emploi, la Caf ou l’assurance maladie, ce qui conduit à une hausse des incivilités ». Difficile, en effet, de faire face à un chômeur en difficulté, quand on a pour seules informations, celles fournies par une tablette numérique, en libre-service… Les résultats de La Poste pour l’année dernière montrent en effet une hausse du nombre de journées perdues pour « accident du travail, du trajet ou maladies professionnelles », alors que dans le même temps les effectifs ont baissé. Quant aux incivilités, elles auraient augmenté de 21%, pour un total de 900 en 2016. Ce qui n’a pas empêché les résultats de la branche courrier du groupe La Poste de progresser pour atteindre 23,2 milliards d’euros en 2016 avec une hausse du bénéfice net de plus de 200 millions.
Quand les caissiers jouent au facteur
La Poste passe de plus en plus d’accords avec des commerçants, des buralistes et commerçants, voire même des supérettes en ville. Elle met en avant les avantages pour ses clients, notamment des horaires élargis. Les clients sont donc invités à poster leur courrier au Carrefour market du coin, ainsi qu’à y retirer leurs recommandés. Certains services bancaires sont même assurés par ces relais commerçants, puisque les clients de la Banque postale peuvent y retirer jusqu’à 150 euros par jour. Les indices de satisfaction seraient plutôt élevés, selon la Poste. Des enquêtes qui ne prennent pas en compte un facteur essentiel : la satisfaction des salariés de ces supérettes qu’on oblige à jouer les postiers. Laurent Degousée, de Sud Commerce, explique que « en plus de faire la caisse, la mise en rayon et le ménage pour un salaire proche du SMIC, parfois à temps partiel, on leur demande d’être postiers, sans supplément de salaire ». Il explique que beaucoup de ces magasins violent déjà la loi sur le repos dominical, le repos hebdomadaire et le travail nocturne et contournent les obligations de désignation d’instances syndicales.
Des responsabilités y compris financières
Laurent Degousée cite l’exemple du supermarché Super Picpus, géré par Franprix, qui fait signer une « déclaration d’engament et de déontologie » aux salariés qui assurent ce nouveau service. Nous la reproduisons ici. En plus de « respecter l’image de La Poste », d’adopter « le comportement professionnel et les règles d’accueil préconisées par la Poste », qui n’est pourtant pas leur employeur, le salarié de l’enseigne doit « respecter la confidentialité des opérations et le secret des correspondances ». Mais ce qui chiffonne le plus le syndicat Sud Commerce, ce sont les responsabilités financières qui sont assumés par ces salariés, alors que, « en cas d’erreur de caisse, ils sont déjà sanctionnés par un licenciement ». Pour Laurent Degousée, postier c’est un vrai métier, assorti d’une prestation de serment, comme l’explique d’ailleurs le site Internet de La Poste. Ce « serment reste fondé sur la notion de devoir d’honnêteté et de probité, en réaffirmant l’importance du secret professionnel et de l’inviolabilité des correspondances », explique son espace recrutement.
Véronique Valentino