L'Italie veut quadrupler le nombre d'expulsions de migrants

C’est véritablement un retour au passé que le nouveau plan de mesures sur l’immigration et le droit d’asile annoncé par le ministre de l’Intérieur Marco Minniti, de concert avec le chef de la Police Franco Gabrielli : toutes sont sous le signe du plus pur esprit répressif et sécuritaire ; toutes sont conçues pour accélérer la machine des rafles et expulsions, quels que soient les droits fondamentaux ainsi violés. L’objectif affirmé est la multiplication du nombre d’expulsions, de cinq mille actuellement à dix mille, avec l’ambition d’arriver même à vingt mille, ainsi que l’augmentation des rapatriements forcés au moyen de nouveaux accords bilatéraux avec des pays d’origine.

Cet objectif, à son tour, est présenté comme ayant pour but de combattre le terrorisme jihadiste : comme si celui-ci n’était pas avant tout, pour citer Alain Bertho, “une expression mortifère contemporaine” de la rage sociale et de la révolte, que la seule logique policière et militaire ne réussira certainement pas à anéantir. Cependant, le plan Minniti semble avoir une finalité complémentaire, celle de complaire aux humeurs populaires les plus malsaines, avec l’espoir illusoire de gagner du terrain sur la droite déclarée ; c’est l’habituelle stratégie des “réformistes” lorsqu’ils sont au gouvernement.

Le plan évoque même un passé malheureux, s’il est vrai qu’il prévoit, entre autres, que les demandeurs d’asile effectuent du travail gratuit - au profit non seulement d’organismes locaux, mais aussi d’entreprises privées - en attendant que les commissions se prononcent sur leur demande. Alors qu’il est défini par l’euphémisme de “travail socialement utile”, ce sera en fait une sorte de travail forcé, puisqu’il est conçu comme une des conditions pour obtenir le statut de réfugié.

Cela équivaudrait à violer la Convention de Genève et le droit international. L’asile est, de fait, un droit subjectif, qui ne peut être soumis à des contraintes ou des chantages. Ce n’est pas pour rien qu’existe l’obligation d’examiner les requêtes au cas par cas, en tenant compte des histoires individuelles et du type de persécution subie personnellement. Si on ajoute à cela l’abolition prévue du niveau d’appel pour les demandeurs d’asile -dont la demande aurait été repoussée par la commission ad hoc, ainsi que par un juge, en cas de recours -, on se rend bien compte que le but est de faire fi de ce droit fondamental.

Conférence de presse le 23 décembre à Rome après l'excution d'Anis Amri, le "terroriste du marché de Noël de Berlin" à Sesto San Giovanni: le ministreMarco Minniti avec Franco Gabrielli, chef de la police, le général Tullio del Sette, commandant gén…

Conférence de presse le 23 décembre à Rome après l'excution d'Anis Amri, le "terroriste du marché de Noël de Berlin" à Sesto San Giovanni: le ministreMarco Minniti avec Franco Gabrielli, chef de la police, le général Tullio del Sette, commandant général des carabiniers et le général Giorgio Toschi, commandant général de la Garde des finances , une police douanière/frontalière militarisée (AP Photo/Gregorio Borgia)

Une autre mesure grave prévue est celle de la multiplication des CIE (Centres d’identification et d’expulsion), sur laquelle il convient de nous arrêter plus longuement. Ne serait-ce que parce que le ministre de l’Intérieur lui-même, du moins jusqu’à sa conférence de presse du 5 janvier dernier au Palais Chigi, semblait ne pas avoir les idées claires sur leur véritable nature.

Nous nous bercions de l’espoir que les CIE avaient fait leur temps et étaient destinés à une progressive disparition, ne serait-ce que parce qu’ils s’étaient montrés énormément coûteux et inefficaces en ce qui concerne l’objectif même pour lequel ils ont été institués : rendre effectives les mesures d’éloignement forcé des personnes immigrées dépourvues de permis de séjour. Mais, au contraire, on passera des quatre centres actuels à au moins vingt, étendus dans toutes les régions, à l’exception du Molise et du Val d’Aoste. Pour dorer la pilule, Minitti promet qu’ils seront de dimensions réduites (de cent places au maximum), que leurs “hôtes” seront protégés par une autorité garante du respect des droits humains, qu’ils seront réservés aux migrants irréguliers qui seront, de plus, “socialement dangereux”. En termes plus crus, Gabrielli déclare que, même s’ils sont déjà habituellement surveillés par les forces de l’ordre, il n’exclut pas l’utilisation de l’armée.

Ces détails (certains plutôt inquiétants) ne sont pas destinés à réduire, mais plutôt à renforcer la nature intrinsèque de la détention administrative : une institution exceptionnelle, ne serait-ce que parce que, en violation ouverte de la Constitution italienne, en particulier de l’art. 13, elle fait de la “rétention” un instrument ordinaire et non validé par l’autorité judiciaire. De cette façon, on prive de la liberté personnelle une catégorie spéciale de personnes, les étrangers non communautaires, et sans qu’ils aient commis un délit punissable de réclusion.

En réalité, comme le releva, entre autres,  en 2014, le Rapport sur les centres d’identification et d’expulsion de la Commission droits humains du Sénat, on n’enferme pas seulement dans les CIE les étrangers “dangereux”, comme le soutient une certaine rhétorique institutionnelle et médiatique. En réalité, ce sont les catégories les plus diverses d’”étrangers/ères” qui finissent là : des demandeurs d’asile potentiels ; des jeunes nés en Italie de parents immigrés ; des résidents légaux qui sont là depuis longtemps, mais qui, ayant perdu leur travail, ont aussi perdu leur permis de séjour ; d’ex-détenus qui, bien qu’ils aient purgé leur condamnation jusqu’à la dernière minute, sont soumis à la double peine ; et même des citoyens communautaires ou mineurs ramassés dans le cadre d’opérations policières indiscriminées, celles-là mêmes qu’annonçait Gabrielli et qui sont probablement déjà en cours. Il est arrivé qu’une Tunisienne, Nabrouka Mimuni, résidente en Italie depuis plus de vingt ans avec son mari et un fils, soit arrêtée par la police pendant qu’elle faisait la queue pour renouveler son permis de séjour, soit conduite dans le CIE de Ponte Galeria et se tue dans la nuit du 5 au 6 mai 2009, quelques heures avant son rapatriement forcé.

Au cours des années, on a produit, outre celui qui a été cité, une grande quantité de rapports et d’enquêtes sur les CIE, dus, soit à des associations parmi les plus importantes, soit à des institutions, même au niveau européen : ils ont tous en commun d’émettre des jugements sévères à l’égard d’une telle anomalie juridique et des violations de droits fondamentaux qu’elle entraîne. Rappelons que les CIE ont été condamnés comme de véritables centres de détention, portant atteinte à la dignité humaine, même par une partie du monde juridique ainsi que par la Cour Européenne elle-même.

Selon les contingences politiques, les centres de détention ont, au cours du temps, changé de nom, modifiant aussi la durée de la “rétention” : des trente jours au maximum initiaux, on est arrivé, en 2011, jusqu’à dix-huit mois. Comme on sait bien, ces structures de détention exceptionnelles furent instituées par la loi dite Turco-Napolitano (l.40 du 6 mars 1998) et prévues par l’art. 14 du Texte Unique sur l’immigration (TU 286/1998), sous le nom de CPTA (ensuite abrégé en CPT), c’est-à-dire Centres d’accueil temporaire et d’assistance, appellation qui cherchait maladroitement à en cacher la vraie nature derrière un oxymore euphémistique. En 2008, avec le quatrième gouvernement Berlusconi, qui, assurément, n’avait pas de scrupules sémantiques, ils prirent leur nom actuel, tout à fait explicite. Aujourd’hui, encore un changement : ils s’appelleront CPR (Centres de permanence pour le rapatriement). Un nouvel oxymore, mais, cette fois, nullement édulcoré : peut-être pour nous indiquer qu’il faut prendre le duo Minniti-Gabrielli au sérieux.

En réalité, quelques mois à peine après l’institution de ces monstres juridiques -qui seront constamment appelés par les media, même mainstream, “centres d’accueil” - on put en vérifier la nature intrinsèquement perverse et funeste, même au sens littéral. Le 1er août 1998, Abdalah Saber mourut dans la prison d’Agrigente, où il avait été transféré après une révolte dans le CPT de Lampédouse : on lui avait administré là une dose excessive de calmants. Mohamed Ben Said, également bourré de calmants, mourut dans la nuit de Noël 1999 au CPT de Ponte Galeria (Rome). La mâchoire fracturée, peut-être à cause du traitement reçu en prison, il avait réclamé pendant des jours et des jours des soins médicaux jamais reçus. Marié à une citoyenne italienne, et donc inexpulsable,  Mohamed n’aurait pas dû être interné dans ce lager.

Quatre jours après, dans la nuit du 28 au 29 décembre, à Trapani, dans le CPT “Serraino Vulpitta”, après une tentative d’évasion durement réprimée par les forces de l’ordre, douze migrants furent enfermés dans une cellule dont la porte fut bloquée de l’extérieur par une barre. En guise de protestation, l’un d’eux mit le feu aux matelas. Ainsi éclata, à l’intérieur, un incendie, mais personne n’intervint à temps pour ouvrir. Dans le bûcher périrent aussitôt, brûlés vifs, trois jeunes Tunisiens. Deux autres devaient mourir quelques jours plus tard à l’hôpital. Le sixième devait cesser de vivre après deux mois et demi d’agonie. Le massacre est resté impuni, tout comme les deux précédents homicides.

Gardés militairement par les forces de l’ordre, souvent protégés par plusieurs dispositifs de grilles et de barreaux (comme c’est le cas dans celui de Ponte Galeria), au point d’apparaître comme plus sombres et blindés qu’une prison, les CIE sont parfois administrés avec une apparence ostentatoire de respect des droits de l’homme, derrière laquelle se cachent toutes sortes de brutalités et des systèmes de gestion quelque peu opaques. Il y règne les formes les plus diverses d’arbitraire, des mauvais traitements, des conditions d’hygiène précaires, des passages à tabac des forces de l’ordre, qui sont suivis de révoltes et d’actes d’automutilation : vous souvenez-vous des protestations “des bouches cousues” ? Pour ne pas parler des suicides et tentatives de suicide, ainsi que des morts par manque de soins médicaux ou par non-assistance : c’est ainsi que mourut, dans la nuit du 18 au 19 mars 2009, Salah Soudani dans le CIE de Ponte Galeria. Leur caractère d’exception permanente est illustré par le recours constant - plus qu’en prison - à l’administration de calmants et neuroleptiques aux internés, souvent à leur insu.

Nous savons bien quelle est l’ambiance en ce moment. La présidence Trump, avec ses nouvelles “lois raciales”, ne fera que légitimer l’Europe-forteresse et alimenter le racisme et l’islamophobie : la récente attaque terroriste dans la mosquée de Québec marque un tragique saut qualitatif. Et pourtant, même nous, qui nous battons depuis des dizaines d’années contre les moulins à vent, nous sommes  frappés de constater que le Viminal (ministère de l'Intérieur) n’a pas prononcé une seule parole à propos de ce qu’on pourrait commencer à appeler un génocide : en 2016, les victimes de la tragique traversée vers l’Europe ont été au nombre d’au moins 5800, ce qui équivaut à plus de 77% des morts de migration à l’échelle de la planète.

Le Centre d'internement des étrangers

Le Centre d'internement des étrangers