RSA : «Si les pauvres se révoltent, ça va faire mal»
Nous démarrons une série d’articles sur le RSA par un colloque de l’Assemblée des départements de France, puisque que ce sont eux qui gèrent l’aide sociale. Là où, sur fond de bras de fer avec l’Etat, se mène une réflexion qui pourrait bien changer notre modèle social.
C’est le genre de colloque comme il s’en tient des centaines par an dans le landerneau politique. Un colloque sur les politiques sociales locales, organisé par l’Assemblée des départements de France (ADF), qui annonce la couleur : « innovations sociales et économiques : changer de modèle ». Rien de moins ! L’Assemblée des départements de France est une association d’élus comme il en existe à chaque échelon territorial : Association des maires de France (AMF), association des petites villes de France (APVF), association des régions de France (ARF), etc. Les élus de tous bords y débattent des politiques locales et défendent les intérêts de leurs collectivités territoriales, notamment dans le bras de fer perpétuel qui les oppose à l’Etat pour le versement de la dotation globale de fonctionnement, une subvention de l’Etat censée compenser le coût de ces politiques publiques. Or, du fait des politiques d’austérité qui visent à réduire la dette, celle-ci est en constante diminution depuis plusieurs années. D’où un effet de ciseaux sur les finances des départements, les allocations versées (RSA, allocation personnalisée à l’autonomie pour les personnes âgées et prestation de compensation du handicap) ne cessant d’augmenter.
Des départements chefs de file de l’action sociale
Si l’ADF nous concerne, c’est qu’en France, c’est le département qui gère l’aide sociale. Relèvent notamment du département la lutte contre l’exclusion et la pauvreté (Rsa), l’aide aux personnes âgées (APA), l’aide aux personnes handicapées (PSH), soit les ressources de millions de personnes. L’Etat, en plus d’affecter aux collectivités certaines ressources propres -taxes sur le foncier, contribution économique territoriale, par exemple-, verse donc aux départements une dotation globale de fonctionnement pour financer ces politiques publiques au niveau du département. Cette dernière ne représentant que 60% du montant versé par les départements en 2015. Or, c’est le RSA qui constitue leur premier poste de dépense sociale. Une enveloppe de 10 milliards d’euros, quand l’Etat en verse 6,5 milliards. Certes, le RSA pèse sur les ressources des départements, mais l’ADF noircit le tableau à dessein. D’une part parce qu’elle doit négocier les compensations financières accordées par l’Etat. Mais aussi parce que, sous la houlette de sa commission des affaires sociales, elle entend promouvoir un « nouveau modèle social », dans lequel les départements auraient beaucoup plus de latitude quant aux conditions d’attribution et aux modalités de contrôle.
Les départements refusent la recentralisation du RSA, après l’avoir réclamée
On peut aussi se demander à quoi joue son président, Dominique Bussereau, qui a refusé la proposition de l’Etat de recentraliser le RSA… Après l’avoir réclamé à cors et à cris l’année dernière. Recentraliser le RSA, c’est faire en sorte que la prestation soit financée entièrement par l’Etat, seules les politiques d’accompagnement et d’insertion restant à la charge des départements. Soit une sacrée épine dans le pied en moins ! Mais cette proposition a été refusée par l’ADF pour deux raisons. D’abord, l’Etat voulait prendre 2016 comme année de référence pour le financement, alors que l’ADF plaidait pour 2014, année où le nombre de bénéficiaires avait connu une hausse particulièrement importante. Ensuite, il souhaitait conditionner le financement aux efforts réalisés en matière d’insertion. De là à y voir l’une des raisons d’organiser ce colloque... Reste que, la négociation entre les départements et l’Etat sur le RSA est reportée à 2017, après les élections.
Les droits des allocataires foulés aux pieds
Il faut ici faire retour sur le contexte. En début d’année, Eric Strauman, président du conseil départemental du Haut-Rhin (Alsace), annonçait qu’il allait conditionner le versement du RSA à une obligation d’effectuer sept heures de bénévolat par semaine. Certes, il a été débouté par le tribunal administratif. Le tribunal, saisi par le préfet, a jugé qu’il était illégal de conditionner le versement de l’aide à une activité bénévole - le bénévolat obligatoire, un oxymore !-, et jugé que rien dans le Code de l’action sociale et des familles ne permettait de suspendre la prestation pour ce motif. Mais la décision rendue autorise cependant tous les abus, selon Marc Desplats, de la branche alsacienne du mouvement national des chômeurs et précaires (MNCP), organisation qui défend les droits des chômeurs depuis 1986. En effet, la décision rendue ne conteste pas que le bénévolat puisse être inclus dans les contrats d’engagement signés par les allocataires, « contrat librement débattu énumérant des obligations réciproques en matière d’insertion sociale e professionnelle ». "Une liberté toute relative concernant des personnes qui n’ont que le RSA pour vivre", comme le souligne Marc Desplats
On murmure d’ailleurs que d’autres ont été plus adroits. Comme le président du département voisin, le Bas-Rhin, qui plaide pour inscrire également le bénévolat dans les fameux contrats. Frédéric Bierry, qui est aussi président de la commission de la solidarité et des affaires sociales de l’ADF (on y revient), applique par ailleurs une autre mesure controversée : « Il nous arrive, dans notre département, de demander aux bénéficiaires du RSA de fournir des relevés de leur compte courant. Mais ils ne sont pas obligés de le donner », précise-t-il au journal Le Monde. Pas d’obligation ? Le même se vante d’avoir radié un millier de personnes suite à des contrôles. Frédéric Bierry met par ailleurs en avant son bilan en matière d’insertion, soit 3 000 bénéficiaires du RSA ayant retrouvé un emploi. Oubliant de préciser que leur nombre total a baissé de 1,2% en 2016. Le Bas-Rhin n’est en tout cas pas le seul département à exiger les relevés bancaires des foyers touchant le RSA. L’Eure, le Haut-Rhin, les Alpes maritimes réclament également les justificatifs bancaires sur plusieurs mois, profitant d’un flou juridique. Ce qui a conduit certains allocataires à saisir le Défenseur des droits. De fait, si cette intrusion dans la vie privée ne gêne pas grand monde, s’agissant de personnes touchant le RSA, dont il faut rappeler qu’elles sont les plus fragilisées par le chômage de masse, imagine-t-on des salariés obligés de fournir ces mêmes documents aux Impôts, par exemple ? Il faut aussi rappeler que, par ailleurs, les CAF ont déjà la possibilité d’avoir accès aux comptes bancaires des bénéficiaires, dans le cadre de la lutte contre la fraude. Des conditions pas franchement laxistes.
Des initiatives à portée limitée
Alors, ceci posé, revenons à notre colloque sur les politiques sociales locales. Un colloque accueilli par la mairie du 13earrondissement de Paris - le maire PS Jérôme Coumet étant co-président du Cercle Colbert, think thank qui a pour mission de réfléchir aux politiques locales et co-organisait la réunion. La manifestation avait en partie pour objectif, dans son volet lutte contre la précarité, de partager les bonnes pratiques en matière de politique d’insertion. On était donc entre gens de bonne volonté pour mettre en valeur des initiatives visant à favoriser « l’insertion des publics précarisés ». Autrement dit, comment accompagner vers l’emploi les allocataires du RSA. Les intervenants -élus majoritairement de droite mais aussi une élue PS d’Ille-et-Vilaine, le responsable d’un centre de formation, ainsi que Sodexo et Manpower, qui ont lancé un réseau d’associations d’insertion pour le premier et plusieurs fondations pour le second-, se sont donc succédés à la tribune pour vanter leurs réussites. Il manquait singulièrement dans ce colloque les associations spécialisées dans l’insertion et les entreprises de l’économie sociale et solidaires, pourtant sollicitées dans le cadre de l’expérimentation « territoires zéro chômeurs de longue durée ». Une expérimentation, portée par ATD-Quart monde et Emmaüs notamment, qui concerne dix territoires s’engageant à proposer des CDI payés au Smic, aux personnes qui sont au chômage depuis plus d’un an. Les innovations présentées lors du colloque, elles, sont certes intéressantes, mais restent plutôt modestes dans leur objectif et leur échelle. Ici on parle de sept personnes ayant obtenu leur permis dans un plan mobilité, là d’une quinzaine de personnes embauchées par KFC, ou encore de 18 personnes ayant intégré Sodexo. Et, chiffre le plus imposant, 3 000 CDI intérimaires signés, mais au niveau national… Autant dire une goutte d’eau dans un océan d’exclusion.
« Si tous ceux qui y ont droit en faisaient la demande… »
Et puis, alors que le colloque ronronnait tranquillement, un obscur élu cantonal d’Eure-et-Loire et maire de Chatillon-en-Dunois entreprend de rappeler quelques chiffres. Du brutal : 2,5 millions de foyers au RSA (chiffre CAF fin 2015, comprenant le RSA et le RSA activité, remplacé depuis par la prime pour l’emploi). Soit plus de 3,5 millions de personnes concernées avec les ayant-droits (enfants, conjoints). Sans compter, ajoute notre édile, 3 millions d’emplois supprimés à horizon 2020 . De quoi jeter le trouble sur ces initiatives innovantes en matière d’insertion qu’on nous présentait avec tant d’enthousiasme… Mais surtout, rappelle cet élu - de droite qui frise les 80 ans-, « si tous ceux qui y ont droit en faisaient la demande, ce sont dix millions de Français qui toucheraient cette allocation. De quoi mettre les départements en faillite ! » s’étrangle Claude Térouinart.
Car la réalité c’est que le non-recours aux droits et services est chiffré par l’Observatoire du non-recours aux droits et services à 5 milliards pour le seul RSA. Bien loin des 210 millions de fraude détectée en 2015 par les Caf lors de 166 000 contrôles à domicile (mais 38,5 millions de données allocataires vérifiées), ce qui représente 1% des foyers bénéficiaires… . Et de rappeler le programme des candidats au premier tour à la primaire de la droite et du centre. « NKM est pour un revenu de base à 470 €, Jean-Frédéric Poisson pour un revenu universel qui coûterait globalement 10% de moins que les montants versés actuellement, Fillon et Lemaire pour une allocation unique mais qui, pour ce dernier, ne serait versée que si l’allocataire accepte de fournir ses relevés bancaires, quant à Alain Juppé, il est pour le retrait du RSA en cas de refus d’un emploi ». Et de s’interroger : « à quoi jouent les politiques ? » Avant de conclure, devant une assemblée, médusée : « Si un jour le lumpen prolétariat se révolte, ça peut faire mal ». On n’aurait pu mieux dire…
Véronique Valentino pour l’Autre Quotidien