Guyane : contre un projet de mine d’or géante

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Depuis plusieurs mois, la Guyane est divisée par ce projet minier d’une envergure encore inconnue dans cette région d’Amazonie, et voulu par emmanuel macron. Nous avons rencontré les représentants des Jeunesses autochtones guyanaises qui luttent pied à pied contre l’industrie aurifère, l’une des plus polluantes du monde.

Les peuples autochtones sont-ils l'avenir de la planète ? On serait tenté de le croire, à voir les mobilisations des Amérindiens. Aux Etats-Unis et aux Canada, ils se sont proclamé les gardiens de l’eau et luttent activement contre les projets de pipe-lines, les « black snakes » (serpents noirs), comme ils les surnomment, qui traversent leurs terres, et plus globalement pour préserver la nature, avec laquelle ils entretiennent un rapport de confiance. Les Sioux Lakota y ont laissé des plumes, lors de la bataille homérique de Standing rock, perdue malgré la pression mise sur la Maisdon blanche et l’opinion publique internationale.

Les peuples autochtones de Guyane sont eux aussi aux premières loges de la bataille pour la sauvegarde de la nature et de la biodiversité. Avec les ONG de défense de l’environnement, ils s’opposent à la construction d’une mine d’or géante en pleine forêt amazonienne. Ce projet de plus importante mine d’or à ciel ouvert jamais creusée en France, a pour nom « Montagne d’or ». Il est porté par le groupe russe Norgold (55% des parts), qui appartient à Alexeï Mordachov, 2e fortune de Russie, et la société canadienne Columbus gold (45%), qui y ont déjà englouti plus de 50 millions d’euros. Les proportions de cette mine d’or industrielle sont colossales : 2,5 kilomètre de long et 500 à 800 mètres de large, avec une profondeur de 400 mètres pour un gisement estimé à 85 tonnes d’or exploitables, selon le site dédié http://montagnedor.fr/. Soit un trou représentant la surface de 32 stades de France et plus profond que la Tour Eiffel (300 mètres de haut). C’est Emmanuel Macron, le même qui se veut le fer de lance de la lutte pour l’environnement, qui a approuvé le projet en 2015, lorsqu’il était ministre de l’économie. Il a d’ailleurs renouvelé, le 27 octobre dernier, son soutien à Montagne d’Or, dont les travaux doivent démarrer en 2018.

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Pourtant, les conséquences de l’exploitation de cette mine d’or XXL seraient catastrophiques pour le territoire. Outre la déforestation, l’extraction de l’or nécessiterait 57 000 tonnes d’explosifs, 46 500 tonnes de cyanure et 142 millions de litres de fuel, pendant les douze ans de durée de vie du projet. Elle impliquerait la construction d’une usine de traitement au cyanure classée Seveso (norme européenne de classification des risques industriels). Le danger écologique tient aussi aux 400 millions de m3 de déchets toxiques, notamment les boues cyanurées, qui seront rejetés lors de l’exploitation, et stockées dans une région où les pluies sont abondantes, et donc les risques de dissémination importants. Selon le collectif Or de question, qui regroupe 23 associations locales et 110 nationales et internationales, dont la Ligue des droits de l’homme ou même la Fondation Nicolas Hulot, l’alimentation de la mine en énergie 24h/24 nécessiterait 20 megawatts par jour, soit la consommation électrique quotidienne de la Guyane, où les blackouts sont courants. Elle se traduirait donc par la mise en place de lignes à haute tension sur plus de 100 kilomètres, dont le coût, supporté par la collectivité, serait de 60 millions d’euros. Il faut y ajouter la construction de 120 kilomètres de route. Par ailleurs, le filon que la compagnie compte exploiter est situé au pied de la montagne Dekou-Dekou, au nord-ouest de la Guyane, à 180 kilomètres de Cayenne. Non seulement il est situé entre deux espaces naturels protégés, mais aussi sur des terres revendiquées par les peuples autochtones. Une pétition, qui a déjà récolté plus de 200 000 signatures, rappelle qu’un feu vert signifierait « l’industrialisation de la filière aurifère dans la seule forêt tropicale humide de l’Union européenne ».

En face de ces atteintes gravissimes à l’environnement, le consortium russo-canadien promet la création de 750 emplois directs et de 3000 emplois induits. Ses promoteurs tentent d’appâter les élus et la collectivité territoriale guyanaise dans une région où le taux de chômage atteint 20%, le double de la métropole. Pourtant, selon le WWF, qui explique avoir mené une analyse économique de « Montagne d’or », le projet « est un mirage en termes de développement pour la Guyane et un gouffre pour l’argent des contribuables ». Sa rentabilité est en effet indexée sur le cours de l’or, très volatile, et la parité euro-dollars. Si le cours de l’or venait à baisser, explique le WWF, l’impôt sur les sociétés payé par l’opérateur russo-canadien baiserait aussi, alors que le consortium affirme qu’il rapportera 300 millions d’euros aux collectivités concernées. Pour le WWF, l’exploitation de cette méga mine d’or engloutirait 420 millions d’euros d’argent public, soit un coût de 360 000 euros par emploi direct créé, pour un bénéfice espéré de 352 millions d’euros. Auquel il faudra ajouter les coûts de réhabilitation du site. Selon Rock Lefrançois, interviewé par Libération, « les forages resteront sur site pendant les cinq ans de réhabilitation et ensuite il y aura un suivi environnemental sur trente ans.»

Une note ministérielle de 2016, consultée par l'AFP et citée par France InfoTV, qualifie la Montagne d'or, de projet « hors normes par ses aspects économiques », et prévient que ses « empreintes spatiale et écologique sont de dimensions inconnues ». Même la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) alerte sur les dangers de cette imposant projet. Le 18 octobre, après avoir rendu la veille un avis sur le droit à un environnement sain pour les Outre-mer, elle a demandé un moratoire sur le projet Montagne d’Or. Elle redoute « une rupture des digues contenant les boues cyanurées ». « La Guyane, écrit-elle, fera alors face à un désastre écologique d'une envergure sans précédent ». Justement, en novembre 2005, un barrage retenant des déchets miniers de l’usine Sanmarco, sur le Rio Doce, l’un des plus grands fleuves brésiliens, avait entraîné une catastrophe écologique et humaine massive, faisant dix-sept victimes officielles et polluant 600 kilomètres de berges et de fonds fluviaux. Les travaux d’exploration de Montagne d’Or ont débuté en 2010 et les résultats de l’étude d’impacts, très attendue, devraient être transmis aux autorités françaises fin 2017.

Le projet Montagne d’or divise le mouvement social né en mars et avril dernier, qui s’est conclu par l’accord du 21 avril, avec plusieurs millions d’euros d’aides diverses à la clé (voir notre article du 27 octobre dernier). Ce mouvement, auquel les peuples autochtones ont participé, refuse de se prononcer. Syndicats et patronat guyanais sont sensibles à l’argument des créations d’emplois, dans un territoire où 20% de la population est au chômage, soit le double de la métropole. Les organisations des peuples autochtones guyanais ont soutenu, sans cacher leurs divergences, les revendications sociales du mouvement : construction d’écoles, d’hôpitaux, de services publics et de logements sociaux. Pourtant, ce sont deux visions de l’avenir qui s’affrontent. Les organisations réunies au sein du collectif « Or de question » revendiquent en effet un développement alternatif, local, durable et respectueux de la biodiversité et de l’humain, axé sur une agriculture de qualité, une pêche durable, la mise en valeur de la gastronomie, des produits de la forêt, avec un fort accent porté sur l’éducation . Elles n’ont donc pas masqué leurs divergences avec un Kolektif Pou lagwuyann Dékolé (KPLD), qui ratisse large. Son référent économie est en effet Gauthier Horth, président, jusqu’à 2016, de la fédération des opérateurs miniers de Guyane (FedomG), auquel adhère le consortium russo-canadien de Montagne d’or, mais qui regroupe aussi des PME du sceteur.

Personnage trouble, Gauthier Horth, ex-orpailleur, a été mis en examen en 2015 pour l’exploitation illégale d’une mine sur le site de Grande usine. Son procès en 2015 avait révélé à quel point la fièvre de l’or a contaminé la Guyane. Lors d’une conférence de presse, qui a pris, selon les observateurs, une allure de meeting politique, Gauthier Horth appelait à alléger la législation minière. Il avait d’ailleurs interpellé François Hollande à ce sujet lors de sa visite de 2013 en Guyane. L’argument a porté et, en 2014, la préfecture a mis en place une procédure d’’autorisation d’exploitation accélérée visant à installer des entreprises minières aurifères en lieu et place des opérateurs clandestins. Horth s’est en effet fait le porte-parole de la lutte contre l’orpaillage illégal, accusé pêle-mêle de voler les ressources et le travail des guyanais, de favoriser l’immigration illégale, l’insécurité et les atteintes à l’environnement. Seul remède, préconise-t-il, la mise en place d’une filière aurifère légale d’envergure, pratiquant une exploitation « responsable », qui jouerait un rôle capital dans le développement économique de la Guyane. « Aujourd’hui, le spatial c’est 16 % du PIB guyanais. Le minier, 4 %. Nous voulons atteindre les 25 %. C’est possible, les gisements le permettent », affirmait-il à Reporterre, en avril 2016 . L’homme est en tout cas très habile. Après avoir quitté la présidence de la FedomG, il a surfé sur son succès pour se faire élire au Conseil territorial de Guyane (CTG), où il est membre de la commission des affaires économiques. Plus étonnant, il a rejoint le conseil d’administration du parc national amazonien, qu’il a pourtant toujours combattu.

Si Gauthier Horth a quitté la fedomG pour intégrer le CTG, Carole Osterero a elle quitté le CTG pour prendre la tête de la FedomG. Elle est à la tête d’une société -Machdeal- leader dans l’approvisionnement d’engins, accessoires et outillages, notamment pour le secteur minier. Elle a donc un intérêt direct à voir déboucher un projet qui en appellera d’autres. Elle ne se prive d’ailleurs pas de promouvoir un secteur minier industriel qui sera, estime-t-elle, « moteur du développement de l’économie en Guyane à l’horizon 2025 : route, port, énergie, unités de production, logements ». Pour cela, la FedomG peut s’appuyer sur deux choses. D’une part l’argument économique, on l’a vu, mais aussi la volonté des élites guyanaises de prendre en main leur destin. Les appels à laisser le territoire fixer lui-même les règles en matière d’exploitation minière et à prendre le contrôle des ressources de son sous-sol rencontrent un écho auprès d’une partie la classe politique, notamment du MDES, le mouvement indépendantiste. Armand Achille, mandataire de la South America Gold Mining et fondateur de la FedomG, qui s’est présenté aux législatives, est l’exemple de cette nouvelle classe politique indépendantiste et décomplexée. Tout comme Fabien Canavy, autre personnalité du MDES, il dénonce le colonialisme français et pense que « les lois et règlements qui nous sont opposés sont une entrave au développement ».

 

A vrai dire, tout ce qui concerne l’exploitation aurifère en Guyane est subordonné à deux acteurs : le préfet, la FedomG et les élus, qui sont membres de droit de la commission départementale des mines. La FedomG a d’ailleurs été sollicitée par le préfet lors de la création du premier Schéma départemental d’orientation minier en 2011. Celui-ci dresse la carte des zones où l’exploitation est autorisée, réglementée, restreinte ou interdite. Car l’or n’est pas la seule ressource minière qui aiguise les appétits en Guyane. L’inventaire minier effectué entre 1975 et 1995 par le bureau de recherches géologiques et minières révèle un large potentiel : diamant, platine, métaux de base, bauxite, etc. Et le préfet a même été jusqu’à inclure dans le SDOM une carte produite par la FedomG, recensant quatre zones aurifères, qui s’avère aussi prometteuse pour l’extraction d’autres minerais et minéraux : un secteur diamantifère, une zone uranifère, des zones favorables au cuivre, plomb, zinc, étain, niobium et tantale ainsi qu’à la bauxite. Il suffit de superposer la carte des zones protégées de Guyane pour comprendre le problème que pose le développement de l’exploitation minière en Guyane, puisque que la plus grande part du territoire est incluse dans des réserves naturelles. Or, ces zones sont en partie revendiquées par les peuples autochtones, qui y ont aussi leurs lieux sacrés et sont de farouches défenseurs d’une nature exceptionnelle.

Récemment, nous avons rencontré deux représentants du mouvement des Jeunesses autochtones. Christophe Pierre (« Yanuwana Toka » de son nom indien Kali’na), 24 ans, et Vanessa Joseph, 33 ans, se montrent intransigeants sur le projet Montagne d’or et veulent utiliser tous les recours légaux nationaux et internationaux. « Nous tenons à vous informer, que s'il y a une autorisation d'exploitation délivrée par l'État français, (...) nous serons sur la route de Montagne d'or » écrit Yanuwana Toka, sur la page Facebook du collectif Or de question. Yanuwana Toka promet de barrer la route aux camions et de bloquer le chantier. Ils dénoncent les conséquences de l'exploitation de l'or -légale ou illégale- en Guyane et ses conséquences sur le milieu naturel, mais aussi sur les peuples premiers qui y vivent, du fait des rejets de mercure. A haute dose, le mercure attaque les reins, le cerveau et le système nerveux. Au seuil le plus élevé, on observe des troubles neurologiques qui peuvent aller jusqu’aux symptômes de la maladie de Minamata, du nom de ce village japonais où plusieurs dizaines de milliers d’habitants ont été victimes d’une pollution gravissime au mercure pendant plusieurs décennies. Le seuil limité fixé par l’OMS, qui devrait être revu à la baisse, est de 10 microgrammes par gramme de cheveu mesuré. Mais entre 5 et 10 microgrammes, le méthylmercure (forme organique la plus toxique) provoque déjà de graves effets sur la santé et le seuil admis par l’autorité européenne de sécurité des aliments est de 4,4µg/g.

Or, dans le sud de la Guyane, dans les régions de Camopi, à l’est et au sud de Maripa Soula, à l’ouest, l’exposition des Amérindiens au mercure atteint plus de 6µg/g, et même près de 15 à Twenké, selon une étude réalisée en 1994 et présentée par l’institut de veille sanitaire Antilles-Guyane aux 10e journées de santé publique de Montréal en octobre 2006. Les plus touchés sont les peuples Wayana et Teko du Haut-Maroni, où 84 % des adultes présentent des teneurs en mercure supérieures au seuil de l’OMS. Les études menées sur 20 ans ont toutes confirmé l’exposition dangereuse au mercure de populations amérindiennes. Selon une étude menée de 1994 à 2005, publiée au bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) de l’institut national de veille sanitaire, du 13 avril 2010, les populations amérindiennes de Guyane sont dangereusement exposées au mercure. Ses auteurs y écrivent que la contamination environnementale par le mercure en Guyane « résulte des activités d’orpaillage essentiellement développées à la fin du XIXe et en recrudescence dans les années 1990 ». Or, comme l’explique Christophe « Yanuwana Toka » l’orpaillage, qu’il soit légal ou illégal, est responsable de la pollution au mercure, par son utilisation directe pour extraire le métal, soit indirecte, car il contribue à l’érosion et au lessivage de sols déjà naturellement riches en mercure. Ce que confirme la lecture de l’article du BEH. Les membres des Jeunesses autochtones dénoncent l’indifférence des autorités françaises à l’égard d’une pollution pour l’instant limitée aux Amérindiens.

De fait, depuis 2005, aucune enquête officielle n’est plus réalisée. Vanessa Joseph et Christophe Yanuwana Toka dénoncent la multiplication des malformations physiques et mentales lors des naissances chez les Amérindiens, ainsi que le manque d’information de la part de l’Agence régionale de santé. Celle-ci continue à effectuer des prélèvements, mais refuse de rendre publics leurs résultats. « On nous coupe régulièrement des mèches de cheveux, mais sans jamais nous communiquer les résultats de ces examens », déplorent Christophe Yanuwana et Vanessa. Quand les malformations ne sont pas imputées à la consommation d’alcool des Indiens. Christophe "Yanuwana" Pierre et Vanessa Joseph sont représentatifs de cette nouvelle génération autochtone qui revendique ses droits et n'entend pas laisser, ni l'Etat français, ni les autorités guyanaises, décider à leur place du sort des territoires qu'ils revendiquent. L'Etat a d'ailleurs promis de rétrocéder 200 000 hectares à la collectivité guyanaise et 400 000 aux peuples premiers. Or, ces droits revendiqués sur le territoire guyanais risquent fort de se heurter aux ambitions de l'industrie minière. Le débat public sur le projet Montagne d'or risque fort d'être mouvementé.

Véronique Valentino