Claro : d'une machine célibataire l'autre…
Dans sa préface à son recueil de traductions – Imitations – le poète Robert Lowell explique qu'il a travaillé avec la pensée suivante à l'esprit: traduire comme si les poètes qu'il traduisait écrivaient en américain aujourd'hui. Bien sûr, Lowell ne cherchait pas à dire qu'il imaginait Rimbaud débarquer dans les années 60 ou Villon arpentant la Cinquième Avenue. Non, son idée était de laisser une nouvelle "chance" au poème en lui permettant de s'écrire de nouveau dans une autre langue. Certes, Lowell prend des libertés, il retranche, ajoute, déforme, contourne, et ne s'en cache d'ailleurs pas. Mais retenons cette idée d'un poème qui se récrit.
Quand on traduit, on entend beaucoup de choses, des rafales de sens, des séismes sonores, des grincements de grands écarts syntaxiques, etc, mais on entend également autre chose: on entend la poussée de sa propre langue sous la surface de la langue autre, comme si l'étranger, se sentant désiré, consentait à une forme de fermentation, et laissait ses glucides linguistiques se transformer. Les langues n'ont pas d'âme, mais elles partagent souvent une longue histoire de domination et de bâtardise qui leur permet d'échanger des signaux, elles ont évolué à force de collusion, de rapt, d'accouplements; elles se savent poreuses. La traduction permet non seulement de libérer les forces métamorphiques du texte de départ, mais de le considérer également comme, précisément, un départ. La traduction apprend à s'élancer, à partir, quitter. Plutôt que d'être un simple "adieu", la traduction transforme la séparation (un texte nouveau quitte l'ancien) en transmission, au sens technique, un transfert de l'énergie métrique d'un texte vers un organe utilisateur. D'une machine célibataire l'autre…