Short Cuts 2, par Nina Rendulic
Il arrive que, parfois, le monde extérieur suive un autre rythme que celui à l'intérieur. Que leurs longueurs d’ondes ne concordent pas. Quand le monde est trop froid. Trop loin. Trop éloigné des préoccupations subjectives. Comme cette semaine. Semaine où, en France, il a été question de l’application de la réforme de l’orthographe de 1990 dans tous les manuels scolaires à partir de la rentrée 2016 (touche pas à mon oignon ou alors je suis circonflexe – ou cornflakes, si vous voulez). Semaine où, en Croatie, les handballeurs ont décroché la médaille de bronze "aux reflets d’or" et la ministre de la jeunesse et de la politique sociale, ex-religieuse, a estimé que le pays ne pourrait prospérer sans aide de la force divine. Et si la réalité, pour une fois, n’était pas la réalité ?
Solitude
Solitude, peur primaire. De n’être plus qu’avec ses pensées. Son silence. Ses chimères. De n’avoir plus personne. D’être seul (et je pense à Robert Desnos : "… et tu restes là sur le seuil entre le monde plein de semblables à toi-même et ta solitude bourdonnante du monde entier.") Puis les hivers passent, et tu te rends compte que seul ne veut pas dire solitaire. Que parfois, seul c’est bien. Cette semaine j’ai été seule. Et si cette condition est désormais loin de laisser s’installer une forme d’angoisse, comme jadis, il reste que je n’aime pas le silence. Cette semaine, j’ai écouté du jazz. J’ai écouté Tony Bennett & Lady Gaga. Cette fille nie mes préjugés. Cette fille, avec une voix suave, avec des hauteurs cristallines, avec une maîtrise de souffle redoutable, cette fille chante comme une déesse. Cette semaine, j’ai écouté David Bowie. Que peut-on dire de plus ? Je ne veux rien dire. J’écoute. J’ausculte. Ses rires. Ses souffles. Cette semaine, j’ai écouté Bashung. Madame rêve. Madame rêve d’apesanteur. Oh que oui…
Mots
Au fil des textes, je m’aperçois que le français s’impose de plus en plus dans mon écriture "primaire" (ne suis-je pas en train de trahir mon identité ?). Un français sans doute maladroit. Sans doute erroné, parfois. Un français qui manque de profondeur esthétique. Qui manque du corps. Mon corps ? J’apprivoise cette langue dans une écriture subjective, un défi, peut-être, un signe, sans doute, une parole intérieure qui se stabilise sur le territoire étranger. Ne pas fuir. Ecrire. Ecrire à défaut de (se) parler ? Se taire, en somme ? Se représenter par des mots. Ne pas arrêter. Construire un soi des morceaux de lettres (et reconstruire l’autrui ?). Dans cette langue autre qui traduira magnifiquement l’écart entre le soi et le monde.
Images
Mes parents n’avaient pas d’appareil photo instantané, contrairement à de nombreux parents dans les années 1980. Le mien, le premier, a été acheté à Avignon en juillet 2007 (Avignon : pieds nus sur les pavés lisses - cheveux ébouriffés - affiches qui volent au vent - nuits sous les étoiles - théâtre - vie), et le plus récent en décembre dernier pour la fin de la thèse. Je ressens une certaine dose de frustration face à la pratique de la photographie instantanée : au-delà de la singularité d’une photographie qui ne peut se dupliquer par un quelconque procédé de tirage postérieur à la prise de vue, je n’ai jamais su atteindre dans mes images instantanées une unicité stylistique, thématique ou sensorielle. Cette semaine, j’ai chargé une nouvelle cassette dans l’appareil, et je me suis posée face à l’objectif. Des fragments de moi, un bras, des cheveux, des roses qui cachent la peau, un rouge à lèvres rouge. Des fragments dans un espace-temps anonyme. Se transformer en objet pour redevenir sujet.
Nina Rendulic est née à Zagreb en 1985. Aujourd'hui elle habite à 100 km au sud-ouest de Paris. Elle aime les chats et la photographie argentique. Elle vient tout juste de terminer une thèse en linguistique française sur le discours direct et indirect, le monologue intérieur et la "mise en scène de la vie quotidienne" dans les rencontres amicales et les dîners en famille. Vous pouvez la retrouver sur son site : ... & je me dis