RSA : quand les départements radient en masse, par Véronique Valentino
A quelques semaines des élections présidentielles, le RSA, dernière bouée de sauvetage pour les personnes sans ressources, est de plus en plus remis en cause. Les suspensions d’allocations, radiations, mais aussi des contrôles de plus en plus intrusifs vis-à-vis des personnes titulaires du RSA, se multiplient dans la plus grande indifférence, notamment celle des politiques. Pire, certains demandent que ces mesures soient sécurisées par la loi.
Sale temps pour les allocataires du RSA. La fin du quinquennat de François Hollande paraît propice à la prise de mesures extrêmement dures par les départements. Le Haut-Rhin a ainsi décidé de rendre obligatoire sept heures de bénévolat par semaine pour les allocataires. La mesure avait été retoquée par le tribunal administratif de Strasbourg, mais sous une forme qui permet au département d’annoncer l’entrée en vigueur de cette obligation de bénévolat dès le premier trimestre 2017, dans le cadre de « contrats d’engagements réciproques ». Le tribunal administratif parle de « contrat librement débattu », « en fonction de la situation particulière de l’intéressé », mais, pour Marc Desplats, du mouvement national des chômeurs et précaires (MNCP) du Grand-Est, ce caractère volontaire est totalement fictif, s’agissant de personnes qui n’ont que le RSA pour (sur)vivre. Cette obligation de bénévolat avait d’ailleurs déjà été imposée via ces fameux contrats par le département du Bas-Rhin.
Suspension puis radiation du RSA : une pratique qui s’étend
Si le « bénévolat obligatoire » -un curieux oxymore-, semble avoir de beaux jours devant lui, c’est également le cas de mesures encore plus drastiques. Dans le Nord, ce sont 436 personnes qui se voient privées de leur RSA pour une durée de quatre mois. Raison ? Ils n’étaient pas inscrits à Pôle Emploi et n’ont pas répondu aux courriers de relance. En effet, le département du Nord, soucieux de faire des économies, avait envoyé 15 000 lettres pour les inciter à chercher plus activement du travail. Sur ces 15000 contrôles, 7500 personnes se sont réinscrites à Pôle emploi, 7500 ont écopé d’une première sanction : une réduction de 100 euros sur leur allocation. Les 436 allocataires qui n’ont toujours pas répondu voient leur RSA suspendu pendant quatre mois. Avant, peut-être, une radiation définitive. Le Nord n’est pas le seul département à radier à tour de bras. C’est également le cas de la Seine-et-Marne, où 170 personnes ont été radiées en mars 2016, une deuxième « fournée » ayant été prévue pour le second semestre 2016 . Déjà en 2015, l’Essonne avait également envoyé ce type de courrier, précédant une suspension de leur allocation, à 6500 allocataires. Mais de plus en plus de départements, soucieux de réaliser des économies, s’y mettent.
La suspension avant radiation du RSA est une mesure particulièrement dure, quand on sait que ce dernier constitue le dernier filet de secours pour des personnes extrêmement fragilisées socialement. Son montant est de 470 euros environ, une fois déduit le forfait logement. Or, la loi oblige les personnes qui en bénéficient à « rechercher un emploi, entreprendre les démarches nécessaires à la création de sa propre activité ou entreprendre les actions nécessaires à une meilleure insertion sociale ou professionnelle ». Elle précise aussi que le bénéficiaire a droit à un accompagnement pour l’aider à résoudre ses difficultés sociales et faciliter son insertion professionnelle. En pratique, la personne qui perçoit le RSA devrait donc se voir désigner un référent, mais, comme le rappelle ATD-Quart monde, nombreux sont ceux qui ne bénéficient d’aucun accompagnement vers un emploi ou une formation. L’association pointe aussi la dématérialisation des démarches -l’inscription à Pôle emploi se fait sur le site ou via un serveur vocal-, or « tout le monde n’a pas un accès facile à Internet et les messageries vocales ne peuvent pas résoudre certaines situations compliquées ». Et ajoute que le département du Nord est particulièrement touché par le chômage.
Relevés de comptes, contrats d’assurance : des contrôles toujours plus intrusifs
Outre ces contrôles de l’effectivité de la recherche d’emploi, plusieurs départements ont aussi obligé les personnes touchant le RSA à fournir leurs relevés de compte bancaires, mais aussi leurs contrats d’assurance auto, moto et habitation. C’est le cas du Haut-Rhin, du Bas-Rhin, ou de l’Eure, notamment, sous couvert de lutte contre la fraude. Une obligation, sanctionnée par la radiation du dispositif, qui s’appuie sur le flou de la réglementation. En effet, l’article R262-83 du Code de l’action sociale et des familles précise que « le bénéficiaire du RSA ainsi que les membres du foyer sont tenus de produire, à la demande de l’organisme chargé du service de la prestation et au moins une fois par an, toute pièce justificative nécessaire au contrôle des conditions d’ouverture de droit, en particulier au contrôle des ressources, notamment les bulletins de salaire ». La CAF précisait en mai dernier, que « le droit de communication bancaire direct auprès des banques n'est pas ouvert aux Conseils départementaux ». Quant au défenseur des droits, il précisait qu’il « apparaît très intrusif de demander les relevés bancaires ». Selon le quotidien 20 minutes, l’institution indépendante a ouvert une enquête et envoyé ce mardi un courrier au département du Haut-Rhin « pour en savoir plus sur ces contrôles ». Le défenseur des droits, que nous avons joint en fin d’année, confirme avoir été saisi par plusieurs allocataires du RSA, mais refuse de communiquer leur nombre, ni les départements dont ils sont originaires, ni de préciser à quelle date il rendra un avis.
Pour Dominique Shaffhauser, conseiller juridique d’ATD-Quart monde, l’obligation de fournir ses relevés bancaires est légale. « Dès lors que le RSA est une prestation soumise au contrôle des ressources, comme le stipule l’article 262-83 du Code de l’action sociale et des familles, il n’y a aucune raison légale d’exclure les relevés de compte des pièces qui peuvent être demandées ». Le fait que ces relevés indiquent non seulement les ressources, mais aussi les dépenses ne rend pas cette demande illégale, pour ce magistrat honoraire qui ajoute que « les dépenses permettent de contrôler la sincérité des ressources ». La seule limitation possible, selon cet ancien magistrat, serait le cas où ces pièces sont « demandées à une catégorie particulière d’allocataires, auquel cas elle aurait un caractère discriminatoire ». Avant de préciser que l’article L262-40 du Code de l’action sociale et des familles autorise le département, l’Etat et les administrations chargées du RSA (les Caisses d’allocations familiales, donc) à demander « toutes les informations nécessaires à l’identification de la situation du foyer ».
Plusieurs milliards d’euros de RSA non demandés
De fait, les caisses d’allocations familiales disposent déjà d’un droit d’accès très large aux informations concernant les bénéficiaires, dans le cadre de la lutte contre la fraude, dans le cadre d’un échange de données avec les directions des impôts, Pôle emploi, les caisses primaires d’assurance maladie, les caisses de retraite, etc. Elles peuvent également demander l’accès au FICOBA, le fichier des comptes bancaires et diligenter des contrôles chez les allocataires. En 2015, près de 4,5 millions de contrôles sur pièces ont été réalisés ainsi que plus de 165 000 contrôles à domicile. Les échanges de données avec Pôle emploi et les impôts ont représenté à eux-seuls 38,5 millions de données contrôlées. Pour quel résultat ? Les fraudes détectées par les Caf ont représenté 166,4 millions d’euros, soit un peu plus de 1% des 12,4 milliards versés en 2015 au titre du RSA. Impossible, pour autant, de savoir combien représente la lutte contre la fraude que la CAF a particulièrement développé ces dernières années. Et cela, « pour des raisons qui ne sont pas uniquement financières », comme l’avoue à demi-mots Daniel Lenoir, le directeur général de la CNAF.
Car la lutte contre la politique de lutte contre la fraude mise en place par les CAF rapporte peu, surtout si on compare avec les sommes non réclamées. En 2011, le comité d’évaluation du RSA les estimait à 2,5 milliards pour le seul RSA socle. Pourtant, le sénat veut encore intensifier la chasse aux fraudeurs. Il a adopté en mai dernier une proposition de loi visant à « améliorer l’accès aux droits et à lutter contre la fraude » Si la PPL déposée par Eric Doligé , sénateur LR et membre de la commission des finances, ne contient aucune mesure améliorer le premier (plus d’un tiers des bénéficiaires potentiels du seul RSA socle ne le demandent pas), celle-ci propose de durcir considérablement les contrôles dès le processus d’instruction de la demande. Pour le sénateur communiste du Val-de-Marne Christian Favier, qui dénonce « une chasse aux pauvres », il est « parfaitement scandaleux de demander des relevés bancaires aux allocataires du RSA. Ça veut dire qu’on est potentiellement vu comme un fraudeur, c’est une forme de stigmatisation à l’égard de la population qui ont la plus de difficultés ». Ce qui n’a pas empêché la proposition de loi d’être adoptée par le sénat. Celle-ci n’a aucune chance de déboucher sur une loi avant la fin du quinquennat, mais il pourrait bien en aller autrement après les élections présidentielles et législatives de 2017. D’autant que l’opinion publique n’est pas forcément tendre vis-à-vis des personnes touchant le RSA, qui font régulièrement l’objet de campagnes les désignant comme des « assistés ». Un pessimisme partagé par Jacqueline Balsan, présidente du MNCP, pour qui « les personnes en situation de grande précarité ne représentent pas grand-chose aux yeux du reste de la société ».
Véronique Valentino
Mis en ligne le 13 février 2017