JE FORME DES VOEUX CONTRE LA DÉRÉLICTION, PAR ANDRÉ MARKOWICZ

Mes vœux

J’ai déjà cité, dans le corps d’une chronique, une blague juive d'origine française, mais qui me semble aujourd’hui la plus juste de toutes. C’est un Juif pessimiste et un Juif optimiste qui discutent. 
— Pïre, ça peut pas être, dit le Juif pessimiste.
— Mais si, mais si, dit le Juif optimiste.

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Mes amis FB, inconnus et connus, tenus de si près, et de très loin, on en a fait, du chemin ensemble — et, pour certains d’entre vous, depuis juillet 2013. Nous essaierons, inch Allah, de continuer : et, à chaque fois, tous les jours, je ne sais pas ce que sera la suite, mais je sais que, cette discipline, de ne pas savoir d’un jour sur l’autre ce que ce sera, moi, en tout cas, ça me maintient en forme, — disons que, malgré les cheveux qui sont devenus gris (sous le poids, disons ça, de la douleur du monde), ça me donne la force, et la joie, d’habiter.

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Souvent, quand je relis mes chroniques, ou, plus souvent encore, quand je les écris, je me dis qu’elles sont sombres, et que je vois un avenir dont j’aimerais beaucoup qu’il soit passé, parce qu’il nous laisserait libres de ne plus l’avoir en face, et , bon, comme vous avez pu le remarquer, je ne suis pas d’un tempérament très optimiste. Ni très croyant. Je me reproche qu’on puisse penser que je ne croie pas à l’action quotidienne, militante — mais non, sinon que, moi, je ne suis pas un militant. J’essaie de garder une ligne, compliquée, et toute simple : l’ennemi de mon ennemi n’est pas obligatoirement mon ami, et, avec les amis, c’est le problème majeur, parfois, je me dis comme Sitting Bull en 1889, « there are no Indians left but me » (il a dû le dire en lakota, s’il l’a jamais dit). Je veux dire que je ne sais pas où est la gauche. Et je sais que j'ai tort de penser ça, parce que, la sensation d’être le dernier Indien qui reste, c’est une sensation commune autour de moi, et ici, parmi mes amis et abonnés de FB... et donc ça laisse à penser que, les indiens, même enfermés à Standing Rock une fois que tous les bisons ont été massacrés, il y en a encore... le tout est de ne pas s’enfoncer dans la déréliction.

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Je forme des vœux contre la déréliction. Contre l’isolement. Contre la sensation de solitude. Même si je pense que 2017 sera pire que 2016, je forme des vœux de joie. De joie dans « tous les sens ». La joie du souvenir qui nous revient, la joie de sa mémoire dans l’avenir. Je ne sais pas comment dire : la joie de se trouver, de ne pas se réduire à soi-même. Si je crois en quelque chose, sérieusement, c’est en ça, en la joie du partage.

Je forme des vœux — pour ceux, pour celles, qui luttent, en vrai, au quotidien. Pour ceux, pour celles qui ne se rendent pas, pour celles, pour ceux, qui aident, au jour le jour, qui se dressent, dans des actions toutes petites et immenses (offrir une douche chez soi à des femmes réfugiées qui campent dans la rue, accompagner les gens dans les démarches, jour après jour, sans fin, sans voir de fin). Pour celles et pour ceux qui vivent la terreur.

Je forme des vœux. Je forme des vœux pour celles que j’aime : il se trouve qu’il ne me reste plus que des « elles » — mais comme elles m'élèvent, ces « elles »-là.

Je forme des vœux pour que le messie nous laisse encore le temps.

André Markowicz


Traducteur passionné des œuvres complètes de Dostoïevski (Actes Sud), Pouchkine et Gogol, poète, André Markowicz nous a autorisés à reproduire dans L'Autre Quotidien quelques-uns de ses célèbres posts Facebook (voir sa page), où il s'exprime, entre deux travaux littéraires, sur les "affaires du monde". Nous lui en sommes reconnaissants.