La guerre au Kurdistan Nord n’a jamais été si proche, par Daniel Fleury

Le sommet Europe - Turquie sera peut être le domino qui fera basculer tous les autres. La guerre au Kurdistan Nord n’a jamais été si proche.

Car si Erdogan vient de rentrer un double six, en faisant céder l’Europe pour 6 milliards au lieu de 3, il peut aussi se prévaloir d’une absence de « reproches » concernant sa politique, tant sur le plan des libertés publiques (confiscation de médias), que sur le plan de la Paix civile.

Si des voix venant de la pseudo coalition se sont faites entendre, à propos des bombardements de la zone d’Afrin en Syrie, et de l’aide en continu à des factions djihadistes, (malgré le cessez le feu), qui continuent autour d’Alep à faire des victimes kurdes, cela n’est pas arrivé jusqu’à Bruxelles.

Les témoignages de l’horreur des exactions et crimes de guerre qu’ont commis et que commettent les troupes de répression au Kurdistan nord, ont du être filtrés également par l’épaisseur des murs du Parlement européen de Bruxelles, où tous étaient réunis pour fixer le prix du « migrant » et du « réfugié » à la bourse de la misère internationale.

C’est donc l’exact contraire de l’appel européen récent qui circule, signé au départ par quelques politiques et intellectuels, qui sort de l’accord passé dimanche. Et même si, sur la demande de la Chancelière allemande, le texte final ne dit plus, grâce à des virgules de bourgeois gentils hommes, que « la route des Balkans est désormais close« , il s’agit bien de la constitution d’un mur européen, de l’instauration d’un sas permettant trocs et échanges de réfugiés « triés », et renvoi d’une bonne partie d’entre eux.

Et pour cela, il y avait besoin d’un kapo. Le régime turc leur a paru tout indiqué, comme le fut hier un Kadhafi qui avait fait ses preuves.

 

Il s’agit là d’un « marché » non seulement totalement inhumain, mais surtout politiquement très lourd de conséquences à court terme.

Pour ne pas à avoir à s’entendre entre gouvernements européens, tous tournés aujourd’hui sur leurs préoccupations politiques intérieures, leurs frontières qui se referment, les visas de transit qui refleurissent en toute illégalité européenne, les restrictions à la libre circulation, et j’en passe… Pour ne pas discuter dans un cadre européen de la crise humanitaire et des aides à mettre en place, des politiques d’accueil unifiées, d’un cadre européen avec budget dédié, l’Europe fait un chèque et externalise, comme le ferait une entreprise.

Cela demande bien sûr des concessions, et de taille, pour obtenir du gouvernement turc une telle promesse de prise en charge. Elles furent faites, en silence.

Et bien que 4 groupes politiques au sein du Parlement européen aient appelé à une visite en Turquie et dans la région kurde, ainsi que des efforts pour une ré-ouverture des négociations entre les deux côtés, par le biais d’une demande écrite, soumise à Martin Schulz et Federica Mogherini, on sait pourtant que le vœu que l’Union européenne et le Parlement européen contribue aux efforts pour redémarrer le processus de résolution sur la question kurde restera sans suite. Il est en totale contradiction avec la position de tous les gouvernements.

Erdogan vient donc à l’international d’obtenir un blanc seing de la vieille Europe, et une quasi absolution de ses crimes, passés et à venir. Chacun sait que la perspective d’adhésion n’intéresse aucune des parties, et sert de paravent aux marchandages, comme pour Erdogan, en interne d’éventail à gogos, en direction de ses sociaux libéraux…

Parlons-en justement, de ce parti CHP, numéro 2 politique en Turquie. Son kémalisme obtu n’a d’égal que la bigoterie de l’AKP. Ne vient-il pas, coup sur coup, de signer un texte commun avec l’AKP pour condamner le « terrorisme », après l’explosion d’Ankara, attribuée toujours par le gouvernement au PKK, et de déposer une demande d’enquête sur…. « la façon dont l’AKP aurait favorisé le développement et l’influence du PKK en négociant avec lui trop longtemps ». Suivez mon regard, cette « influence » aurait aussi donné naissance au HDP, dont le Co Président sera poursuivi bientôt, avec une demande de dissolution toujours possible… Comprenez avec cela, que ce même parti social libéral kémaliste, refait des appels du pied aux ultra nationalistes, pour « l’unité de la nation turque », et vous planterez le décor des magouillages politiques en cours, sur fond de grand silence sur ce que fait l’armée et ses mercenaires, entrecoupé de cris de victoire sur « les points marqués contre le terrorisme ».

Le mouvement kurde est de plus en plus isolé politiquement. Il est coupé de ses appuis à l’Ouest, en dehors des alliances démocratiques qu’il avait passées au sein du HDP avec des secteurs de la gauche turque, représentatifs de luttes. Il vient aussi de constater l’essoufflement du mouvement pour la Paix civile, déjà divisé lors des élections de novembre, relancé avec l’appel des Universitaires, puis en panne.

La main tendue que représentait Demirtas, et avec lui le HDP, la proposition d’autonomie, de confédéralisme démocratique, comme réponse aux velléités de réformes constitutionnelles de l’AKP, n’a reçu aucune réponse. Le CHP lui même ne veut pas entrer dans ce débat. Ce n’est donc pas dans le cadre parlementaire que les résolutions de crise se feront.

Et c’est justement ce débat là, qui existe aujourd’hui, au sein du mouvement kurde. L’auto défense organisée dans les quartiers assiégés autour de Diyarbakir, avait déjà écartelé les choses, entre guerre et paix, face aux massacres en cours.

La stratégie d’un TAK, revendiquant l’explosion d’Ankara, et promettant le « feu » à la Turquie, est la pointe la plus extrême de ce grand écart, qui va en s’élargissant.

Le HDP a fortement réagi à ce danger, en appelant aux marches sur Sur, qui ont permis la levée provisoire du blocus de la ville martyre de Cizîr. Mais là aussi, des voix nombreuses se sont élevées pour dire « où étiez vous ? » . Les populations sont à bout, et constatent l’horreur des destructions, la sauvagerie des forces de l’état. Bien sûr que tous demande la paix, mais chacun pense qu’elle ne pourrait être obtenue que par la guerre peut être désormais, et surtout parmi les plus jeunes.

Voici donc un tableau qui peut faire craindre le pire, non plus une guerre d’auto défense contre des sièges, une situation des années 1990, mais une guerre civile au Kurdistan, avec renforts armés venus d’au delà des frontières proches. Le PKK récemment ne déclarait-il pas que la Turquie serait « le feu du Newroz » ?

On peut largement deviner que la politique et le militaire mêlés sont sans doute au centre des débats du mouvement kurde, et que le HDP n’y échappe pas. Cela explique en partie le durcissement du discours de Demirtas ces derniers temps, et ses appels à l’aide, jusque chez des « partenaires européens socialistes » parmi les moins fréquentables.

Erdogan peut toujours arrêter le bras de la terreur, détourner le domino.

On peut douter qu’il le fasse, au vu de cette semaine écoulée, où il a fait à la fois l’éloge de victoires sur le PKK en laissant exhiber dans la presse des prisonniers, et massacrer des civils dans des villages encore sous couvres feux. Les femmes, les enfants sont désormais cibles courantes pour sa troupe.

Vous voulez un exemple récent

Idil, retenez bien ce nom, après Cizre, Sur, ce sont les nouveaux massacres qui commencent

Selon des rapports, 13 civils ont été exécutés par les forces gouvernementales déployées dans la ville d’Idil . Hier, les forces de l’Etat ont récupéré les corps de 10 personnes tuées dans le quartier Turgut Özal au milieu des attaques intensifiées, et les ont plus tard transportées sur un tracteur à l’hôpital public.

Depuis des véhicules blindés turcs, les forces de l’état ont joué des chansons et des hymnes racistes alors qu’ils accompagnaient le tracteur à l’hôpital.

Plus tôt hier, 3 corps de personnes tuées ont été retrouvés par les forces de l’Etat dans une zone située entre les villages de Kuyulu et Dirsekli sous un couvre-feu depuis 3 semaines.

Ferhat ENCU, député du HDP, qui est lui-même dans la ville, a déclaré concernant les 13 personnes tuées «  Certains d’entre elles ont été assassinées dans les quartiers en état de siège, et quelques autres qui essayaient de quitter la ville. Ils étaient tous des civils et des jeunes vivant dans İdil. Ils ont été très probablement exécutés.« 

On sait aussi qu’Erdogan lorgne sur Nusaybin, ville frontière, assiégée elle aussi, et qui se défend en osmose avec la population.

Le blanc seing européen peut décider le régime AKP à en finir, sans retenue, avant le Printemps. Il a le silence complice intérieur de son opposition sociale libérale, et la lassitude politique des milieux laïcs. C’est donc pour Erdogan une « fenêtre » favorable… qui serait probablement le début d’une guerre.

Non, l’Europe ne serait pas responsable. Elle serait juste coupable d’avoir détourné les yeux et fourni la mèche. Ce ne serait pas la première fois.

Imaginer ce scénario du pire, c’est aussi prendre en compte la géopolitique syrienne et irakienne, et penser que ce scénario peut étendre le chaos et… provoquer un exil massif vers l’Europe.

La montée des identités, les replis, les politiques antisociales et les populismes montants d’extrême droite, toute cette Europe qui pourrit sur pied et ne rêve plus qu’à sauver sa finance et les larbins politiciens qui la protège, tout cela formule la mise en place d’un jeu de domino qui deviendrait difficilement maîtrisable à très court terme, et pour des années.

Je ne suis pas « politologue spécialisse », je n’ai pas de livre à vendre, ni de nom people. Je fais là ce que tout à chacun peut faire, réfléchir quand les clés sont sur la table, sous nos yeux.

Les décisions que prennent des politiciens peuvent engager des vies, et l’avenir de tous, quand elles participent d’une spirale qui peut filer vers un chaos sur le dos des Peuples qui un temps, leur ont malencontreusement délégué le pouvoir.

 

 Ajout : 10 mars « la levée de boucliers des parlementaires européens »

Justement, parlons en. La presse européenne fait ses gros titres sur le divorce entre la France et l’Allemagne, et la vidéo filmée de l’intervention de députés européens fait un buzz sur les réseaux sociaux. Visiblement, quand on y regarde de près, ce sont les plus farouches « anti migrants » pour leur propre pays qui montent au créneau contre l’accord avec la Turquie… Le discours est séduisant, la critique d’Erdogan est forte, mais bien vite deux relents ressortent : le vieux fond anti turc (à décliner comme anti musulman, anti « arabe » ??) et la défense de la « nation » capable de prendre ses décisions seule, sans devoir passer par l’Europe qui passerait des accords dans son dos.

Il n’est pas étonnant que la question de l’exil des réfugiés de guerre n’ayant fait l’objet d’aucune discussion politique de fond au sein des états et au sein des instances européennes, une fois l’accord bricolé au sommet, chacun y aille de son désaccord. Le seul point d’accord entre la majorité des critiques, c’est le refus de l’accueil… Et de cela, la presse parle peu.

Il n’y a que 4 groupes identifiés à gauche, qui ont ensuite tenus conférence de presse pour rappeler à la fois leur volonté de voir mise en place une vraie politique d’accueil concertée, et le refus de cet accord de la honte avec Erdogan. Mais cette position, rappelons le, est minoritaire au Parlement européen.

Ne nous méprenons donc pas sur la « fronde » du Parlement, même si, par opportunisme, cet accord pourrait être contesté de front. Le seul point positif qui ressortirait de ce front disparate, serait sans conteste celui qui ternirait pour Erdogan le beau soutien à sa politique.