Short-Cuts 21, par Nina Rendulic
au bout de chaque semaine, ce(ux) que je retiens dans la réalité subjective du monde qui nous entoure
krajem svakog tjedna, ko/čega se sjećam u subjektivnoj stvarnosti svijeta oko nas
semaine du 6 / 6 / 16
Tous les jours tu traverses les mêmes chemins et cela te rend aveugle. Cette ville est en toi, ses lumières brillent dans tes yeux et ses artères sont les tiennes. Tu ne vois plus la fissure sur la bande blanche du passage piéton, tu l’enjambes avec un automatisme gracieux. Tu ne vois plus les jardinières de géraniums entassées sur les fenêtres du rez-de-chaussée. Ni les échafaudages sur les maisons des riches. Ni les riches. Tu ne te retournes pas sur ton passage pour admirer l’alignement des cheminées et des graffitis vulgaires sur les façades. Tu n’es plus émerveillé. Ton regard est vide. Cette ville est là. Elle t’habite. Tu te tais.
Ensuite.
Il suffit que quelque chose se meuve.
L’odeur suffocante des glycines en fleurs. Un souffle de chèvrefeuille. Le mouvement des pédales. La moiteur du corps luisant. L’air est beau ce soir. Restons. J’ai de nouveaux yeux. Cette mélodie ? Du jazz libre. Les fraises regorgent d’eau et de fructose. Dansons pieds nus sur les pelouses et sous les lampadaires.
Rosemary Standley
Ann se coupe les cheveux puis jette son téléphone portable dans les toilettes du train de nuit entre Paris et l’Italie. Alfred Deller chante Purcell. Il fait chaud. Sa robe est en fleurs. Elle est maigre.
(En changeant de lieu change-t-on de vie ?)
Une faiblesse émerveillée échappant à la critique raisonnée demeure, sept ans après Villa Amalia, pour Isabelle et la voix des contre-ténors. O solitude chantée par une autre voix que Deller ? Impossible.
Arrive Rosemary Standley. La belle de Moriarty à la voix satinée et cristalline. Depuis un temps Rosemary chante Waits, Lennon, Bashung, Jeanette, Simone, Monteverdi, du folklore sud-américain… et Purcell. Dans sa transformation qui traverse les époques, les genres et les langues, Rosemary avance avec une grâce forte. Elle revendique, s’approprie chaque note de chaque chanson qu’elle réinvente. Purcell par une voix de femme ? Ecoutez.
Nina Rendulic est née à Zagreb en 1985. Aujourd'hui elle habite à 100 km au sud-ouest de Paris. Elle aime les chats et la photographie argentique. Elle vient tout juste de terminer une thèse en linguistique française sur le discours direct et indirect, le monologue intérieur et la "mise en scène de la vie quotidienne" dans les rencontres amicales et les dîners en famille. Vous pouvez la retrouver sur son site : ... & je me dis