Chicken for lunch (Tú Lệ, Vietnam), par Candice Nguyen


Tú Lệ quelque part dans la province de Yên Bái. De temps en temps il arrive une voiture d’étrangers. Ils sont quatre, cinq, sept, l’air complètement hagard, défoncés de fatigue mais heureux. La chaleur, le bitume qui chauffe, nos poules qui traversent la route et les buffles qui leur font peur, ça nous fait rire. Leur tenue de combat, appareil photo autour du cou, écran total, anti-moustique en spray en lotion en bracelet, chaussures montantes lacées résistantes, chaudes trop chaudes, casquettes chaussettes gourdes, les gourdes, bermuda à mille poches et un sac à dos lourd trop lourd qui leur pèse, on les appelle les Tây Ba Lô. Tous ces kilomètres qu’ils parcourent sur nos terres, comment ils atterrissent là, à cette période de l’année, quand seule une minuscule pancarte indique sur le bas côté de la route notre présence, tout ça nous échappe. Mais ça nous va. Ça fera quelques heures de sourires échangés, de curiosités et un poulet de moins dans la cour. D’habitude, on réserve les plus beaux pour les grandes occasions, célébrations d’anniversaire de mort, naissances et fêtes de la lune mais c’est une si belle journée aujourd’hui. Les gosses qui vont pas à l’école, le jour du grand bain dans la rivière Noire qui coule derrière la maison, c’est la fin de la mousson, le calme retrouvé après tant d’eau déversée. Et puis ils ont l’air plutôt sympa avec leurs coups de soleil sur le nez. On leur demandera pas mal d’argent en échange mais qu’est-ce que c’est pour eux en fin de compte ? Des panses bien pleines qui nous ravissent avant de disparaître aussi soudainement de nos vies qu’ils ne nous étaient apparus. Et puis le mariage de petite sœur approche, on a besoin de liquidités. Un jour, j’ai appris par certains d’entre eux que le poulet, ils ne connaissaient ça qu’en boîte, un poulet sans plumes, sans sang, sans abats, un poulet qui ne se débat pas, un poulet déjà froid qui saigne pas, un poulet dans une boîte, une boîte dans du plastique. C’est de drôles de poulets quand même par chez eux.

Candice NGUYEN


Notre chroniqueuse de l'ailleurs Candice Nguyen a quitté Paris sur un coup de tête pour Marseille où elle vit et travaille depuis 2008 dans l’éditorial et la communication digitale. Partage son temps entre la mer, les routes et l’aide à la diffusion d’artistes, à travers notamment la revue de photographie et d’arts PLATEFORM Magazine et son journal en ligne. Elle est en charge des chroniques pour L'Autre Quotidien.