Affaire Alexandre : ce que risque le policier municipal, par Véronique Valentino
Le tribunal de Bobigny s’était estimé incompétent pour juger des violences sur Alexandre, violenté en 2015 par un policier municipal. Dans cette affaire qui présente de nombreuses similitudes avec celle de Théo Luhaka, c’est la Cour d’appel qui va devoir trancher. Selon la qualification retenue, les peines seront plus ou moins lourdes.
Mardi, le parquet a fait appel de la décision prise la veille par le tribunal correctionnel de Bobigny. Lundi, celui-ci avait demandé une « requalification criminelle » des violences subies par Alexandre T. Autrement dit, le tribunal a estimé que les faits devaient être jugés pour viol et non pour violences volontaires. Selon Me Marie-Cécile Nathan, son avocate, il faudra donc attendre entre huit et dix mois, délai usuel pour ce type de procédure, pour savoir si le policier municipal qui a violé le jeune homme en octobre 2015, à l’aide de sa matraque télescopique, sera renvoyé aux assises.
Un procès aux assises ?
L’affaire ressemble étrangement à celle de Théo. Un jeune homme, Alexandre T., violenté avec une matraque par un policier, municipal, celui-là. Mais les voies empruntées par la justice divergent. En effet, c’est pour violences volontaires que l’agent de la police municipale a été mis en examen. Jusqu’à lundi dernier, jour où devait être rendu le jugement du tribunal correctionnel de Bobigny. Celui-ci s’étant dessaisi, estimant que les faits devaient être jugés pour viol, on était en droit d’attendre un procès aux assises, le viol étant un crime, et non un délit, passible de 15 ans de prison. Et même 20 ans pour un viol aggravé parce que commis par un détenteur de l’autorité publique.
Le parquet reste sur les violences volontaires
Mais mardi, le parquet de Bobigny fait appel de la décision du tribunal qui a requalifié en viol les brutalités subies par Alexandre. Pour l’avocate du jeune homme, la position du parquet est « assez logique, il reste sur sa position de violences volontaires avec armes ». Ce sera donc à la Cour d’appel de décider. Si elle donne une issue favorable à l’appel interjeté par le parquet, l’agent municipal sera jugé pour « violences volontaires aggravées ». Si au contraire elle se déclare elle aussi incompétente, un juge d’instruction sera nommé. C’est ce dernier qui décidera, après enquête, de poursuivre ou non pour viol. A moins, bien entendu, que le parquet saisisse la Cour de cassation…
Tout dépendra de la qualification des faits
Alors que risque l’agent municipal ? En théorie, les faits sont simples. « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol », au terme de l’article 222-23 du Code pénal. Avec cette définition du viol, le viol accidentel et involontaire est tout simplement un non-sens. Mais, le droit présente quelques finesses, que pourrait utiliser un juge sensible à la thèse de l’accident, quoique celle-ci heurte le sens commun. Par exemple, si les faits reprochés au policier sont qualifiés d’agression sexuelle (article 222-27 du Code pénal). Dans ce cas, le policier municipal ne risquerait plus que sept ans de réclusion et 100 000 euros d’amende. Et si l’on s’en tient aux violences volontaires avec arme par personne dépositaire de l’autorité publique, le délit n’est passible que de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.
Des peines plus légères pour les policiers
Tout dépendra donc de la qualification retenue à l’issue de la procédure d’appel. Or, comme l’explique Jérémy Kalfon, élève-avocat lauréat du prix Guy Carcassone, il existe en droit français une « vraie zone d'ombre quant à la qualification de faits de pénétration d'un objet dans l'anus d'autrui ». Encore faut-il préciser que la société se montre de plus en plus soucieuse d’une meilleure reconnaissance des agressions sexuelles et de leur répression. Mais l’auteur est un membre des forces de l’ordre. Selon Me Marie-Cécile Nathan, les tribunaux retiennent généralement « la qualification la plus légère dans les affaires de violences policières ».
Six mois avec sursis et un an d’interdiction d’exercer
Rappelons cependant que, dans cette affaire, le procureur avait requis six mois de prison avec sursis et un an d’interdiction d’exercer à l’encontre du policier municipal. Une année d’interdiction d’exercer déjà écoulée, le policier municipal ayant été depuis intégré dans des bureaux. A comparer avec la condamnation d’Alexandre, jugé en 2006, pour insultes envers un policier. Agé à l’époque de dix-sept ans, il avait écopé de huit mois avec sursis… Le viol a laissé des traces chez le jeune homme, aujourd’hui âgé de 28 ans. Un an et demi après son viol, Alexandre fait toujours des cauchemars, la douleur n’a pas disparu, ni les saignements. Me Nathan se dit sûre de son dossier. « Il y a dans cette affaire deux certificats médicaux qui attestent clairement du viol, ce dont nous n’avons jamais dévié ». Pour l’avocate, ce sera à la défense du policier de prouver comment son geste, qui a causé une plaie anale de 1,5 cm, a pu être « accidentel » et « involontaire ».
« Tu te souviendras de la police municipale »
Les faits remontent au 29 octobre 2015, à Drancy. Le jeune Drancéen boit des coups avec ses potes en bas d’une barre de la cité Paul Vaillant-Couturier http://www.lexpress.fr/actualite/societe/violences-policieres-j-ai-vecu-le-meme-viol-que-theo-temoigne-alexandre_1879821.html. La police municipale est appelée pour tapage nocturne. Les policiers interpellent le jeune homme, en état d’ébriété, pour outrage et rébellion. C’est au moment de son transfert au commissariat de Bobigny, que se produit le dérapage, alors que les policiers municipaux le forcent à rentrer dans leur véhicule. Le policier en question lui aurait alors lancé « tu te souviendra de la police municipale ». Après son transfert au commissariat de Bobigny, Alexandre se plaint de douleurs et explique que l’un des policiers municipaux lui a introduit sa matraque dans l’anus. Deux certificats médicaux attesteront d’une plaie anale de 1,5 centimètres.
Des stratégies de défense étrangement similaires
Faut-il faire le parallèle entre le viol d’Alexandre et celui de Théo ? En tout cas, les arguments de la défense du policier qui a violé le jeune Aulnaysien ressemblent étrangement à ceux avancés par l’agent municipal de Drancy. Comme ce dernier le policier qui a agressé Théo avait expliqué ne pas savoir comment sa matraque s’était retrouvé dans l’anus du jeune homme. Autre similitude, aux mots près, ce dernier a expliqué, comme l’avait fait le policier municipal, que c’est en portant « des coups de matraque au niveau des membres inférieurs » de Théo, « pour lui faire perdre l’équilibre » et le faire mettre à terre, que sa matraque aurait ripé http://www.ouest-france.fr/ile-de-france/seine-saint-denis/affaire-theo-les-explications-du-policier-mis-en-examen-pour-viol-4805192. Une similitude qui n’étonne pas Me Nathan pour qui « il n’y a pas vraiment d’autre système de défense possible ».
Véronique Valentino
Mis à jour le 23 février 2017