Mort d'un combattant : salut, Roland Agret, par Serge Quadruppani
J'apprends que Roland Agret est mort. Et je me souviens de l'époque où je l'ai connu, quand il se battait contre ce qu'il appelait par calcul tactiques des "erreurs judiciaires" et qui ne sont que le fonctionnement normal d'une institution impitoyable avec les humbles et compréhensive avec les puissants.
Je l'avais rencontré quand il se battait pour la libération de Roger Knobelspiess après son ultime incarcération, quand celui-ci n'était plus défendu que par quelques hurluberlus de mon acabit. Je me souviens qu'à l'époque, il tenait avec Marie-Jo, sa femme, un restau pas mauvais du tout à Montdardier, au bord du causse du Blandas, il circulait dans une voiture sans vignette, avec juste un papier collé sur le pare-brise: "Pas de vignette, s'adresser au ministère de l'Injustice, place Vendôme" (et les gendarmes du coin n'osaient rien dire), je me souviens qu'il avait construit sans permis ni demande d'autorisation une espèce de ranch en bois et que quand on lui avait fait des ennuis, il l'avait démoli au bulldozer avant de l'arroser d'essence et d'y foutre le feu devant les journalistes convoqués pour l'occasion, je me souviens des soirées très arrosées, de ses doigts coupés serrés sur le verre, de toutes les mutilations qu'il avait infligées à son corps pour obtenir d'être rejugé après une lourde condamnation infligée lors d'un procès inique: il avait fini par gagner (à l'époque il n'y avait pas d'appel aux procès d'assises et être rejugé était très exceptionnel). Je me souviens de sa bonne humeur inébranlable, je me souviens qu'il avait joué au chanteur au Dejazet et sur le Larzac, qu'il avait toujours un nouveau projet en préparation, un nouveau bouquin à pondre… Roland était de ces personnages dont la seule fréquentation redonne l'envie de rire et de vivre. Ciao, l'ami!
Serge Quadruppani
Essayiste, traducteur et éditeur littéraire libertaire français, auteur de romans policiers et traducteur de la série des Commissaire Montalbano d'Andrea Camilleri, Serge Quadruppani tient un blog où il s'exprime sur l'actualité "en attendant que la fureur prolétarienne balaie le vieux monde" : Les contrées magnifiques.