La France, championne de la discrimination à l’embauche

Un rapport du défenseur des droits confirme ce qu’on savait déjà : la discrimination à l’embauche en raison de l’origine est une réalité massive en France. Mais au-delà de ce constat maintes fois réitéré, les solutions peinent à suivre.


La discrimination à l’embauche en raison de l’origine se porte bien. C’est ce que montrent les résultats d’un appel à témoignages lancé au printemps 2016 par le défenseur des droits. Selon Jacques Toubon, qui a présenté les résultats de cet appel à témoignages lundi 19 septembre, ceux-ci dressent « un panorama particulièrement inquiétant du parcours d’obstacles que constitue le marché du travail pour les personnes d’origine étrangère ». Plus de 60% des personnes ayant répondu au questionnaire en ligne déclarent avoir été « souvent » ou « très souvent » confrontées aux discriminations dans l’accès à l’emploi au cours des cinq dernières années.

Certes, il s’agit d’un questionnaire auto-administré et « les informations fournies ont un caractère déclaratif ». Mais, les résultats corroborent ceux de nombreuses études, voire ceux de testings, effectués depuis le début des années 2000, qui « viennent donner corps à un phénomène, dont la preuve est souvent difficile à rapporter ».

Les résultats sont d’autant plus intéressants que la moitié des personnes ayant répondu au questionnaire a raconté en détail son expérience et que certains témoignages sont retranscrits dans le rapport. C’est donc la voix même des personnes discriminées, voix désabusée et pleine de désarroi, que l’on peut entendre au travers des lignes de ce énième rapport sur le sujet.

Des dés sérieusement pipés

On y entend la stupeur de ces hommes et femmes qui découvrent à l’occasion de la recherche d’un emploi ou d’un stage, qu’ils ne sont pas des Français comme les autres. Le réveil est brutal. « Au début, je ne croyais pas au racisme : l’idée d’être jugé uniquement par mon apparence et/ou mes origines ne m’effleurait même pas l’esprit », explique cet homme de 32 ans, sans emploi. Avant de conclure que « aujourd’hui, je me rends compte que les gens sont plein d’a priori et qu’il est difficile de s’en sortir si on n’a pas un réseau sur lequel s’appuyer ».

Alors que ces femmes et hommes ont joué le jeu de la « méritocratie », valeur fondatrice de l’école de la République, ils découvrent que les dés sont pipés. « Diplômée en 2015, j'étais la 1ère de ma classe avec 15 de moyenne, studieuse, assidue et avec un bon relationnel. Durant mes stages, mes anciens tuteurs m'ont tous recommandée. Aujourd'hui, j'ai beaucoup de mal à trouver un emploi quand d'autres de ma promotion, moins sérieux, qui ont eu des problèmes avec leurs entreprises, souvent absents aux cours et qui s'en sont sorti avec tout juste la moyenne, ont trouvé un emploi », écrit cette femme de 25 ans, toujours en recherche d’emploi, avant de conclure que « ni mon nom et prénom qui sonnent très étrangers, ni ma couleur de peau ne m'aident ».

Les discriminations vécues par ces jeunes et moins jeunes -certains ont plus de 45 ans-, sont multiples et se cumulent souvent. Elles ont trait aux caractéristiques qui signalent « une origine étrangère » : nom, couleur de peau, religion. Bien entendu, il ne s’agit pas de n’importe quelle origine étrangère. On ne trouvera pas, dans ce tableau très sombre, de stagiaires allemands ou de candidats britanniques à l’embauche. Ce sont « les personnes perçues comme arabes qui témoignent des préjugés attachés à leur supposée religion musulmane, tandis que celles qui rapportent être vues comme noires, se déclarent plus souvent discriminées en raison de leur couleur de peau ». Les personnes « vues comme arabes, apparaissent comme sur-stigmatisées, du fait de la consonance de leur nom et de leurs supposées convictions religieuses ».
 

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Disqualifiés, déqualifiés et humiliés

On y lit donc en creux les préjugés et stéréotypes qui disqualifient d’emblée de nombreuses Françaises et Français en matière d’emploi, mais aussi les humiliations répétées. « On m'a comparé à un terroriste durant l'entretien d'embauche », témoigne cet homme de 34 ans, lui aussi sans emploi, ou cet autre de 37 ans, en recherche d’un contrat d’alternance : « Lorsque j’ai contacté le responsable de l'entreprise, nous avons échangé 45 min pendant lesquelles aucune de mes compétences, ni mon expérience n'ont été abordées. Mon interlocuteur ne m'a parlé que de terrorisme et des attentats de Paris ».

On découvre aussi, que certains candidats, après un refus, font leur propre testing, comme le raconte cette femme de 24 ans : « Je recherche un emploi de comptable, je peine à décrocher des entretiens. Je pensais que mon profil ne correspondait pas tout simplement. Récemment j’ai postulé sur une offre qui correspondait en tout point à mon profil. Dès le lendemain j'ai reçu un refus. Etonnée de la rapidité de la réponse, j'ai re-postulé en changeant mon nom et mon prénom sur le CV et la lettre de motivation. J'ai rapidement eu un appel téléphonique »…

Pas étonnant dans ces conditions que « les réactions des personnes confrontées aux discriminations lors de leurs tentatives d’accès à l’emploi signalent une perte de confiance à l’égard des institutions de la République et en la capacité des politiques publiques à lutter contre cette situation ». Confrontée à la discrimination de plein pied, seule une petite minorité effectue des démarches pour faire respecter ses droits. S’agissant de la recherche d’un emploi en CDI ou CDD, ils sont seulement 17% des femmes et 10% des hommes à avoir trouver l’emploi recherché. Parmi ceux qui n’ont pas trouvé, plus de la moitié a envoyé plus d’une centaine de candidatures. Cette inégalité des chances est d’autant plus grave, que l’emploi est la clé par excellence de l’intégration sociale. Mais cette discrimination peut aussi empêcher d’obtenir un diplôme, puisque seulement un sur quatre a trouvé le stage ou le contrat d’alternance recherché. Elle peut également conduire au licenciement pur et simple. « Au lendemain des attentats de novembre, le patron m’a dit qu’il voulait travailler avec des Français et m’a licencié » déclare un homme de 41 ans. Avant d’ajouter « pour info, je suis Français. »

Au-delà de l’accès à l’emploi, des vies détruites

C’est toute une génération qui perd pied, sous l’effet de cette inégalité des chances, frappée de plein fouet par la démotivation et la perte de confiance en soi. Pour finir, soit ils envisagent de s’expatrier -surtout pour les plus diplômés-, à moins qu’ils ne décident de créer leur entreprise. Parfois, ils changent de nom. Les autres finissent par accepter des emplois déqualifiés. « Après de très nombreux échecs, j'ai décidé de prendre n'importe quel travail, déclare une femme de 25 ans, ayant effectivement trouvé du travail. Mais c’est pour assurer aussitôt qu’elle « n'encourage personne à travailler dur pour avoir un diplôme vu l'utilité que j'en ai eue. Je regrette même d'avoir dépensé du temps et de l’argent pour l'avoir. Ça a changé ma façon de chercher du travail et surtout auprès de quelles entreprises ».

Au-delà de l’accès à l’emploi, c’est la vie toute entière des personnes discriminées qui est affectée. « J'ai vécu dans la précarité alors que j'étais un des meilleurs de ma promotion et que tous mes camarades de classe avaient trouvé un emploi dans les 3 mois (filière comptabilité/gestion). Je n'ai pas pu construire le projet de vie auquel j'aspirais et pour lequel je me suis battu à l’école ». Là encore, c’est un homme sans emploi, âgé de 30 ans, qui parle.

Une volonté politique qui fait défaut

La conclusion du rapport est sans équivoque, qui appelle les pouvoirs publics à se saisir du problème. Malheureusement, et cela fera l’objet d’un prochain article, c’est précisément la volonté politique qui manque. Certes, le gouvernement a lancé une campagne d’affiches et de spots télévisés début 2016, ainsi qu’un site Stop-discrimination. Après de nombreuses tribulations, le CV anonyme a été enterré en 2015. Et on attend toujours l’entrée en vigueur de l’action de groupes -class action- en matière de discriminations, alors que la loi a été votée le 24 mai dernier.

Le moins qu’on puisse dire, c’est que les partenaires sociaux ne sont pas très chauds pour se saisir de la question. Les syndicats ne sont ni très actifs, ni très enthousiastes. Franchement timides sur les possibilités ouvertes par la création d’une action de groupe en matière de discrimination, ils ont, sans succès, tenté d’évincer les associations spécialisées de sa mise en œuvre. Les entreprises, elles, sont allergiques à toute mesure contraignante. De façon significative, le rapport Pécaud-Rivolier intitulé « Lutter contre les discriminations au travail : un défi collectif » de 2013, devait à l’origine, porter sur les inégalités de salaire entre hommes et femmes. Pourtant, la discrimination en raison de l’origine n’occupe qu’une page du rapport, alors qu’elle est le premier motif allégué. Innovation, le rapport du groupe de dialogue inter-partenaires sur la lutte contre les discriminations en entreprise, de 2015, reconnaît que les discriminations en entreprise « sont considérées comme répréhensibles car supposées délibérées alors que nombre de comportements discriminatoires relatifs à l’origine, au sexe ou à l’âge renvoient à des stéréotypes profondément ancrés dont les auteurs n’ont pas toujours conscience ». De fait, il a fallu du temps avant que les acteurs publics ne reconnaissent le caractère systémique de la discrimination. Jusqu’à récemment, celle-ci était censée résulter du comportement fautif d’un ou de plusieurs individus dans l’entreprise. Cette explication « morale » a longtemps dominé le débat. Un débat qui bute aussi sur les « statistiques ethniques » et la difficulté de mesurer précisément ce que l’on veut combattre.

Résultat, alors que la discrimination envers les femmes et les personnes en situation de handicap a -un peu- reculé, grâce à une politique de quotas et de sanctions financières, la discrimination en raison des origines semble avoir encore de beaux jours devant elle.

Véronique Valentino le 19 janvier 2017

http://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/etudesresultats-acces_a_lemploi_et_discriminations_liees_aux_origines-20160919.pdf

*L’échantillon retenu est composé de 758 personnes, âgées de 18 à 65 ans, ayant répondu à un questionnaire autoadministré en ligne entre le 21 mars et le 21 juin 2016 et déclarant avoir été discriminées à raison de leurs origines au cours d’une recherche d’emploi ou de stage au cours des 5 dernières années. La campagne ciblait des jeunes de 18 à 35 ans, mais des personnes de plus de 35 ans ont également témoigné. La population étudiée est jeune -4 répondants sur 10 ont entre 18 et 25 ans, 5 sur 10 entre 26 et 35 ans- avec un niveau de qualification élevé : un tiers d’entre elles 2 possèdent un diplôme de 1er cycle, un autre tiers sont diplômées du 2è ou 3è cycle. Elle est de nationalité française (80% dont un tiers de binationaux), avec un nom à consonance étrangère (78%) et déclare pour la moitié être vue comme arabe (48%) et de confession musulmane (54%). Près de la moitié des répondants sont au chômage.