Vivarte brade les emplois et l'argent public, par Véronique Valentino

Le groupe Vivarte, spécialisé dans l’habillement et la chaussure, met en vente plusieurs enseignes et annonce la suppression de plusieurs centaines de postes. Une restructuration brutale qui met en lumière le comportement des fonds vautours (1), dont les objectifs sont de récupérer le maximum d’argent sans aucune considération pour les salariés. Un concentré de capitalisme, en fait.

Depuis mardi 24 janvier, les 17 000 salariés du groupe Vivarte sont soumis à rude épreuve. Car le PDG, Patrick Puy, est resté volontairement flou sur les licenciements et les marques qui seront revendues lors d’un comité central d’entreprise (CCE) qui s’est tenu le 23 janvier. Le groupe Vivarte réunit en effet de nombreuses enseignes de l’habillement et de la chaussure et non des moindres : La Halle aux chaussures, la Halle aux vêtements, Caroll, Kookaï, Minelli, Naf Naf ou encore, son fleuron, André.

Plusieurs plans de sauvegarde de l’emploi -un euphémisme pour plans de licenciement- avec, notamment, la cession de André (135 magasins et 786 salariés). Quant à celui prévu à la Halle aux Chaussures, il pourrait se solder par la suppression de 700 à 800 emplois. Un autre PSE est annoncé chez la filiale support du groupe, Vivarte services, soit 132 postes menacés sur 230, selon Sud. Mais les licenciements pourraient concerner, dans les faits, un tiers des effectifs, soit entre 1500 et 2000. Cette restructuration brutale fait suite à celle mise en œuvre en 2015, qui s’était déjà soldée par 1300 licenciements à la Halle aux vêtements.

Des fonds d’investissement prédateurs

Le PDG, Patrick Puy, distille les annonces au compte-goutte depuis mardi dernier et parle de plans de départ volontaires, mais sans aucune concertation avec les salariés. La cession de sept marques, et peut-être davantage, est envisagée, sans plus de précisions. La situation du groupe est effectivement difficile, du fait de son endettement et de la charge de la dette. Ce qui déchaîne la fureur des syndicats, ce sont les « fonds vautours » qui ont pris le contrôle du groupe et se le revendent depuis 12 ans. En 2004, Vivarte a en effet été racheté par le fonds d’investissement PAI Partners (Paribas affaires industrielles), puis revendu à peine trois ans plus tard au fonds britannique Charterhouse (créé à l’origine par la banque HSBC, mais indépendant depuis), qui emprunte deux milliards d’euros pour ce rachat, via une opération de LBO (leveradge buy out), avant de passer aux mains de fonds américains. C’est ce jeu de casino que dénoncent les organisation syndicales. Les LBO sont en effet des montages juridico-financiers qui permettent de financer l’acquisition d’une entreprise par l’emprunt sur les marchés financiers. Or, les deux milliards empruntés par Charterhouse ont été transférés à l’entreprise, d’où des intérêts colossaux à rembourser. « Depuis 2007-2008 », expliquait Jean-Louis Alfred, syndicaliste CFDT à France TV info, « 80% du bénéfice sont consacrés à rembourser les intérêts de la dette », au détriment de tout investissement pour le développement.

La valse des dirigeants et la préférence pour le court-terme

En 2014, les investisseurs américains mettent en vente Kookaï, Chevignon et Pataugas. Et en 2015, Vivarte annonce le licenciement de 1300 salariés. Dans le même temps, le patron du groupe de l’époque, Marc Lelandais, s’était vu octroyer deux milliards d’euros d’indemnité de départ. Il dénonçait par ailleurs des actionnaires exigeant des dividendes impossibles à verser… Patrick Puy, l’actuel PDG, est le quatrième dirigeant nommé en deux ans à la tête du groupe, par les fonds américains qui en ont pris le contrôle en 2014. Difficile, dans ces conditions de conduire une stratégie sur le long terme.

Un expert ès-liquidation à la tête du groupe

La stratégie erratique du groupe -ratage du tournant numérique, montée en gamme qui a fait fuir la clientèle populaire- n’a pu que donner des arguments à ceux qui plaident pour une liquidation rapide. D’autant que la réputation de M. Puy ne pouvait qu’inquiéter les syndicats, qui le décrivent comme un porte-flingue, expert ès-restructurations, lors de son arrivée à la tête du groupe en octobre 2016. De fait, M. Puy n’aura pas tardé à dégraisser à marche forcée. Il avait déjà laissé de très mauvais souvenirs lors de la liquidation de Moulinex en 2012, alors qu’il était soupçonné de malversations financières par la justice. Dans le cas Vivarte, la stratégie des « fonds vautours », qui ont pris le contrôle, se résume à un dépeçage en règle. D’où la demande de la CGT Vivarte qui exige qu’on légifère pour contrôler les opérations de LBO. « Ces gens investissent à horizon de cinq ou dix ans, ce qui est insuffisant pour mettre en place une vraie stratégie d’entreprise », s’indigne Karim Achoub, délégué syndical CGT La Halle aux vêtements et secrétaire général du CCE du groupe. « Le groupe étant en déclin, ils attendent juste de récupérer le maximum de cash pour aller investir dans un autre secteur, en France ou à l’étranger, où ils agiront exactement de la même façon ». Et ajoute : « il y a une telle opacité, qu’on ne sait pas où est passé l’argent du CICE. Une bonne partie des fonds irait dans une holding au Luxembourg, afin de permettre au groupe de payer le moins d’impôts possible ».

Des millions d’euros d’argent public perdus

La direction du groupe n’est pas la seule à qui les salariés demandent des comptes. Ils ont interpellé la ministre du travail Myriam El Khomri et le Secrétaire d’Etat à l’industrie Christophe Sirurgue. Car Vivarte a bénéficié de 45 millions d’euros de Crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) depuis 2013 et de 26 millions d’euros par an d’allègements Fillon sur les bas salaires. Sur sa page Internet, le ministère de l’économie explique que « Le CICE a pour objectif de redonner aux entreprises des marges de manœuvres pour investir, prospecter de nouveaux marchés, innover, favoriser la recherche et l’innovation, recruter, restaurer leur fonds de roulement ou accompagner la transition écologique et énergétique grâce à une baisse du coût du travail ». Ce dispositif qui coûte 1% du PIB chaque année aurait, selon le comité de suivi du CICE, sauvé ou créé 50 000 à 100 000 emplois en deux ans. Soit bien moins qu’annoncé lors du lancement en fanfare du pacte de compétitivité, avec un coût record par emploi. Un comble pour un gouvernement socialiste se prétendant aussi économe des deniers publics.

Véronique Valentino le 26 janvier 2017


(1) Les fonds vautours sont des fonds d’investissement qui rachète les actifs d’entreprises endettées à bas prix avant de les revendre pour faire une plus-value.