Georges Louis, cinq mois de prison avec sursis pour port de banderole

Vendredi dernier, le tribunal a rendu son verdict dans le procès qui opposait un militant CGT à deux policiers, lors de la manifestation du 10 octobre. Le syndicaliste écope de cinq mois de prison avec sursis au terme d'un procès à charge.

Il s'attendait à une condamnation lors du rendu du délibéré vendredi 15 décembre. La façon dont s'était déroulée l'audience du 24 novembre dernier -avec le réquisitoire de l'avocate du parquet et une présidente de tribunal qui a mené les débats à charge-, ne laissait, pour les observateurs, aucune place au suspense. Le syndicaliste CGT, qui s'était laissé interpeller sans réagir, malgré les coups de matraque reçues dans les côtes, lors de la manifestation du 10 octobre dernier, a donc écopé, vendredi dernier, d'une condamnation à cinq mois de prison avec sursis, assortie d'une mise à l'épreuve de cinq ans, et de dommages et intérêts de 500 euros pour chacun des deux policiers qui l'avaient accusé de jets de projectiles. Pourtant, aucun des deux policiers n'a pu produire le moindre certificat médical attestant des violences subies, ni même le moindre jour d'ITT (arrêt de travail). 

Le doute qui, selon l'avocate du syndicaliste, aurait dû profiter à l'accusé, n'a donc pas été retenu par le tribunal, qui jusqu'au bout, aura cherché à démontrer que Georges Louis était partie prenante des incidents qui ont eu lieu le 10 octobre, et qui se sont traduits par la casse de deux banques, la BRED et HSBC. Pourtant, Georges Louis assure que lorsqu'il a débouché au coin de l'avenue Diderot, devant les locaux de la BRED, les vitrines de la banque étaient déjà cassées. Tout au long des débats, il a formellement démenti avoir lancé le moindre projectile, ce qui aurait été difficile, puisqu'il a défilé en portant, avec ses collègues CGT, une banderole rouge du front social, facilement reconnaissable sur de nombreuses photos et vidéos. 

Malheureusement, l'avocate Irène Terrel n'avait pas souhaité verser au dossier les images de la manifestation lors de l'audience du 24 novembre dernier. Dès lors, le débat s'est réduit à opposer les déclarations de trois policiers, pour l'accusation, qui du reste n'étaient même pas présents à l'audience, et les déclarations du syndicaliste ainsi que du témoin qu'il avait cité pour sa défense. Un témoin que la présidente du tribunal a poussé dans ses retranchements, pour lui faire avouer qu'à certains moments Georges Louis avait pu lâcher la banderole. Et que, ayant passé la banderole à d'autres collègues pour faire une pause -mais qui peut affirmer qu'il a tenu une banderole deux heures durant sans faire de pause cigarettes, par exemple ?- il avait pu tout aussi bien jeter des projectiles sur les CRS.

Exercice encore une fois absurde que celui d'un accusé réduit à devoir démontrer qu'il n'a pas commis les faits qu'on lui reproche d'avoir pu commettre. Et cela malgré les incohérences dans les témoignages des trois policiers qui l'accusent. Ceux-ci affirment l'avoir reconnu à 200 mètres. Dans le PV de l'un d'eux, un caillou devient un pavé puis un pavé et des canettes. Il est question de jets de projectiles dans un autre. Or, si les policiers ont bien reçu une pluie de projectiles, comment penser que c'est Georges Louis, tout seul, qui en est l'auteur ? C'est pourtant ce que suggèrent les témoignages de policiers qui ont vu la banderole rouge du Front social guider les manifestants, faisant du syndicaliste l'un des meneurs. 

Ce qui lui est reproché, tacitement, c'est sa participation au cortège de tête en tant que militant CGT. Une participation que le syndicaliste revendique comme une nécessité "pour construire des convergences au-delà des appartenances politiques et syndicales". Une convergence qui n'a pas été du goût du tribunal, qui le jugeait pour violences aggravées (puisque sur des forces de l'ordre) avec armes par destination (des projectiles). Mais aussi pour participation à un groupement violent. Celui-ci prévoit que "le fait pour une personne de participer sciemment à un groupement, même formé de façon temporaire, en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, de violences volontaires contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende".

Comme nous l'écrivions le 16 octobre dernier, avec cette loi, on n’est pas loin du délit d’intention, puisqu’il suffit de s’être trouvé sur les lieux pour pouvoir être incriminé. Ce délit introduit sous Sarkozy, en 2009, sur une proposition de loi de Christian Estrosi, marque le retour de la loi anticasseurs dont l'abrogation en 1981 était l'une des promesses de campagne du candidat Mitterrand. Accusée d'être un monstre juridique, elle avait été introduite pour réprimer les "violences gauchistes" et rapidement utilisée également contre les syndicalistes.

Ce qui lui est aussi reproché comme circonstances aggravantes, c'est d'avoir manifesté le visage caché. Ce que le délégué CGT expliquait par le fait d'avoir été interdit deux fois de manifestation, dans le cadre de l'état d'urgence. Georges Louis avait bien tenté de faire annuler ces interdictions administratives par le tribunal administratif, mais les interdictions lui ayant été délivrées le jour même, au mépris de la loi, il n'était plus dans le cadre du délai de 48h prévu pour contester ces mesures arbitraires. Là encore, cette atteinte grave à la loi n'a pas ému la présidente du tribunal. Qui lui a au contraire reproché d'avoir dans ses affaires un bonnet, des lunettes de ski et un K-Way noir. Habitué à voir intervenir des canons à eau lors des manifestations, le syndicalistes avait en effet prévu une tenue de rechange. Qui avait le mauvais goût d'être noire. De là à l'accuser de faire partie des blacks blocs, il n'y avait qu'un pas. Le tribunal n'aura donc pas relevé la contradiction entre cette accusation sous-entendue et le fait que le syndicaliste ne portait pas le dit K-Way lors de son arrestation, puisqu'il était dans son sac... 

Ni le témoin intervenu à la barre qui était présent lors de la manifestation aux côtés du syndicaliste, ni les neuf attestations de moralité produites, n'ont trouvé grâce aux yeux de la présidente du tribunal, qui a même trouvé que ces documents étaient suspects, puisqu'il disait la même chose : que Georges Louis est un syndicaliste investi dans son activité militante mais non-violent. Mais le pire et qui démontre à quel point ce procès était cousu de fil blanc, c'est l'extrait de casier judiciaire produit par le parquet. Sur l'extrait B3 que la procureure a présenté et qui était vierge, une condamnation pour un tag intervenue il y a plusieurs années a été rajoutée au stylo. Pour Me Terrel, ce type d'annotation manuscrite sur un document officiel est une première. Elle n'aura pourtant pas choqué la présidente du tribunal, qui a même incité l'avocate de la défense à accélérer sa plaidoirie avant d'annoncer que le jugement était mis en délibéré. Jugement rendu vendredi 15 décembre, donc.

Pour Georges Louis, les dommages et intérêts accordés aux deux policiers sur de fausses déclarations -800 euros par tête- sont une façon pour ces fonctionnaires de police d'arrondir leurs fins de mois. Et de s'octroyer une prime de fin d'année à peu de frais. Cette condamnation fait écho à celle de deux syndicalistes CGT nantais, frappés et arrêtés dans leur camion par les policiers de la BAC. Ces deux hommes âgés de 54 et 49 ans ont été condamnés jeudi 14 décembre (la veille du verdict rendu à Paris) à quatre mois de prison avec sursis et des dommages et intérêts pour leurs agresseurs. Comme par hasard, Nantes est justement l'une des villes où la CGT a réussi à construire une convergence des luttes avec le mouvement Nantes révoltée et le cortège de tête. Ce qui confirme que cette convergence des luttes est bien ce que redoute le pouvoir. Et là aussi, la sentence est lourde et éminemment politique.

Véronique Valentino