Georges Louis, inculpé pour port de banderole : sous Macron, la répression se porte bien
Alors qu’il participait à la manifestation de soutien au service public du 10 octobre dernier, où il tenait une banderole, Georges Louis a été brutalisé et interpellé par la police. Après 70 heures de rétention, ce délégué syndical CGT, qui a refusé la comparution immédiate, sera jugé le 24 novembre prochain. Son témoignage, qui fait froid dans le dos, illustre les dérives policières et judiciaires face aux militants du mouvement social en cours.
Il n’en revient toujours pas. Georges Louis, délégué syndical de la CGT, a beau être un militant syndical aguerri, il est sidéré par la violence policière et judiciaire qu’il subit pour avoir simplement exercé son droit de manifester, le 10 octobre dernier, à l’appel de l’ensemble des fédérations de fonctionnaires. « Je tenais une banderole du Front social. Alors que nous avancions en direction de Nation, nous avons traversé un tunnel. A la sortie, je me suis retrouvé en pleine charge policière ». Les policiers l’embarquent sans ménagement. Il se laisse faire sans broncher, car il est suffisamment averti pour savoir que la moindre résistance peut ouvrir la voie à des poursuites. Ce qui ne l’empêchera pas de recevoir plusieurs coups à la tête et au niveau des côtes. Autour de lui, il voit de jeunes manifestants arrêtés et brutalisés comme lui. « Au moment où les policiers se sont jetés sur eux, certains se sont débattus, ce qui leur vaut une accusation de rébellion. D’autres ont crié et ont été mis en examen pour outrage », témoigne cet homme de 43 ans.
Du sérum physiologique sur une plaie à la tête
Ce mardi 10 octobre, des échauffourées éclatent sur le trajet de la manifestation. Des banques sont prises pour cible. Ils seront cinq, dont ce militant CGT qui travaille au Louvre, à être embarqués boulevard Diderot. Pendant cette arrestation musclée, l’un d’eux est blessé et saigne au niveau du crâne. Mais les pompiers, appelés sur les lieux, ne disposent d’aucun matériel de soins. « Ils étaient prêts à ramasser des gants en plastique qui traînaient par terre » raconte Georges Louis, horrifié. Devant la réprobation des manifestants sur place, ils y renoncent et se contentent d’appliquer du sérum physiologique sur la plaie. Le jeune blessé sera finalement conduit à l’hôpital bien plus tard, où on lui posera trois points de suture et un bandage autour de la tête.
Traités de terroristes
Les cinq interpelés -quatre hommes et une femme- sont conduits au commissariat du 5e arrondissement, rue de la Montagne Sainte Geneviève. Pendant le transport en fourgon cellulaire, les flics s’en donnent à cœur joie, les insultant et les tutoyant systématiquement. « Ils nous ont dit qu’on était des fascistes qui détruisaient des biens, qu’on était des chiens et même des terroristes, sauf qu’eux au moins ils revendiquent leurs actes… » Pendant ce transport mouvementé, l’un des quatre hommes écopera même d’une gifle vigoureuse, parce qu’il proteste contre son arrestation. Plus tard, l’officier de police judiciaire qui l’auditionne, accusera Georges Louis d’avoir porté « la banderole des fouteurs de merde ». Un propos qui fait écho à ceux de Emmanuel Macron accusant les syndicalistes de GM&S de « foutre le bordel », lors d’un déplacement à Egletons.
Vous faites quoi là les Céfrans ?
Comme les quatre autres personnes interpellées, Georges Louis est placé 24 heures en garde à vue à son arrivée au commissariat. Pendant son placement en cellule, il fait connaissance avec les autres manifestants. Il engage aussi la discussion avec des jeunes qui sont là aussi, la plupart pour des accusations d’outrage et rébellion. Des jeunes peu au fait du mouvement social en cours et qui s’interrogent : « Vous faites quoi là les Céfrans ? » « On a parlé des violences policières qu’ils subissent, de Théo, Adama [Traoré] et Yacine » (un jeune homme retrouvé mort dans une cave à Aulnay-sous-Bois dans des conditions troubles). « Ils m’ont raconté leur quotidien, les contrôles, les insultes, les interpellations pour un regard de travers, tout cet ordre arbitraire qu’ils subissent », se souvient-il.
L’insalubrité du dépôt du palais de justice
La garde à vue sera reconduite le mercredi 11 octobre pour 24 heures de plus. Pendant que les cinq accusés sont toujours retenus au commissariat du 5e arrondissement, deux manifestations auront lieu devant les locaux situés rue de la Montagne Sainte-Geneviève. Et à l’issue de ces 48 heures de garde à vue, la seule femme, parmi les cinq manifestants, sera relâchée le jeudi 12 octobre. Les autres, dont Georges Louis, sont entendus par le procureur, puis le juge des libertés et de la détention (JLD), qui s’enquiert de savoir si leur garde à vue s’est bien déroulée... Les quatre hommes sont ensuite conduits au dépôt, local souterrain et point de passage obligé pour les personnes déférées devant le palais de justice de Paris. Le dépôt du palais de justice, où transitent chaque jour des dizaines de personnes, est connu pour son insalubrité, malgré des travaux « d’embellissement » entrepris en 2010. Voilà ce qu’écrivait à l’époque le Parisien, qui avait pu visiter des « cellules témoin » (mais qu’en est-il des autres ?). Le délégué CGT de Elior musées témoigne pour sa part avoir été placé dans une cellule « pleine de cafards, où il n’y a ni papier toilette, ni douche, ni savon pour se laver les mains et juste un matelas ». Il raconte aussi avoir dû se contenter d’un plateau-repas froid.
Délit de présence
A son arrivée au commissariat du 5e arrondissement, le mardi 10 octobre, Georges Louis avait été auditionné par un officier de police judiciaire (OPJ). Son identité de militant CGT est connue de ce dernier, qui multiplie les remarques vexatoires. Mais ce n’est pas tout : Georges Louis apprend avec stupeur qu’il est accusé d’avoir jeté des projectiles sur les policiers. Il est aussi accusé d’avoir participé à un groupement violent. Un délit introduit dans le code pénal sous Sarkozy, sur une proposition de loi présentée par Christian Estrosi en 2009. Il punit de un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende toute personne ayant participé « à un groupement, même formé de façon temporaire, en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, de violences volontaires contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens ». Avec cette loi, on n’est pas loin du délit d’intention, comme le rappelait le site lundimatin, dans un article du 13 juin 2017, puisqu’il suffit de s’être trouvé sur les lieux pour pouvoir être incriminé.
Interdit deux fois de manifestation
La même année, un décret interdisait de manifester avec le visage dissimulé. Un délit passible d’une amende de 1500 euros. Or, Georges Louis portait une cagoule le 10 octobre. Une façon pour lui de protester contre les interdictions de manifestation qui lui ont été signifiées deux fois dans le cadre de l’état d’urgence. La première fois lors du rassemblement à Bobigny pour Théo, ce jeune aulnaysien violé à coup de matraque télescopique par des policiers en février 2017, l’autre le 8 mai, jour du deuxième tour de l’élection présidentielle, à l’appel du Front social, dont il est membre. Car, faut-il le rappeler, depuis de nombreuses années, le droit de manifester fait l’objet d’atteintes de plus en plus graves. Le pire c’est qu’il est impossible de contester ces interdictions administratives devant le tribunal, puisque le délai de prévenance de 48h n’est pas respecté par la préfecture de Police de Paris.
Empreintes génétiques et perquisition du portable
Si Georges Louis a refusé de signer le procès-verbal à l’issue de son audition au commissariat, il ne s’est en revanche pas opposé au prélèvement de son ADN. Un refus aurait en effet pu constituer une charge supplémentaire contre lui. Rappelons que le fichier national des empreintes génétiques (FNAEG), où était répertorié l’ADN de plus de 1,7 million de personnes en 2010, avait initialement été créé pour les infractions sexuelles. Ce fichage n’est pas anodin : la durée de conservation des empreintes génétiques est de 25 ans pour les personnes soupçonnées, 40 ans pour les personnes condamnées. Les policiers ont également perquisitionné le portable du délégué syndical. « Ils étaient déçus, parce qu’ils n’ont rien trouvé de compromettant », raconte-t-il.
Reconnu à 200 mètres par un policier
Lors de son audition le mardi 10 octobre, Georges Louis avait surtout été informé qu’un policier a porté plainte contre lui. Ce dernier, doté d’une excellente vue, affirme l’avoir reconnu à 200 mètres de distance. L’OPJ chargé de l’audition du militant syndical affirme aussi qu’il l’a vu sur une retransmission périscope de la manifestation (une application qui permet de retransmettre en direct les images filmées par un portable). Pourtant, ce même OPJ s’avèrera incapable de lui présenter les images en question. Plus tard, il est confronté au policier qui l’accuse, alors que son avocat commis d’office n’est même pas présent. « Lors de la confrontation, le flic était visiblement très embarrassé », explique Georges, qui cherche aujourd’hui à faire annuler ce témoignage qu’il estime diffamatoire. Las, il apprendra auprès du procureur de la République -c’est à dire le jour de l’audience- qu’un deuxième policier a porté plainte contre lui…
Un appel pour retrouver les images filmées
« Ma chance, juge Georges Louis, c’est que j’ai été filmé alors que je portais une banderole du Front social ». Cette banderole rouge, bien reconnaissable, portait le slogan « Fronts sociaux, tous pour tous », en lettres noires cernées de blanc. Un détail important, car Georges Louis a lancé un appel pour que les images filmées lui soient transmises, afin qu’il puisse se disculper… Cette banderole, saisie par la police, il l’a vue au commissariat. Cela n’a pas empêché le parquet de le déférer avec les trois autres prévenus, devant la 23e chambre du tribunal correctionnel de Paris, le vendredi 13 octobre dernier. Absurde, car non seulement le Front social est une organisation on ne peut plus pacifique, mais en plus, pour qui a déjà tenu une banderole, il est évident qu'il est à peu près impossible de faire quoi que ce soit d'autre.
Des douleurs persistantes
D'après des témoignages de manifestants qui ont bien vu la banderole dans le cortège, les flics ont délibérément chargé dans cette direction. Résultat : aujourd'hui, Georges Louis souffre encore des blessures qui lui ont été infligées et va faire constater les coups reçus. Lors de son incarcération, il avait pourtant déjà été présenté à un médecin à deux reprises. Une fois lors de sa garde à vue, une autre alors qu’il est au dépôt. « Les deux médecins que j’ai vus s’en foutaient totalement », constate amèrement le militant. Aucune radio, ni examen approfondi et zéro jour d’ITT. Les deux médecins qui l’ont examiné, payés par la préfecture de police, se sont contentés de lui administrer du paracétamol.
Prouver qu’on est innocent de faits qu’on n’a pas commis
Georges Louis est persuadé que ces interpellations arbitraires sont une façon de décourager les militants du mouvement social de manifester, et dénonce une justice politique. Comme lors du procès du quai de Valmy http://www.lautrequotidien.fr/gratuit/2017/10/12/procs-du-quai-de-valmy-pourquoi-le-verdict-est-inquitant-n3yd9, il décrit un appareil judiciaro-policier qui s’acharne à fabriquer des preuves contre des personnes arrêtées pour l’exemple. Lui qui a manifesté en 2016 contre la loi El Khomri, juge que, sous Macron, c’est encore pire. « Les réquisitions étaient déjà sévères, mais là, les procureurs n’hésitent plus à demander systématiquement la détention ». Lors de l’audience de vendredi dernier, les quatre prévenus ont tous refusé la comparution immédiate. Ce qui a valu à l’un d’eux, un jeune étudiant en médecine qui travaille comme livreur pour payer ses études, d’être placé en détention provisoire jusqu’au 10 novembre, date de son procès. Malgré les garanties de représentation et l’absence de mentions à son casier judiciaire. Georges Louis lui comparaîtra le 24 novembre. En attendant, il a été placé sous contrôle judiciaire strict et interdit de manifestation à la demande du parquet. Pris dans cet engrenage judiciaire kafkaïen, il doit consacrer toute son énergie à prouver qu’il n’est pas coupable de faits qu’il nie avoir commis. Au mépris de la présomption d’innocence.
Véronique Valentino