Brésil : pourquoi ne pas convoquer des élections ? par Joao Machado

MidiaNinja

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Le Brésil vit une profonde crise institutionnelle, la plus importante depuis la fin de la dictature. Le gouvernement Dilma Roussef est atteint en pleine face, entraînant sa paralysie, mais aussi les principales institutions de la démocratie bourgeoise. Les principaux dirigeants du Parlement sont impliqués dans l’Opération Lava Jato |1|, dont Eduardo Cunha, président de la Chambre des députés, en tant qu’un des accusés du procès. Les dirigeants des partis traditionnels, composants du gouvernement comme de l’opposition de droite (y compris le PMDB, parti de Cunha et du vice-president Michel Temer, qui a quitté récement le gouvernement), font objet d’investigations.

Une telle situation contribue à un grand chaos au sein des institutions, avec un pouvoir judiciaire divisé à tous les niveaux. A cela, s’ajoute une crise intense de crédibilité des institutions traditionnels et du modus operandi de la démocratie bourgeoise, dont les premiers signes se sont exprimés dans les rues en 2013 

Le Brésil vit donc une crise politique d’ampleur qui s’ajoute à la grave crise économique, sociale et environnementale. Cela se traduit par le chômage croissant, l’inflation, par le gel des salaires, par l’effondrement des services publics, par les désastres et les crimes contre l’environnement, symbolisant l’échec d’un modèle de développement. L’épuisement du modèle de « croissance », adopté au cours des « périodes » Lula, avec maintenant l’application d’une politique d’ajustement néolibéral et de récession, a produit un scénario de stagnation dans la durée. Quel que soit le résultat à court terme, une somme de crises de moyen terme devrait se maintenir avec des tensions sociales et politiques.

Le cycle « lulopetista » est en train de mourir. Les possibilités du maintien du modèle « neo-extrativista », exportateur de croissance, sont en train de s’épuiser. Même s’il y a une survie politique par la polarisation récente entre les deux camps dans la guerre institutionnelle, la stratégie établie par le lulisme, celle de favoriser les entrepreneurs, l’agro-industrie et le capital financier et, en même temps, faire quelques concessions aux plus pauvres, n’a plus aucune possibilité politique et éthique d’apparaître comme une inflexion à gauche. Même après avoir mis plus de 100 000 personnes dans la rue à Sao Paulo, Lula continue de prier les représentants du capital de lui faire confiance pour être le garant du pacte social. Dans ce cadre, il réédite, en termes plus humiliants, la “Lettre au peuple brésilien” de 2002. C’est la fin d’un long cycle de la gauche brésilienne.

Au milieu de la polarisation politique qui s’est développée pendant ces deux années de gouvernement Dilma, dans la société brésilienne, les idées et les sentiments de droite se développent avec la volonté de punition pénale et la recherche d’un Sauveur, c’est-à-dire un Bonaparte, en mesure de mettre un terme à la corruption.

Le spectre d’anti-petismo est divisé en deux parties : l’un plus libéral et un autre conservateur, avec beaucoup de points d’intersection entre eux. Certains mouvements de caractère libéral, par exemple Mouvement Brésil libre (MBL) et « Viens manifester » (Vem Para a Rua) et d’autres plus réactionnaires, dont certains chefs religieux et certains partisans du retour à la dictature militaire, comme Bolsonaro, ont vu leur capacité à influencer grandir.

Dans ce contexte, les attitudes violentes et les discours de haine ont été prononcés contre la gauche en général. En outre, les médias remplissent un rôle d’incitation à la haine et de manipulation des informations, parfois en contribuant directement ou indirectement à des épisodes de violence plus ou moins graves.

La crise de la vieille gauche au pouvoir qui a réalisé des politiques impopulaires et répressives (notamment dans les grandes périphéries urbaines, contre les jeunes et les noirs), et l’offensive de la droite intolérante et incitatrice à la haine rejaillissent sur l’ensemble des idées de gauche et socialistes. Il devrait s’ouvrir une période de réorganisation du mouvement de masses et la possibilité d’un nouveau cycle pour la reconstruction d’un projet de gauche.

La jeunesse vit actuellement la réalité du chômage, la violence, l’absence des services publics et des droits démocratiques. En plus, elle ne s’identifie à aucun des deux principaux pôles qui sont en guerre aujourd’hui, ce qu’explique sa faible participation aux mobilisations du mois de mars. Il faut aussi relever la présence de secteurs plus progressistes de la société et des « bases ouvrières » de l’ancien bloc historique, qui ont manifesté massivement pour défendre les libertés démocratiques avec des nombreuses critiques au gouvernement, soit sur la politique économique et impopulaire, soit sur la corruption évidente.

L’actuel scénario au Brésil est très difficile à gérer pour la gauche anticapitaliste et socialiste. Un gouvernement originaire du mouvement ouvrier et populaire est en train d’être renversé par la droite, dont les principaux agents sont les pouvoirs judiciaires, l’opposition du Parlement et les médias orchestrés par la groupe Globe, hégémonique parmi ceux-ci.

Ce gouvernement, en chute libre, n’est pas un gouvernement progressiste, mais un gouvernement qui met en place une politique d’ajustement néolibéral qui, quand il subit une pression, va encore plus à droite : la loi anti terroriste, l’annonce de coupe des salaires et des acquis des fonctionnaires, de la réforme de la retraite, la perspective de suspendre les ajustements du SMIC.

Malgré les mesures favorisant nettement les intérêts du capital, les syndicats patronaux, les représentants de la finance et des médias, sont d’accord sur l’incapacité de Dilma Roussef à appliquer les plans d’ajustement afin de garantir leur stabilité. Ils jugent donc, par conséquent, son remplacement nécessaire.

Les mobilisations massives du 13 mars (pour la destitution de Dilma), du 18 et et celle du 31 (contre la destitution de Dilma), ont été assez hétérogènes selon les villes ou régions. La dernière, quelques 700 mille personnes dans tout le pays, a vu des défilés globalement contre la destitution de Dilma, pour la démocratie et contre les mesures anti-sociales du gouvernement. Néanmoins, la grande majorité de la population est pour le retrait de la présidente et le gouvernement a perdu sa base populaire majoritaire.

La possibilité d’un nouveau coup d’État, tel qu’il y a eu en 1964, n’est pas à l’ordre du jour. Néanmoins, le poids des institutions fondamentalistes religieuses, l’influence de secteurs oligarchiques, de ceux liés à l’industrie belliciste et des forces policières fait avancer des projets rétrogrades et essaient de supprimer des acquis.

Au début des enquêtes sur la corruption, des entrepreneurs et des personnalités de droite, au gouvernement ou pas, ont été emprisonnés. Mais, la crise institutionnelle prolongée a crée une ambiance où tout-est-permis, grâce à l’Opération Lava Jato, par des opérations judiciaires aberrantes et anti-démocratiques contre les accusés identifiés au gouvernement, le tout coordonné avec les grands médias et l’opposition de droite. L’indignation générale contre la corruption et le PT aide les forces majoritaires représentantes du capital à œuvrer pour le changement de gouvernement, sans aucune modification démocratique du régime politique.

La période ouverte offre une transition difficile à cause de l’absence d’une gauche socialiste d’influence suffisante pour devenir protagoniste d’une alternative à la crise. Le Parti socialisme et liberté (PSOL), respecté dans les luttes sociales, intervient dans des secteurs de la jeunesse, des différents secteurs opprimés et mobilise quelques millions de voix aux élections. Il est le principal parti de la gauche socialiste. Cependant, il n’est pas encore en mesure de présenter une alternative réelle à la crise, même s’il se place comme opposition de gauche, contre les concessions du gouvernement au capital, contre les privilèges de la classe dominante, contre la corruption. En tout les cas, il ne défend absolument pas les manœuvres de la droite pour faire tomber Dilma Roussef.

En effet, le processus de destitution de la présidente par le Parlement est conduit par son président, lui même impliqué dans les enquêtes de la Petrobras et dans une série de crimes. Dans le même temps, beaucoup d’efforts sont faits (par les médias, par le judiciaire) pour ne pas mettre en avant l’implication de personnalités de l’opposision de droite dans l’Opération Lava Jato, y compris des membres du Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB), qui vient de quitter le gouvernement et dont Temer, le vice-président, fait partie.

Au cas où la destitution de Dilma puisse se dérouler par des canaux “normaux” ou légaux, il faudrait empêcher que Temer assume la direction du pays. D’ailleurs, même une partie des grands médias, qui sont maintenant, en géneral, dans le champ anti-PT, disent que Temer n’a pas de soutien pour gouverner. Ils demandent la destitution tant de Dilma quant de Temer. Des sondages disent que, s’il y avait des élections aujourd’hui, Temer n’aurait que 1% des voix.

L’issue à une telle crise est la convocation des élections présidentielles et du Parlement.

Des campagnes concrètes contre les attaques des conservateurs sur les droits sociaux, contre les violences policières, contre l’ajustement budgétaire, entre autres, doivent continuer à se traduire par des mouvements réels et revendicatifs qui renforcent l’organisation sociale de la gauche socialiste. À ce stade de réorganisation encore mal délimitée, des initiatives transitoires doivent être réalisées pour construire de nouveaux instruments et outils unitaires de l’opposition de gauche, qui soient indépendants du gouvernement.

Joao MACHADO

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