l’existence du terrible dans chaque parcelle de l’air, par Arnaud Maïsetti
l’existence du terrible dans chaque parcelle de l’air
et du possible, et de l’incertain qui rend le possible désirable aussi, en regard d’autres possibles plus certains qui les rendent haïssables : ces jours-là, du terrible dans chaque parcelle de l’air, sont aussi les nôtres, et les nuits, d’une terreur qui serait l’inverse de celle qui se hurle dans le fracas des armes, mais simples et tranquilles, terreur qui conjure la terreur quand elle passe dans le ciel griffé par les arbres, ou sur le plateau d’un théâtre, ou dans quelques phrases qui disent en la dévisageant l’existence du terrible dans chaque parcelle de l’air.
L’existence du terrible dans chaque parcelle de l’air.
Tu le respires avec sa transparence ;
et il se condense en toi, durcit, prend les formes
pointues et géométriques entre tes organes.
… et donne le courage et la force d’habiter le terrible pour mieux l’éparpiller : alors tu relis Rilke et quelques pages des Cahiers de Malte Laurids Brigge, pensant : la terreur est d’abord ce dans quoi tu habites depuis l’enfance, terreur simple et minuscule de cette réalité immense, terreurs qui t’entoure et t’enveloppe sous le ciel vide, terreur qui peuple le ciel vide, et terreur de la terre sur laquelle tu marches, cimetière de villes, et terreur encore ce contre quoi tu ploies de tout ton corps et de toutes tes pensées : alors tu travailles contre la terreur, et pour cela vas dans les théâtres, mais tu en sors plus en colère encore à cause de cela, que ce que tu vois ne fait que rire de la terreur ou l’oublier, cette terreur que tu n’acceptes pas mais que tu traverses parce que tu sais que les jours et les semaines et les mois prochains en seront peuplés, dans les rues de ce pays et les pays lointains qui sont aussi les nôtres, dans les programmes qu’on nous présentera censés conjurer la terreur et qui ne seront que des terreurs de plus, polies et tranquilles et acceptables compromis sur nos terreurs anciennes : alors tu lis Rilke encore et encore en cherchant les forces
car tous les tourments et toutes les tortures accomplis sur les places
de grève, dans les chambres de la question, dans les maisons des fous,
dans les salles d’opérations, sous les arcs des ponts en arrière-automne :
tous et toutes sont d’une opiniâtre indélébilité, tous subsistent
et s’accrochent, jaloux de tout ce qui est, à leur effrayante réalité.
Les hommes voudraient pouvoir en oublier beaucoup : leur sommeil
lime doucement ces sillons du cerveau, mais des rêves
le repoussent et en retracent le dessin.
… et tu rêves, non pour le refuge, mais pour le contraire du refuge et de l’abri : tu fais dans tes rêves les dessins pour le présent, car tes rêves réarment le présent de dessins qui accablent la terreur, et tu mesures dans l’air la terreur qui est la tienne, qui la déchire comme les ongles des arbres tendus vers ce qu’ils ne rejoindront jamais.
Arnaud Maïsetti, le 29 janvier 2017
Arnaud Maïsetti vit et écrit entre Paris et Marseille, où il enseigne le théâtre à l'université d'Aix-Marseille. Vous pouvez le retrouver sur son site Arnaud Maïsetti | Carnets, Facebook et Twitter @amaisetti.